Entrée en vigueur en janvier dernier, mal comprise par les patients peu informés, la réforme de la rémunération basée sur des honoraires de dispensation par boîte de médicament et par ordonnance clive les opinions. Et partage les syndicats entre eux.

 

“Je n’ai jamais prononcé ces mots, je dément formellement. Je n’ai jamais dit que les pharmaciens se mettaient directement les honoraires dans la poche. Je n’ai jamais parlé de racket”. Gilles Bonnefond, le président de L’Union syndicale des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO), a la voix fatiguée de l’homme qui en a assez de devoir se justifier après qu’un article de l’Humanité du 15 mai dernier, sobrement intitulé “Révélation. Un nouveau racket sur le dos des malades”*, le met en cause auprès de ses confrères. Il y tient un discours très critique sur la réforme des honoraires de dispensation, “une réforme ratée, en trompe l’œil” qui n’a servi à rien qu’à créer la polémique, continue-t-il à dire aujourd’hui.

Le journal lui fait tenir des accusations – qu’il conteste en les qualifiant de “caricaturales” – sur les honoraires de dispensation, cette réforme du mode de financement en officine, mise en place au 1er janvier dernier. Il est vrai que la charge du journal communiste relève plus du pilonnage idéologique que de l’information objective, mais le problème c’est qu’une chronique économique de France inter, dans la foulée, a poursuivi dans la même veine à 6 h 45 le matin, en évoquant “une sorte de commission” accordée au pharmacien pour qu’il délivre une ordonnance. “Les pharmaciens avaient-ils vraiment besoin de ça ? “, s’interrogeait la chroniqueuse matinale avant de conclure : “C’est tout bénef pour eux”. Voilà donc comment a été saluée l’entrée en vigueur de la réforme de la tarification en officine, chantier qui a demandé deux ans de négociations conventionnelle avec la CNAM, après que les nouvelles missions du pharmacien ont été décrites dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2012.

 

Emoi dans la profession

Depuis le 1er janvier, les ordonnances ont, à leur verso, un ticket vitale comportant une colonne supplémentaire dans laquelle les patients pourront identifier l’honoraire perçu par le pharmacien pour chaque boîte de médicament délivré (prescrit ou non), soit 0,82 euros jusqu’au 1er janvier prochain, puis 1,02 euro. Un autre honoraire de 0,51 euro est également applicable pour la délivrance d’une ordonnance complexe (5 produits ou plus) qui sous-entend, éventuellement, l’édition d’un plan de posologie pour le patient. Tous ces honoraires sont pris en charge par l’assurance maladie et les organismes de protection complémentaires. La franchise de 0,50 euro par boîte de médicament est toujours en vigueur.

Ces nouveaux honoraires liées aux missions des pharmaciens, sont accordés en contrepartie d’une révision de l’historique marge dégressive lissée (qui passe respectivement de 26,10 % à 25,5 % et de 10 % à 8,5 %). Cette révision a pour but de compenser l’accroissement de la part forfaitaire dans la rémunération globale du pharmacien, actuellement de 12,5 % cette première année, et qui doit atteindre 47 %. L’effet de cette réforme est à marge nulle, ce que les articles de presse n’ont pas dit, ou très mal.

Du coup, à la suite de ces articles de presse, l’émoi dans la profession a été tel que la présidente de l’Ordre des pharmaciens, Isabelle Adenot, s’est sentie obligée de défendre l’honneur de l’officine, en rappelant à ces journalistes que leur déontologie leur impose de “vérifier les faits” en étudiant les textes fondateurs de cette réforme, issue de la convention pharmaceutique, elle-même induite par la loi HPST. Convention toujours approuvée par le gouvernement.

Le principe d’une modification en profondeur de la rémunération du pharmacien d’officine est lié à une transformation, également en profondeur, du marché du médicament, sous l’impact de la politique de maîtrise des dépenses. On relève depuis trois ans, surtout, d’énormes baisses de prix sur les médicaments remboursables et les génériques, produits les plus contributeurs à la marge bénéficiaire, alors que le marché est quasiment stable en volume.

 

Des mesures “meurtrières” qui coûteront 13 700 euros par pharmacie

En 2014, selon l’Union nationale des pharmaciens de France (UNPF), la chute de la marge aura été de 230 millions, rapporte pharmanalyses.fr, ce qui représente une perte de 6 000 euros par officine. Les Echos Etudes affirment en outre que la tendance baissière sur le marché ville pour le médicament remboursable devrait se poursuivre entre – 2,5 % et – 3 % jusqu’en 2017.

Par ailleurs, le médicament non remboursable continue d’afficher des évolutions négatives, comme en 2013 : – 4,8 % en unités et – 3,1 % en chiffre d’affaires. Enfin, après la signature de la convention pharmaceutique, la loi de financement 2015 de la sécurité sociale a affiché un plan d’économies supplémentaire de 3,2 milliards d’économies sur l’assurance maladie, dont la majeure partie repose sur des baisses de prix et de volume du médicament… L’UNPF considère que ces mesures “meurtrières” coûteront 300 millions de marge, soit 13 700 euros par pharmacie. Dans son ensemble et vu ce contexte, on conçoit aisément que la pharmacie d’officine ait été demandeuse d’une réforme du mode de rémunération, susceptible de ne plus faire reposer exclusivement son modèle économique sur le prix et le volume de produits délivrés.

L’honoraire de dispensation s’inscrit dans ce contexte comme l’est également la ROSP (rémunération sur objectif de santé publique), rémunération annexe du pharmacien d’officine, qui rétribue la substitution par des génériques d’une part, et le suivi de patients sous AVK ou des patients asthmatiques ensuite. Versée en avril, la rémunération ROSP générique a été en moyenne de 6 058 euros par officine (+ 6 % par rapport à 2013). La prime suivi d’AVK et asthme (40 euros par patient inscrit au programme, pour deux entretiens) doit être versée en juillet. “Soit, 18 mois après la réalisation des entretiens, c’est beaucoup trop long”, maugrée Philippe Besset, le vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), seul syndicat signataire de la réforme de la tarification. “La nouvelle rémunération est une réforme positive, affirme-t-il. L’USPO, syndicat minoritaire, tient toujours le même discours. Mais il faut aller encore plus loin”. “Dès le départ, la réforme est meilleure que l’ancienne marge, de plus de 50 millions d’euros par an”, affirme le syndicat.

“Les effets positifs de la réforme vont être absorbés par les mesures d’économie sur le médicament”

S’appuyant sur le panel Pharmastat (14 000 pharmacies en janvier dernier), qui a procédé à un comparatif entre la rémunération moyenne ce mois, avec la première étape de la mise en œuvre des honoraires de dispensation et celle qui aurait été obtenue si rien n’avait changé, le syndicat met en évidence un petit plus de 195 euros (22 105 euros et 22 300 euros). Alors que sans réforme, plaide-t-il, le pharmacien “aurait perdu 1,5 % de sa rémunération”. Mais d’ajouter : “Les effets positifs de la réforme vont être absorbés par les mesures d’économie sur le médicament (…) Et en plus, on nous prépare un deuxième plan d’économies pour 2016. Il est urgent d’aller au-delà pour compenser les baisses de prix !”.

Des calculs que Gilles Bonnefond, de l’USPO, ne reprend pas à son compte. A l’entendre, la réforme a deux défauts majeurs : elle est d’une part, incomprise des patients. Certes, un affichage dans la pharmacie est prévu en juillet prochain, mais il redoute le passage de l’honoraire à 1 euro l’an prochain. Ensuite, elle est “inefficace. L’objectif de la réforme était un décrochage des volumes et des prix. Or, elle nous propose la perception d’un honoraire par boîte. C’est tout l’inverse, défend-il. C’est une réforme ratée, l’honoraire est lié à la délivrance d’une marchandise, il ne vient pas récompenser un acte intellectuel. Elle ne sert à rien, on note déjà une perte de 2,5 % de la marge du pharmacien”.

Le président de l’USPO met tout en œuvre pour que la deuxième tranche, à 1,02 euro, n’entre pas en vigueur en janvier prochain. Déjà, à son appel, 7 642 lettres (sur les 22 700 pharmaciens de France), ont été envoyées au directeur de l’UNCAM, pour qu’il sursoie à cette deuxième tranche et envisage, avec l’UNPF, une autre réforme, basée notamment sur une rémunération bonifiée par ordonnance, réévaluée régulièrement afin de compenser la baisse de prix. “La signature de cette convention s’est faite alors que le directeur de la CNAM, Frédéric Van Roekeghem, terminait son mandat, il n’y a pas eu d’explications auprès des pharmaciens…” justifie Gilles Bonnefond.

A l’inverse, on estime à la FSPF, que les “atermoiements de certains ont fait perdre un an à la réforme”, qui aurait dû débuter au 1er janvier 2014. On y fait également observer que le passage délicat entre les deux systèmes, tous les deux en tiers payant, s’est très bien passé. Pas de bugs notifiés. “Retarder l’application de la deuxième tranche d’application de l’honoraire de dispensation, reviendrait à pénaliser les pharmaciens”, ajoute-t-on.

 

Honoraire à l’ordonnance ?

Un rendez-vous est prévu en septembre prochain, avec le nouveau directeur de la CNAM, pour faire le point de la réforme. Et Philippe Besset entend bien réclamer une nouvelle étape permettant de compenser la coûteuse contribution acquittée par les officines, du fait des plans de maîtrise des dépenses et ses baisses drastiques de prix du médicament.

“Cette réforme, c’est l’intérêt économique des pharmaciens. La marge dégressive lissée est accrochée aux prix et lorsqu’ils baissent, la marge baisse. Voilà pourquoi nous avons voulu accroître la part forfaitaire dans la rémunération, mais il faut aller encore plus loin, en décrochant des volumes”, explique-t-il. Au nom de la FSPF, il va demander d’une part, une compensation financière qui prendrait la forme d’une augmentation forfait à la boîte ou à l’ordonnance complexe, et la poursuite de la forfaitisation à la mission. Les médecins n’ont pas voulu que les officinaux procèdent aux vaccinations, il leur reste le dépistage avec les tests rapides (angine, grippe, cholestérol ou sida), et un rôle à jouer dans le parcours de soins, avec une entrée par l’automédication.

Mais l’USPO défend une autre voie : un honoraire à l’ordonnance et le développement de nouvelles missions et services pour les patients à domicile. Le syndicat veut par ailleurs, optimiser les capacités de négociation pour les achats, en renforçant le rôle des groupements.

Mais pour eux comme pour les médecins, les caisses sont vides. Délicates négociations avec la CNAM en perspective.

 

* Lien vers l’article “Révélation. Un nouveau racket sur le dos des malades : cliquez ici.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : C.L B