Après trois ans en centre municipal de santé, le Dr Serret n’attendait qu’une chose : retrouver l’exercice libéral. Marre des 35 heures, du manque de souplesse, des décisions prises sans concertation … A 59 ans, la généraliste vient de se réinstaller dans un cabinet, en solitaire, et goûte la liberté retrouvée.

 

“Depuis que j’ai repris un cabinet libéral, j’ai l’impression d’avoir rajeuni de dix ans !” Après trois ans passés en tant que médecin salarié, au centre municipal de santé de la Ferté-Bernard (Sarthe), le Dr Anne Serret a repris une activité de généraliste libérale le 1er avril dernier. Elle en est ravie.

Il faut dire que cette expérience en centre de santé, sur le CV de cette généraliste, fait plutôt figure d’accident de parcours. “J’ai exercé en cabinet libéral de groupe de 1987 à fin 2011, à Compiègne. On était cinq médecins généralistes. Jusqu’au jour où trois médecins sont partis à la retraite. On s’est retrouvés à deux. Il fallait qu’on trouve des successeurs pour garder le cabinet. On n’a trouvé personne, le cabinet a fermé”, se souvient la généraliste.

 

“Ce n’était pas idyllique, mais je me suis dit pourquoi pas…”

Pour celle qui a passé près de 25 ans dans ce cabinet de groupe, c’est un vrai coup dur. “J’ai été vraiment secouée. La fermeture a été brutale, je me suis retrouvée toute seule.” Elle a alors 55 ans, et doit trouver une manière de se retourner rapidement. C’est alors qu’elle tombe sur une petite annonce. “J’ai vu que le centre de La Ferté-Bernard cherchait un médecin à salarier. Ce n’était pas idyllique, mais je me suis dit pourquoi pas…” Jamais, au cours de sa carrière, la généraliste n’avait songé au salariat. Mais, dans sa situation, elle postule.

L’offre propose un contrat de trois ans, renouvelable, avant un éventuel CDI, pour 35 heures hebdomadaires à 4 000 euros net. Mais bien avant le terme des trois ans, le Dr Serret sait qu’elle ne demandera même pas le renouvellement. Le libéral lui manque déjà. “On travaillait de 9h à 12h, puis de 15h à 19h. Quand vous venez d’un cabinet libéral, c’est un gros changement. En travaillant seulement 35h, j’avais vraiment tendance à m’ennuyer”, confie la généraliste. A tel point, qu’elle s’était mise à faire des visites à domicile sur le temps de sa pause déjeuner. “Mais je ne sais pas si c’est très recommandé. Niveau assurance, s’il se passe quelque chose, je ne sais pas bien comment on est couverts.”

Et puis, il y a une forme de dépendance qui lui déplaît. “Les médecins ne sont jamais associés aux décisions qui concernent la gestion du centre. Il y a eu de vraies erreurs d’aménagement par exemple, qui auraient pu être évitées. Mais on n’avait pas notre mot à dire.” Elle se souvient, notamment, du jour où il a été décidé que le centre devait se doter d’une salle d’urgence. “J’ai dit que ce n’était pas nécessaire, puisqu’il y avait l’hôpital à côté. On ne nous a pas écoutés. J’ai juste pu dire que je n’y enverrai pas mes patients, et ils ont construit leur salle. C’était une lubie politique”, regrette la généraliste, qui ajoute cependant qu’elle n’a jamais subi de pressions concernant son exercice médical. “Jamais on ne m’a demandé d’augmenter mon nombre d’actes. C’est d’ailleurs complètement illégal ! Jamais personne ne s’est immiscé dans ma relation avec les patients.”

 

“Les rémunérations, ne sont pas comparables”

Quant aux autres arguments avancés par les partisans ou détracteurs du salariat, le Dr Serret estime que c’est se tromper de débat. “Les rémunérations, par exemple, ne sont pas comparables. En libéral, on travaille plus, donc on gagne plus. D’ailleurs, sur la base des 35h, on gagne peut-être plus en salariat. Ce n’est pas un argument.”

Certains voient aussi dans le salariat une manière de se libérer de l’encaissement du patient en fin de consultation. Là encore, faux débat, répond la généraliste. “Personnellement, ça ne m’a jamais gêné de faire payer les patients. Mais dans mon ancien cabinet de groupe, un des médecins renvoyait les patients à la secrétaire pour le règlement. Ce n’est pas une question de libéral ou de salariat.” Enfin, si le Dr Serret regrette quelque chose de son ancien exercice, c’est le fait d’être entourée de confrères. Mais là encore, ce n’est bien sûr pas propre au salariat, nuance celle qui a exercé 25 ans en libéral et en groupe.

“Le seul truc sympa, c’était la déclaration d’impôts. C’était nettement plus facile”, souligne-t-elle. Mais de manière générale, la paperasse ne lui fait pas peur. “Je ne vais pas dire que j’aime ça, mais ça fait partie du métier. Quand on est chef de son entreprise, on a l’impression de construire quelque chose, plaide le Dr Serret. Même s’il y a les caisses, et que c’est parfois pénible, je suis heureuse de gérer mon cabinet. Je fais ce que je veux : travailler plus, ou moins, partir en vacances, prendre des gardes… Les jeunes qui veulent aller vers le salariat renoncent à cette liberté, et ils vont le payer d’une manière ou d’une autre.”

 

“Les jeunes ont un vrai manque d’enthousiasme”

D’ailleurs, la jeune génération inquiète un peu la généraliste. Pas parce qu’elle craint leur tendance au salariat, mais à cause de leur “manque d’élan”. “Il y a trois ans, on ne trouvait pas de successeurs pour les médecins retraités alors qu’on avait un cabinet aux normes, en centre-ville, avec une patientèle… Les jeunes disaient que c’était trop de travail !”, s’étonne le Dr Serret. “J’ai une consœur qui a dû quitter son cabinet pour partir dans le nord de la France. Et bien ils se sont mis à deux pour le reprendre ! Alors qu’elle avait élevé ses enfants… Ils ont un vrai manque d’enthousiasme.”

Aujourd’hui, rien ne pourrait à nouveau détourner le Dr Serret de l’exercice libéral. Pas même la loi de santé et la généralisation du tiers payant. “Sur le principe, ça ne me choque pas. Ce qu’il faut c’est un interlocuteur unique. Au centre de santé, on avait une secrétaire dédiée à la gestion du tiers payant. Il faut voir la mise en place”, glisse la généraliste.

Voilà bientôt trois mois qu’elle a repris son activité, dans un cabinet de La Ferté-Bernard, qu’elle loue. “La première journée, j’ai fait 8h30 – 22h30, sans même une pause pour déjeuner ! Maintenant, je fais plutôt 9h – 20h, et je refais des gardes. Je suis ravie de ma liberté, de ma souplesse et de mon autonomie, résume le Dr Serret. Les jeunes ne se rendent pas compte. Mais bon, lâche-t-elle en riant, je suis peut-être un dinosaure.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier