Alors que l’AP-HP organise ce jeudi sa quatrième journée de grève et d’action contre la remise en cause des 35 heures, Patrick Pelloux (AMUF) affirme que les personnels “n’ont plus confiance”, on leur a” trop menti”. L’urgentiste appelle Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP, à la négociation, sauf à supporter un conflit long et très difficile.

 

Egora.fr : Les urgentistes ne participent pas à la journée de grève ?

Patrick Pelloux : Nous ne participons pas à cette quatrième journée de grève, car elle est motivée par des revendications qui touchent les personnels, pas les médecins. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas des choses à revoir sur le décompte du temps de travail des médecins, leurs jours de RTT et le compte épargne temps : c’est une usine à gaz impossible à gérer. A l’AMUF, nous sommes en en train de négocier le décompte du temps de travail en heures pour les structures d’urgences, mais il s’agit d’une problématique parallèle.

 

Que pensez-vous de la méthode Hirsch ? Le directeur général annonce qu’il remet tout à plat, et lance une troisième approche de ses propositions, dans le but d’aboutir à un accord syndical majoritaire sur les conditions de travail et la réduction des RTT…

La méthode Hirsch ? Le directeur général n’a pas tenu compte du fait qu’il n’y a pas eu de discussions sociales profondes à l’AP-HP depuis 2000, 2002, années de construction des accords sur la RTT. Martin Hirsch a fait une équation très simple : ‘je dis au personnel de travailler 6 minutes de moins par jour, et j’enlève cinq jours de RTT par an’. Cela s’est révélé dévastateur dans le tissu social de l’AP-HP, parce que les personnels ne travaillent pas 7 h 36 ! Ils sont tous à plus de 8 heures, et ne comptent pas leurs heures. Je suis très en colère contre l’attitude de certains directeurs, certains technocrates, certains politiques de droite comme de gauche qui caricaturent les personnels hospitaliers comme des fainéants qui profitent du système. Je ne connais que des personnels dans les hôpitaux, qui ne comptent pas leurs heures de fin de service et qui, sans arrêt, se trouvent en fin d’année avec des heures supplémentaires que l’on transforme en RTT, qu’ils ne peuvent pas prendre car il n’y a personne pour les remplacer. Cela fait des années que ça dure.

Il faut arrêter de mentir : les 35 heures à l’hôpital, cela n’a jamais existé. Il y a eu une tentative de réduction du temps de travail, qui a induit, mathématiquement, l’embauche de 60 000 personnes. Mais les accords Jospin ont ramené ce chiffre à 48 000, qui se sont ensuite transformés en 30 000 sous le gouvernement Raffarin, après que Jean-François Mattei a annulé l’accord. Et ces 30 000 embauches n’ont jamais remplacé tous les départs à la retraite. C’est donc une opération blanche, un mensonge. Martin Hirsch déclare que rendre 5 RTT, cela va éviter un plan de licenciement, et qu’en plus, une partie de l’argent épargné sera redistribué en intéressement pour le personnel. Mais l’AP-HP est incapable de réaliser cela. Incapable !

Je n’ai pas voté le budget cette année, non par défiance vis-à-vis du directeur général, mais juste parce que le budget qu’on nous a demandé de voter l’an dernier devait conduire à une amélioration. Et voilà que cette année, on exige encore des économies ! A un moment, on se dit que cela n’est plus possible ! Nous courons sans arrêt derrière un déficit qui est un fantôme, tapi dans la caisse des banques, c’est insupportable. Alors, le directeur général a écrit une lettre aux personnels pour leur dire qu’il revenait en arrière. Martin Hirsch a ouvert un conflit très dur et très fort. On sait comment on rentre dans un conflit social, jamais comment on en sort. Le personnel n’a plus confiance.

 

Comment jugez-vous sa proposition de faire travailler une société d’audit extérieure, et d’expérimenter auprès d’équipes volontaires, de nouveaux modes d’organisation du travail ?

C’est insupportable. On nous met sans arrêt des boîtes d’audit dans les pattes. Sans arrêt. Je les connais pratiquement toutes. Alors qu’on nous dit de faire des économies, leurs études coûtent une montagne d’argent aux hôpitaux, et ceux qui y travaillent sont d’anciens hospitaliers. Il faut arrêter de mentir. L’AP-HP avec ses milliers de fonctionnaires, peut faire des diagnostics, on en a déjà fait. On nous parle de concordance des temps. Mais cela fait des années que l’on sait très bien que le temps de départ de l’opération n’est ni celui de l’infirmière ni celui de l’anesthésiste, c’est le chirurgien qu’on attend. On sait qu’en termes d’organisation, on achète des IRM ou des scanners qui commencent à accueillir les patients aux heures ouvrables et qui ferment alors qu’il y a encore plein de monde à prendre en charge. Que les vacations du privé passent toujours avant celles du public. Tout cela, on le sait. Il suffit maintenant d’un sens politique. Et c’est vrai que là… Si on prend en exemple les décisions qui devaient être prises pour l’Hôtel Dieu, on se pose des questions. Voilà un an qu’on entend parler des urgences qui seraient ouvertes aux pompiers. C’est faux. Cela devient difficile, on a besoin d’une direction et de prise de décision, sinon on n’y arrivera pas. Voilà pourquoi le personnel n’a pas confiance lorsque Martin Hirsch dit qu’il retire son projet.

 

Que penser de l’attitude du Ministère de la Santé ? On ne l’entend plus…

Je pense qu’ils sont dépassés. Le gouvernement ne voulait pas qu’on commence à parler des 35 heures. Lors de la discussion sur la loi de Santé à l’Assemblée, des questions ont été posées à ce sujet, et renvoyées à plus tard par Marisol Touraine. Tout simplement parce que c’est un gros sac de nœuds et que le statu quo satisfait. C’est une espèce de paix romaine. Mais il y a un véritable problème, un gros enjeu.

 

Comment envisagez-vous la suite des événements ?

Il y a d’énormes incertitudes. Je ne pense pas que le ministère ait eu l’intention d’aller sur ce terrain. Mais le débat est lancé, il faut l’affronter. Ceux qui imaginent que les vacances vont apaiser les esprits et qu’on aura tout oublié vivent au 20ème siècle. Au 21ème siècle, juillet et août sont des mois comme les autres.

Je pense que Martin Hirsch a un certain talent de négociateur. Alors il faut qu’il se dépêche de mettre tout le monde autour de la table pour trouver un accord consensuel avec l’ensemble des partenaires sociaux et les syndicats. Et puis, se pose une question fondamentale : qui va succéder à Claude Evin (le directeur de l’ARS d’Ile de France prendra sa retraite à la fin de l’année. Ndlr), l’homme qui a passé son temps à défendre et vouloir la réforme Bachelot ? Qui va-t-on mettre pour lui succéder ? Quelqu’un qui va dans le sens de l’hôpital entreprise et qui ferme des structures ? Face à un peuple qui souffre de la crise sociale, face à la notion de guerre qui est maintenant très présente, je considère qu’il y aurait vraiment une erreur politique à maltraiter l’hôpital. L’hôpital fait partie de la République et du socle social.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne