A priori, la grève et le grand rassemblement d’aujourd’hui jeudi devraient faire le plein. Lancé contre le plan stratégique de l’Assistance-publique – hôpitaux de Paris (AP-HP) et la réforme annoncée du temps de travail – la semaine des 35 heures – le mouvement est soutenu par l’intersyndicale CGT-SUD-CFDT-FO, soit l’ensemble des syndicats représentatifs. Il marque la fin de la trêve qui s’était fragilement installée entre le nouveau directeur Martin Hirsch et les personnels de l’AP-HP, après la période très tendue de la réorganisation contestée de l’Hôtel-Dieu.

 

Litote de dire que ce nouveau conflit est observé à la jumelle par Marisol Touraine. Intervenant mardi dernier à l’occasion du salon Santé Autonomie à Paris, la ministre de la Santé a tout fait pour faire refroidir les moteurs. “Je veux rappeler solennellement que le gouvernement est attaché aux 35 heures, à l’hôpital comme ailleurs. Il n’est pas question de remettre en cause leur cadre réglementaire” a-t-elle déclaré lors d’une intervention particulièrement emphatique vis-à-vis du service public hospitalier, qui sera conforté par la future loi de santé.

 

Un dialogue social “approfondi”, promet Touraine

“L’un des grands enjeux pour l’hôpital sera d’inventer de nouvelles organisations du travail”, ce qui doit intervenir à l’issue d’un dialogue social “approfondi”, a-t-elle insisté. Voulant calmer les inquiétudes des personnels, qui ne voient pas comment faire des économies sans toucher à la masse salariale et donc aux emplois, aux RTT ou aux jours de congés, Marisol Touraine a garanti qu’une fois passé le recrutement par l’AP-HP depuis 2012, de 5 700 médecins et 24 000 soignants en plus, “l’évolution de la masse salariale dans les années qui viennent (sera) compatible avec une stabilité globale des effectifs dans les hôpitaux”. Une affirmation qui partage les Français. Selon un sondage Ipsos pour la Fédération hospitalière de France (FHF), 51 % d’entre eux estiment que l’on peut faire des économies à l’hôpital “en mettant en place certaines réformes”, mais 49 % considèrent que l’on ne peut faire des économies importantes “sans mettre en danger la qualité des soins”.

Voilà quelques semaines que Martin Hirsch, le pacificateur de l’Hôtel Dieu, a mis les pieds dans le plat au sujet des 35 heures, sous les encouragements, d’ailleurs, de la Fédération hospitalière de France, qui réclame depuis plusieurs mois une conférence nationale sur les 35 heures en vue d’une remise à plat de l’accord “coûteux” de 2002. Et avec l’appui de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). L’une comme l’autre, demandent une remise en cause de ce casse-tête d’organisation non encore réglé, induit par le particularisme des établissements de santé et de leur mode de financement encadré par un objectif national d’évolution des dépenses de santé, voté par la représentation nationale. Le pendant des 35 heures, qui devait être un coup de pouce à l’emploi, n’a pas été possible à l’hôpital où les RTT non prises se sont accumulées dans des comptes épargne temps, avec un rendez-vous délicat programmé pour les prochaines années, au moment des départs massifs et donc anticipé à la retraite des générations du baby-boom.

S’exprimant dimanche dernier dans le Journal du dimanche (JDD), après avoir exposé les grands principes de son action, un mois plus tôt, dans Le Figaro, le directeur de l’AP-HP n’a pas cherché à minimiser l’ampleur des efforts qui devront être accompli pour atteindre le retour à l’équilibre en 2016 – soit après les 125 millions d’économies de 2014, un nouveau gain d’efficience de 150 millions cette année. D’autres économies interviendront en 2016. En vertu du plan sur la Sécurité sociale annoncé par le gouvernement, les hôpitaux doivent effectuer 3 milliards d’euros d’économies en trois ans, et l’AP-HP pèse 10% des budgets hospitaliers.

 

Martin Hirsch ne veut pas d’un hôpital sans RTT

Mais Martin Hirsch a tout de suite prévenu, lui aussi, qu’il ne voulait pas d’un hôpital sans RTT, et qu’il ferait aux délégations syndicales, particulièrement virulentes en cette veille de grève, des “propositions équilibrées en ce sens”. Sa botte secrète : “une meilleure organisation du travail qui devrait permettre d’épargner de 20 à 25 millions d’euros par an, sans suppressions de postes”. Mais induirait un ralentissement de la progression de la masse salariale, entre 1 et 2 % par an, contre + 2,23 % en 2014.

Car selon le directeur général de l’AP-HP, “l’hôpital est passé aux 35 heures sans changer son organisation”. Le résultat, c’est que des milliers de jours s’accumulent sur des comptes épargne temps (CET) faute de pouvoir être pris. Où, s’ils sont pris en RTT ou en récupération, conduisent à embaucher des intérimaires. “On a gardé les mêmes horaires en se disant qu’on verrait bien. Cela a tenu dix ans, mais cela ne tient plus”, a-t-il fait valoir dans le JDD.

Les hospitalisations de jour, les soins ambulatoires, l’accès aux plateaux techniques, aux IRM ont considérablement modifié la donne depuis 2002 et l’hôpital est toujours désorganisé, et les personnels souffrent. “Notre organisation génère de la tension, un absentéisme d’usure, une instabilité quand on change les plannings au dernier moment et que l’on doit faire revenir des agents sur leurs jours de congés”, reconnaît Martin Hirsch, qui constate, tout comme les représentants syndicaux, “une grande insatisfaction des conditions de travail”. Interviewé ce jeudi matin sur France Inter, Patrick Pelloux, l’urgentiste de l’AMUF, a rappelé que” près de 75 % des urgentistes étaient en situation de burn out. Les personnes travaillent jour et nuit, les week-end, la semaine. Ils ne peuvent pas prendre leurs RTT et les heures supplémentaires ne sont pas payées”, a-t-il déploré.

Situation que ne cessent de dénoncer les représentants des délégations syndicales. La secrétaire générale de l’Union syndicale CGT de l’AP-HP, Rose May Rousseau, se fait le porte-parole des personnels en évoquant leur lassitude, et leur angoisse de voir disparaître des RTT ou des congés, autant d’acquis sociaux qui leur permettent de “tenir la tête hors de l’eau”.

Les syndicats, en effet, ont calculé que la réorganisation souhaitée par le directeur, se payerait jusqu’à 10 jours de RTT, voire davantage dans certains cas. “Je n’ai pas d’hypothèse aussi élevée (…) , leur répond-t-il. Nous ferons des propositions équilibrées. Nous raisonnons d’abord en fonction des activités médicales, ce qui correspond aux besoins des patients.”

 

Pas de passage en force

Martin Hirsch évoque, notamment, la chirurgie ambulatoire, et la nécessité pour les équipes, de travailler selon des plages horaires qui correspondent au temps de prise en charge, “plutôt que de voir se relayer deux équipes”. Autre exemple, développé dans Les Echos : la concordance des temps nécessaire quand le chirurgien, l’anesthésiste, le brancardier, l’infirmier s’attendent les uns les autres. “Ce temps mal coordonné coûte cher. Je souhaite entraîner l’AP-HP à la reconquête du temps perdu”, exhorte-t-il. Là encore, Patrick Pelloux met un bémol. Des réformes et des réorganisations, il y en a eu beaucoup par le passé, at-t-il fait valoir, à commencer par la transformation des services en pôles, par la loi Bachelot. “Mais à chaque fois, cela s’est traduit par une sur-administration, une organisation pléthorique”. L’urgentiste a affirmé que son organisation avait des propositions à faire, mais il redoute que, comme par le passé, les décisions se prennent dans un petit cercle, sans écouter les professionnels concernés. “Il faut se mettre autour d’une table”, a-t-il insisté.

Martin Hirsch sait bien qu’il va commencer à marcher sur un lit de braises. A ceux qui jouent bien le jeu, il promet des contreparties, notamment “un renforcement de l’encadrement de proximité car les cadres de santé sont au cœur de toutes les tensions de l’hôpital et nous devons les aider”.

Alors qu’un accord des partenaires sociaux n’est pas juridiquement nécessaire pour appliquer la réforme, le directeur général affirme avec force qu’il ne souhaite pas passer en force et qu’il a fait le choix “de ne pas retenir la suppression d’emplois comme variable d’ajustement”.

De son côté, à la veille du mouvement de grève, la représentante de l’Union syndicale CGT prévenait sans détours : “Le 21 mai n’est qu’une étape de la bataille. L’enjeu est national”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne