Le dernier bilan de l’Institut de veille sanitaire (InVS) fait état d’un excès de mortalité toutes causes de 18 300 cas pendant la dernière épidémie de grippe. Le Pr Bruno Lina*, directeur du Centre de référence de la grippe France Sud et virologue au CHU de Lyon, nous livre son analyse et propose des solutions pour améliorer et prévenir plus efficacement la situation lors de la prochaine épidémie. Des mesures de prévention complémentaires auraient dû renforcer la vaccination, qui a été moins efficace cette année.

 

Egora.fr : Quelle synthèse faites-vous de la dernière épidémie saisonnière de grippe ?

Pr Bruno Lina : Cette épidémie, qui a duré environ neuf semaines, a été un peu plus longue que d’habitude, la moyenne se situant entre six et huit semaines. Elle a été essentiellement, mais pas uniquement, due à un virus H3N2 variant dont l’émergence tardive a empêché son incorporation dans la composition vaccinale. C’est un point important à souligner, car ce type de virus touche plus particulièrement les personnes âgées. On estime que la moitié des souches H3N2 ayant circulé étaient des souches variantes. En revanche, pour ce qui est des virus H1N1 et B, les virus ayant circulé cet hiver ont été identiques à ceux du vaccin. La circulation inattendue de ce variant H3N2 a entraîné une baisse importante de l’efficacité vaccinale. De plus, les formes de grippe observées chez les personnes fragiles ont été cliniquement très marquées, et on a décompté près de 1 500 admissions en services de réanimation et soins intensifs – un chiffre plus élevé que ce qui avait été observé lors de la pandémie de 2009 –, avec une mortalité de l’ordre de 15 %. Enfin, le nombre de décès imputés à la grippe a été estimé à plus de 18 000, soit deux à trois fois plus que d’habitude, dont environ 90 % chez les plus de 65 ans.

 

Ces chiffres sont-ils révélateurs des faiblesses de notre système de santé ?

Ils doivent nous interpeller, et c’est bien ce qui se passe. Un impact aussi important de la grippe l’hiver dernier s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs, parmi lesquels : un vaccin moins efficace, une population fragile très mal vaccinée, un manque de réactivité lors du début de l’épidémie, le relâchement de la mise en oeuvre des mesures d’hygiène, à commencer par un lavage régulier des mains, la diminution des contacts sociaux et le port de masques, qui avaient pourtant si bien fonctionné au cours de la dernière pandémie.

 

Qu’entendez-vous par manque de réactivité ?

Les systèmes de surveillance ont bien fait leur travail en signalant l’arrivée de ce nouveau variant H3N2, dans un contexte où l’on savait que la mise en place d’une protection vaccinale très insuffisante, concernant tant l’efficacité du vaccin que le taux de couverture vaccinale dans les groupes à risque, risquait d’entraîner une épidémie à fort impact. Mais nous n’avons pas réagi suffisamment énergiquement pour faire la promotion des autres moyens de lutte à notre disposition que sont les antiviraux – dont plus personne ne conteste aujourd’hui l’intérêt – et les mesures d’hygiène. Cela étant, cette défaillance ne date pas de l’hiver dernier…

 

Le vaccin antigrippal doit-il demeurer au centre de la lutte contre la grippe ?

J’aimerais d’abord souligner que plus de 80 % des patients hospitalisés en réanimation étaient des patients à risque, donc clairement ciblés par les recommandations vaccinales… et que moins de 20 % d’entre eux avaient été effectivement vaccinés. On peut en conclure que même une efficacité globale du vaccin de l’ordre de seulement 20 à 30 % – comme l’hiver dernier – vaut mieux qu’aucune vaccination. Les vaccinés étaient partiellement protégés. Cela étant, on sait que lorsque le vaccin est parfaitement adapté aux virus circulants, son efficacité préventive est de l’ordre de 75 à 80 %, ce qui signifie qu’une certaine proportion de personnes vaccinées seront infectées par la grippe. Donc, même si la vaccination est indispensable, elle n’est pas suffisante et doit être combinée à d’autres mesures de prévention et de protection. Par exemple, en matière de prévention vaccinale, il ne faut pas oublier l’intérêt du vaccin contre le pneumocoque, agent fréquent et redoutable de surinfection bactérienne chez les patients grippés. Il faut aussi avoir pleinement conscience que dès que l’épidémie commence, le temps de la vaccination est presque terminé, même s’il faut continuer à vacciner, et qu’il faut recourir résolument aux autres leviers que j’ai évoqués. Il ne faut pas être seulement dans l’observation mais aussi dans l’action, en se donnant les moyens nécessaires et en misant sur le collectif ! C’est en combinant les moyens que nous éviterons de déplorer autant de décès les prochaines années.

 

Les conséquences de la dernière épidémie de grippe ont-elles été tirées par les autorités sanitaires ?

Je l’espère ! Je viens de participer à une réunion d’experts organisée au ministère de la Santé afin de réaliser l’analyse critique de ce qui s’est passé, notamment en ce qui concerne l’hôpital mis sous tension – une conséquence logique de son mode de fonctionnement en flux tendu et du recours direct de plus en plus fréquent des adultes grippés aux services d’urgences –, la baisse de l’efficacité vaccinale et la dynamique de l’épidémie.

 

Quel pourrait être le contenu des mesures décidées en prévision de la prochaine épidémie de grippe ?

Celles-ci pourraient se déployer dans plusieurs directions, comme une gestion décentralisée de l’épidémie, la création d’une “task force”, la révision de la place des antiviraux, dont on sait qu’ils réduisent la transmission et la mortalité – avec leur administration plus systématique et plus rapide chez les personnes à risque non vaccinées ou qui sont atteintes de grippe bien qu’ayant été vaccinées – et un effort probable de communication sur les mesures d’hygiène qui pourraient être prises en charge par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Ce qui est certain, c’est une réelle prise de conscience des autorités sanitaires. Enfin, je peux également annoncer que les experts du Geig prendront la parole sur la pathologie grippale.

 

* Le Pr Lina est aussi président du conseil scientifique du Groupe d’expertise et d’information sur la grippe (Geig), membre de l’European scientific working group on Influenzæ (Eswi).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Didier Rodde