Pendant plus d’un an, le Dr Suzanne a été victime de harcèlement de la part de son chef de service. Violence verbale, insultes devant les patients, lettres calomnieuses à la direction. A l’image de cinq de ses collègues, elle a fini par accepter d’abandonner l’hôpital, et sa spécialité avec. Aujourd’hui, elle a tourné la page et suit une formation pour devenir médecin généraliste.

 

“Je ne supportais plus ce que je vivais à l’hôpital, je ne pouvais plus rester.” Le Dr Suzanne* a exercé pendant sept ans en hématologie pédiatrique à l’hôpital. “Les derniers mois, j’étais victime de harcèlement de la part de mon chef de service. Ça a été long, mais j’ai fini par m’en aller.” A l’image de plusieurs médecins de son équipe. “J’étais la cinquième à partir en 18 mois”, confie-t-elle.

Après le départ de ses collègues, les relations avec le chef de service deviennent vite invivables. “Il y avait une rupture complète de communication. A tel point qu’un autre chef de service a été missionné par la Commission médicale d’établissement pour essayer de débloquer la situation.” Après avoir rencontré les membres de l’équipe individuellement, il tente d’organiser une réunion pour parler des démissions et des problèmes rencontrés. “Mais une assistante s’est sentie très mal à l’aise et est allée en parler à notre chef de service, avant même que l’autre ait eu le temps d’officialiser les choses. Il était furieux.” Quelques jours passent. Jusqu’à ce qu’une infirmière rapporte au Dr Suzanne que le chef de service s’est mis en colère contre elle devant la famille d’un enfant qu’elle suit. “Je suis allée dans son bureau pour voir ce qu’il avait à me dire. Je suis quelqu’un qui a besoin de dire les choses. Mais pas lui. Il ne supporte pas la confrontation. On parle du patient, c’était une situation palliative difficile, mais on débroussaille le problème… Sauf qu’au moment où j’allais sortir, il devient violent, se met à me crier dessus en m’accusant d’avoir demandé cette réunion. J’ai été obligée de hurler, ce qui ne m’arrive jamais, pour me faire entendre. J’étais tellement nerveuse que si j’avais eu quelque chose sous la main, j’aurais pu le balancer à travers la pièce”, raconte la jeune femme d’une voix douce et posée. La fin de l’échange est lapidaire : “Tu as choisi ton camp. Ce sera vous ou moi”, lâche le chef de service.

 

“J’ai pensé à arrêter la médecine”

A partir de ce jour, les tensions ne cessent de monter. “Il a été jusqu’à écrire une lettre à la direction où il mettait en cause mes compétences et celles d’un collègue. Il nous accusait d’erreurs dans les prises en charge, de ne pas mettre à jour nos compétences.” Mais sur le moment, les deux médecins concernés ne sont pas informés de ces accusations. “On a appris l’existence de cette lettre par un mail de l’autre chef, qui nous disait que notre chef de service avait été très violent à notre égard, et qu’il ne pouvait donc plus maintenir la réunion.” Les deux médecins ne savent plus quoi faire. “On est allés voir la direction, qui nous a dit qu’effectivement, le comportement de notre chef de service était inadmissible et anti déontologique, mais qu’on ne pouvait rien contre lui. Puis, ils nous ont dit “Vous êtes jeunes, si vous le souhaitez, on vous aidera à partir.” Le collègue du Dr Suzanne se met à chercher un poste ailleurs. Elle, ne pense pas encore à s’en aller. Malgré les conditions de travail, elle aime sa spécialité. Elle pense alors à changer de service. Elle fait une demande en ce sens, et attend. Plusieurs mois. Sans réponse. Jusqu’à ce qu’elle apprenne que son chef de service s’y est opposé.

“C’est là que j’ai décidé de quitter l’hôpital. J’ai même pensé à arrêter la médecine. Il était très violent, il parlait mal de moi aux familles de mes patients, à mes collègues.” Entre temps, son collègue trouve un poste en Grande-Bretagne. “Je me suis retrouvée très seule. Je ne dormais plus, je pleurais tout le temps. Dès que j’arrivais au travail, j’allais vomir. Dès que j’avais une décision à prendre, je me disais que j’allais faire une erreur et qu’il n’attendait que ça. Je n’avais plus confiance en moi.” Finalement, elle se décide à aller voir son médecin et le médecin du travail. Elle sera arrêtée six mois.

 

Culpabilité

Loin du conflit, le Dr Suzanne se reconstruit lentement. “J’ai beaucoup culpabilisé d’abandonner mes patients, mes collègues. J’ai mis un mois à l’accepter. Ensuite, il m’a fallu du temps pour mettre le mot ’harcèlement’ sur ce que j’avais vécu.” Son médecin refuse qu’elle retourne travailler tant qu’elle n’a pas mis un nouveau projet professionnel sur pied. Lentement, elle se met à envisager son avenir. “J’avais commencé un internat de médecine générale, et j’avais aimé. Et puis je disais tout le temps aux pédiatres avec qui je travaillais qu’ils avaient de la chance d’avoir la possibilité d’exercer en libéral. Une liberté d’exercice que je n’avais pas avec ma spécialité…” Elle se met alors à penser à une reconversion à la médecine générale.

Sur les conseils d’une responsable syndicale, elle prend contact avec le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers. “Ils ont finalement estimé que ce qui m’était arrivé n’était pas normal, et m’ont proposé une mise en détachement pour me réorienter.” Par le Conseil départemental de l’Ordre, elle apprend l’existence d’une formation de qualification à la médecine générale. Une sorte de passerelle qui pourrait lui permettre d’exercer. “Quand j’ai su que j’étais acceptée, j’étais prête à retourner travailler à l’hôpital. C’était important pour moi de dire au revoir à mes collègues, à mes patients. De partir proprement.” Elle pense revenir pour six mois. En fait, la direction se rend compte qu’elle a accumulé 4 mois et demi de RTT et de congés non-soldés. Elle restera moins de deux mois. “Dès le lundi où je suis revenue, mon chef m’a sauté dessus. Il était hystérique. Il m’a demandé ce que je faisais là, il aurait voulu que je reprenne plus tard.” Ensuite, elle fait tout pour l’éviter. Puis les jours ont passé, jusqu’au départ. “Le dernier jour, je n’ai fait que pleurer. Les collègues voulaient faire un pot de départ, mais j’en étais incapable. Ce n’est pas facile de tourner la page de sept ans d’une spécialité qu’on a choisi et aimé”.

Depuis sept mois, le Dr Suzanne partage ses journées entre un stage dans le cabinet d’un quartier populaire et les cours universitaires de médecine générale. “Après une période aussi difficile, la formation fait beaucoup de bien. Aujourd’hui, tout ça est derrière moi et je me rends compte que je suis compétente, que j’ai un bon contact avec les gens, que je suis capable d’être médecin.” Dans quelques mois, elle reprendra le travail, comme médecin généraliste. Probablement remplaçante pour commencer, histoire de se donner le temps. En attendant, elle profite de cette parenthèse. “C’est une sorte de sas, une manière de passer par le petit bain avant de retourner dans le grand.”

 

* Le nom a été modifié

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier