Né à Liège le 12 février 1903, décédé à Lausanne le 4 septembre 1989, George Simenon fut un auteur prolifique. Le lecteur de l’œuvre de Simenon ne peut manquer d’être surpris par la haute prévalence des personnages médicaux que l’on y rencontre : médecins généralistes, spécialistes hospitaliers ou universitaires, “grands patrons” et bien sûr des médecins légistes.

 

“J’ai connu beaucoup de médecins dans ma vie, dans de nombreux pays. Des médecins de campagne, des médecins d’hôpitaux, ce qu’on appelle des grands patrons ou des mandarins, et enfin ce qu’on pourrait appeler des médecins mondains”. Ce texte est extrait d’une lettre de George Simenon datée du 9 mai 1985 et qui répondait à un courrier du Pr Pierre Lefebvre (Liège, Belgique) interrogeant le romancier sur ses relations avec les médecins, l’hôpital et la maladie. “Aux Etats-Unis, l’auréole des grands patrons est presque invisible” poursuit Georges Simenon dans sa réponse.

 

“Grands patrons” ou “vrais médecins”

“En France, ils restent des êtres à part et cela se sent dans leurs moindres attitudes. Cela se comprend d’ailleurs lorsqu’on les a vu aller d’hôpital en chambres d’hôpital, suivis de trente à quarante blouses blanches respectueuses, attendant le moindre signe ou le moindre mot du ’maître’. Presque tous les grands patrons français que j’ai connus n’ont pas seulement visé l’Académie de médecine comme consécration, mais ont écrit en outre des ouvrages, qui n’avaient rien à voir avec leur art afin d’ajouter le titre d’académicien français, à celui de membre de l’académie de médecine.”

Plus loin, il écrit : “Restent ce qu’on appelle les vrais médecins, qui sont souvent d’humbles médecins de campagne et qui n’hésitent pas à se relever trois fois la nuit en plein hiver pour parcourir des kilomètres vers une ferme isolée. Restent aussi, et peut-être sont-ce les plus nombreux tout au moins je l’espère, ceux qui se considèrent comme voués à la santé ou tout au moins au bien-être physique de leurs malades. Il est cependant dommage que dans certains pays, les médecins, depuis quelques années, n’hésitent pas à se mettre en grève, comme si, pendant ces journées-là, la maladie faisait grève aussi. Comme vous le voyez, le profil du médecin, dans mon esprit n’est pas un profil unique mais multiforme.”

Le Pr Pierre Lefèbvre, dans sa communication à l’Académie de Médecine le 19 mai dernier, a indiqué que “dans la répartition des personnages médicaux dans l’œuvre de Simenon, près de deux tiers sont des généralistes, 39 sont des médecins ’grands patrons’ ou des professeurs d’université dont certains comme le Pr Chabot de L’ours en peluche constituent le personnage central du récit ; sans oublier évidemment des médecins légistes, au nombre de 17. Les professions médicales et paramédicales sont également fréquentes dans l’œuvre du romancier”.

 

Dr Pardon, confident de Maigret

À de rares exceptions, les personnalités médicales sont souvent présentées sous un angle valorisant : probité professionnelle, connaissance scientifique voire référence morale. “Un exemple frappant, a raconté Pierre Lefèbvre, est celui du Dr Pardon, médecin généraliste qui est l’ami et le confident du commissaire Maigret. Les Pardon et les Maigret se voient régulièrement le soir pour dîner. Ils échangent des confidences sur leur vie professionnelle pendant que les épouses parlent d’autre chose”. Un autre personnage récurrent est le Dr Paul, médecin légiste, le plus souvent dans le cycle des “Maigret”, il est l’homme de la certitude scientifique.

“Plus curieux sont les personnages de ’grands patrons’ que l’on voit apparaître avec une fréquence surprenante comme le Pr Chabot, professeur, gynécologue, directeur de deux cliniques, surchargé dans sa vie professionnelle” a ajouté le Pr Lefebvre. “Déçu par le caractère routinier de sa vie familiale, qui découvre quelques instants de bonheur dans une brève aventure avec une garde-malade de son service et deviendra meurtrier au terme d’un long et angoissant cheminement, véritable équivalent suicidaire.”

Tout n’est donc pas idyllique dans les personnages médicaux des romans de Simenon, loin de là : une sordide histoire de dichotomie racontée dans Bergelon ; le crime, déjà cité, commis par le Pr Chabot dans L’ours en peluche, l’humiliation et l’exclusion sociale du Dr Kuperus dans L’assassin ; l’ivrognerie du Dr Gadelle, responsable de la mort en couches de la mère du commissaire Maigret dans Les mémoires de Maigret pour ne citer que quelques exemples.

 

Simenon a envisagé d’entreprendre des études médicales

Le Pr Pierre Lefèbvre émet quelques hypothèses pour expliquer cette fascination de Simenon pour la médecine et les médecins. Il ne fait guère de doute que le jeune Simenon à un moment a envisagé d’entreprendre des études médicales. Il a fréquenté l’Hôpital de Bavière tout proche de son domicile lorsqu’il était enfant de chœur et accompagnait l’aumônier distribuant aux mourants le sacrement des malades. Adolescent, Simenon a appris du médecin de famille à Liège, le Dr Fischer, que son père, Désiré Simenon, était atteint d’une maladie cardiaque inéluctable. Il décèdera d’ailleurs précocement, à l’âge de 44 ans alors que Georges en avait 18. Enfin, Simenon a fréquenté nombre de médecins auprès desquels il n’hésitait pas à se documenter sur les maladies et les malades. Tout au long de sa vie, il s’est constitué une importante bibliothèque médicale, source d’une documentation fréquemment consultée. Et deux professeurs de l’Ecole de Médecine liégeoise furent proches du romancier. Le fondateur de la Revue Médicale de Liège, le Pr Lucien Brull, était son cousin germain et le Pr Fernand Orban chirurgien, fut son condisciple de collège.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol

 

D’après la communication La médecine et les médecins dans l’œuvre de George Simenon du Pr Pierre Lefebvre (Professeur Émérite à l’Université de Liège, Membre et ancien Président de l’Académie Royale de Belgique) à l’Académie de Médecine le 19 mai 2015.