Tous les trois jours, une pharmacie ferme quelque part en France. Pression économique, désertification médicale, évolution du métier font que les étudiants en pharmacie sont de moins en moins enclins à choisir l’officine quand vient l’heure de se spécialiser.

 

“Il y a encore quelques années, deux tiers des étudiants se dirigeaient vers la pharmacie d’officine. On est tombé à un tiers aujourd’hui. Il suffit d’écouter les informations, le métier n’est pas au meilleur de sa forme”, lâche David Ruczkal, étudiant en 4ème de pharmacie à Lille et président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie. Ce constat d’une voie peu attractive pour les jeunes diplômés, David Ruczkal n’est pas le seul à le faire.

Dans sa dernière étude sur la démographie, l’Ordre des pharmaciens pointe même une “mutation structurelle et conjoncturelle”. “Depuis 10 ans, la population des pharmaciens a nettement vieilli, note Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre. La profession peine à attirer et à garder ses jeunes.”

 

“Les jeunes regardent où il y a du travail et s’y orientent”

“Pour autant, je pense qu’il n’y a pas de désamour de la pharmacie d’officine chez les jeunes. C’est une histoire de contexte. Les jeunes regardent où il y a du travail et s’y orientent”, assure David Ruczkal. Parmi les motifs qui éloignent les jeunes de l’officine, le fait que les plus âgés retardent leur départ en retraite. “C’est donc plus difficile pour les jeunes de prendre la place.” Pourtant, le phénomène n’inquiète pas vraiment cet étudiant. “La courbe des âges va évoluer. Mécaniquement, les départs en retraite vont se faire à un moment ou à un autre”, assure David Ruczkal. “Aux alentours de 2021”, à en croire la pyramide des âges de l’Ordre, qui anticipe un double phénomène : le départ de la génération qui est actuellement la plus nombreuse, et dans le même temps, une arrivée relativement importante d’une population de jeunes du fait de l’augmentation du numerus clausus initiée en 2004. Encore faut-il que ces nouveaux arrivants choisissent massivement de s’orienter vers l’exercice libéral. Et ce n’est pas gagné.

“Depuis plusieurs années maintenant, on observe une diminution du nombre d’officines”, s’alarme pour sa part Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO). En 2014, c’est une pharmacie qui fermait tous les trois jours. “Il faut travailler en urgence sur ces questions ! Car ces fermetures traduisent les difficultés économiques croissantes dont souffrent les pharmaciens. Il y a une baisse des marges, et évidemment ça affecte la rentabilité”, assure le pharmacien de Montélimar. “Il faut redonner du souffle à la marge des pharmaciens. Et il faut commencer par revenir sur la réforme de l’honoraire de dispensation d’un euro par boîte en 2016, c’est totalement inadapté et ridicule !”, glisse au passage le président de l’USPO, fermement opposé à cette réforme qui divise les syndicats.

 

“Les officines doivent faire face à une vraie problématique économique”

Pour lui, la priorité est de redonner confiance aux jeunes. “Les jeunes ont peur d’investir, c’est normal, ils n’ont pas de perspectives. Et les banquiers sont de plus en plus frileux. Il faut qu’ils soient incités à soutenir les jeunes dans leur première installation”, suggère Gilles Bonnefond.

A 38 ans, Yorick Berger a son officine à Paris. Mais il comprend parfaitement les réticences des jeunes. “Aujourd’hui, ils ne voient que des emmerdes dans le libéral. En tant que titulaire, ils font au minimum des semaines de 60 heures. Et en plus, ils se demandent quelle valeur aura demain ce qu’ils achètent… Aujourd’hui, les officines doivent faire face à une vraie problématique économique. Elles ont été achetées trop cher par des titulaires qui n’ont plus les moyens de rembourser leurs emprunts. Et comme ils ne trouvent pas de successeur, ils rendent leur licence. Mais même pour ça il faut payer. Ça coûte autour de 50 000 euros !”, explique ce pharmacien qui a créé avec d’autres, le collectif Ma pharmacie ne fermera pas.

“Sans parler de la démographie médicale. Dans les zones rurales, le départ des médecins remet en question l’équilibre des officines ! Les médecins expliquent à tout le monde qu’ils peuvent tout faire… mais quand ils ne sont plus là, comment on fait ?”, raille Gilles Bonnefond. Dans son état des lieux, l’Ordre des pharmaciens note que même si l’exercice libéral ne cesse de décroître, un maillage du territoire est maintenu avec un tiers des pharmacies implantées dans des communes de moins de 5 000 habitants. Pour autant, la désertification médicale pose question parmi les pharmaciens. “Il faut mettre en place des stratégies adaptées au contexte. En milieu rural, il faut réfléchir à une organisation avec moins de professionnels de santé”, recommande le président de l’USPO.

 

En association, plutôt qu’en nom propre

“Dans des villes comme Paris, où vous tombez sur trois enseignes de pharmacie dès que vous levez le nez, il faut aller vers le regroupement des officines, plaide Yorick Berger. Avec des personnes qualifiées, spécialisées, capables d’assurer le suivi des ALD. S’associer permet à la fois aux plus âgés de prendre leur retraite, et aux plus jeunes de s’installer en réduisant les risques avec un système de rachat progressif de parts, par exemple.” L’exploitation des officines en association plutôt qu’en nom propre est d’ailleurs une tendance observée par l’Ordre. Depuis 2008, le nombre de structures exploitées en association a augmenté de près de 4 000, alors que le nombre de pharmacies en nom propre a diminué d’autant.

Dans les zones rurales, il plaide pour des pôles de santé avec des médecins, des paramédicaux et des pharmaciens. Un renforcement du rôle du pharmacien dans la coordination des soins, c’est ce que demande aussi l’Association nationale des étudiants en pharmacie. “Les pharmaciens ont un rôle à jouer, avec des nouvelles missions à rémunérer, assure David Ruczkal. Les jeunes veulent des missions de professionnels de santé, pour passer plus de temps à faire du suivi, de la prévention, de l’éducation. Développer l’interprofessionnel, la coopération avec les autres professionnels de santé fait partie des attentes des jeunes pharmaciens. C’est dans ce sens qu’il faut aller pour les inciter à s’installer.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne