Pour calmer les médecins libéraux, un amendement gouvernemental à la future loi de santé, prône notamment, le déploiement, sous l’égide de l’assurance maladie ” d’une solution technique commune permettant d’adresser aux professionnels de santé ayant fait ce choix, un flux unique de paiement”… Mais le terme est tellement ambigu qu’il déplait aux médecins autant qu’aux complémentaires.

 

Avec le vote de la future loi de modernisation de notre système de santé (ex loi de santé) en première lecture fin mars par l’Assemblée nationale, en est-il fini du combat mené par les professionnels de santé libéraux contre le tiers payant généralisé (TPG) qui doit devenir un droit pour tous les Français au 30 novembre 2017 ? A priori, on est loin de l’apaisement, tant les choses sont encore en suspens pour la mise en place du dispositif.

Plusieurs motifs de refus avaient motivé et construit l’énorme mouvement social, contre le TPG, qui a commencé à poindre à l’automne 2014. Se basant sur leur propre expérience et sur les études menées par l’observatoire du tiers payant, initié par l’UNOF-CSMF, qui a mis en évidence les “couacs” du système, et les délais de paiement aléatoires, les médecins généraliste refusent un système conduisant à une perte de temps considérable – pour la vérification des droits du patient puis et la vérification de l’encaissement des actes – et de surcroît peu sûr. D’où, aussi, un temps consacré aux réclamations.

 

Un système simple qui reste à construire

A la Réunion, par exemple, où le tiers payant social est particulièrement répandu, près de 10 % des actes de médecine de proximité ne sont jamais honorés. Alors même qu’il y a dix fois moins d’organismes de mutuelles et assurances qu’en France métropolitaine, qui en compte près de 600. Cette vérification, source de perte de temps, nécessite du personnel que les médecins généralistes sont bien en peine de mobiliser pour cette tâche, poste fort coûteux. Il n’y a aujourd’hui, qu’un MG sur quatre en moyenne qui emploie une secrétaire. De plus, le TPG place le médecin libéral sous la coupe directe du financeur. “C’est la fin de la médecine libérale à la française” s’est d’ailleurs réjouie l’économiste de la santé Brigitte Dormont, dans une intervention qui a fait exploser le web.

Le président de la République et, à sa suite, tout le gouvernement, ont promis un système simple, efficace, fiable, pratique… Le seul problème est qu’il reste à construire. Soucieux de l’enjeu, les organismes de protection complémentaire qui ne voulaient pas être placés sous la coupe de l’Assurance maladie, ont conclu en février dernier, une plateforme, accompagnée d’un calendrier de montée en charge, tenant en trois points : une garantie de paiement grâce à la reconnaissance automatique des droits, un engagement en matière de délais de paiement et une assistance aux professionnels de santé. Ce qui nécessitait un double flux, pour la protection obligatoire et complémentaire. Donc, pour le professionnel de santé, une double saisie. Proposition refusée.

 

Un flux unique, piloté par l’assurance maladie

Qualifiée d”usine à gaz” la plateforme, il est vrai essentiellement théorique et déclarative, a été retoquée par les syndicats médicaux, restés campés sur leur refus. “La généralisation sous cette forme, nous n’en voulons pas et nous ne l’utiliserons pas, a tonné Claude Leicher, le président de MG France, pourtant idéologiquement proche du tiers payant. Nous voulons un dispositif CMU-like, aussi simple et facile. Une carte dans le serveur qui assure le remboursement des parts obligatoires et complémentaires, et c’est tout”, ajoutait-il. Dans son ouvrage, La fin de notre système de santé, co-écrit avec Daniel Rosenweg, le président de la FMF, Jean-Paul Hamon, idéologiquement éloigné du TPG, lui, enfourchait presque le même cheval en déclarant qu’il accepterait bien le tiers payant, dans un cadre de régime unique, avec, donc, un payeur unique. Un rêve…

Autant pour la CMU que pour l’ACS, la situation est bien plus simple que celle qui se profilera, dans le cadre de l’extension à toute la population. “Dans le dispositif CMU, c’est l’assurance maladie qui fait l’avance de frais, explique Emmanuel Roux, le directeur général de la Mutualité française. Les contrats sont les mêmes pour tous, sur tout le territoire, l’assurance maladie sait ce qu’elle va rembourser”. L’extension, cela voudra donc dire, énormément de mutuelles, près de 600 et énormément de contrats avec des garanties différentes à prendre en compte. Un véritable casse-tête.

Pour calmer les médecins, un amendement gouvernemental de dernière minute a été glissé lors des débats dans l’hémicycle, censé remettre les pendules à l’heure. Cet amendement N° 1725 à l’article 18 du projet de loi, donne le calendrier du déploiement, et pose “qu’au plus tard le 31 octobre 2015”, assurance maladie, mutuelles, assurances privées et institutions de prévoyance devront remettre à la ministre de la Santé, un rapport “présentant les solutions techniques permettant la mise en place du mécanisme du tiers payant simultanément”, sur les parts couvertes par les régimes obligatoires et complémentaires. “Il inclut nécessairement le déploiement d’une solution technique commune permettant d’adresser aux professionnels de santé ayant fait ce choix, un flux unique de paiement”… est-il surtout précisé. Flux unique, issu d’un mécanisme dont le pilotage sera assuré par l’assurance maladie, au grand dam du président de la Mutualité Française, qui estime que cette solution, proposée “en espérant un ralliement de dernière minute des médecins, oublie que le tiers payant ne pourra pas se faire sans les complémentaires”, et ne respecte pas “la réalité du co-financement des dépenses de santé”.

 

Les médecins “vont y perdre de l’argent”

Chou blanc pour la ministre donc, car MG France, l’interlocuteur privilégié pour le TPG, a une nouvelle fois réfuté la proposition, jugé trop floue en l’état.

Censée apaiser les esprits, cette phrase a au contraire, jeté de l’huile sur la braise. Ainsi pour Jean-Claude Labrune, président de Cegedim, une société qui, entre autre, fait de la gestion de tiers payant pour bon nombre de complémentaires, les médecins “vont y perdre de l’argent”. S’exprimant à l’occasion de la présentation des résultats financiers de son groupe, le PDG a estimé que, tel qu’il est conçu, le mécanisme n’offrira “aucune sécurité de remboursement, car aucun logiciel n’est en mesure de faire le rapprochement entre les sommes que les médecins enverront dans le flux et celles qui leur seront remboursées”. Pour le patron de Cegedim, dont les propos ont été repris dans Prescription santé, les députés devraient s’abstenir de légiférer sur des sujets “auxquels ils ne comprennent rien”.

Sur ce sujet des flux éclatés ou unique, le directeur de la Mutualité française marche main dans la main avec les autres organismes de protection complémentaire. Ils ont en effet constitué entre eux une association des complémentaires, pour avoir une maîtrise d’ouvrage unifiée. Emmanuel Roux se dit d’ailleurs étonné du terme employé par l’amendement gouvernemental. “Si la ministre avait voulu clairement satisfaire les demandes des professionnels de santé, elle aurait employé le terme de flux de paiement unique, ce qui équivaut à un guichet unique. Dans ce cas, le professionnel a un seul interlocuteur, qui lui envoie une facture regroupant la part obligatoire et la part complémentaire.” C’est ce qui se passe pour les cliniques privées. Les caisses pivot remboursent à la clinique la totalité de la facture, et organisent ensuite la répartition financière.

Mais tel n’est pas le terme employé. Sous la notion “ambiguë” de flux unique de paiement, le directeur général de la Mutualité imagine deux flux, seule solution à ses yeux permettant aux complémentaires de garantir le paiement des professionnels de santé. C’est en tout cas l’hypothèse sur laquelle les complémentaires veulent travailler. Un éclatement des flux à l’aller, vérification des droits en un clic auprès des organismes et au retour, une “réconciliation de l’information sur le logiciel du professionnel de santé. Cela se fait déjà pour les opticiens ou les dentistes. Ils peuvent interroger les mutuelles pour connaître les droits des patients, nous voulons étendre le dispositif aux généralistes”, relate le directeur.

 

“S’il signifie flux de paiement unique, cela ne marchera pas”

Car le tiers payant fait reposer le risque financier sur le médecin, explique Emmanuel Roux. Ce dernier doit avoir la garantie de paiement et donc, la possibilité d’interroger les financiers sur les droits des patients en régime obligatoire et complémentaire. Pour lui, le guichet unique “présente des risques. Si le terme choisi signifie information unifiée, nous pouvons être d’accord. Mais s’il signifie flux de paiement unique, cela ne marchera pas”, ajoute-t-il.

L’affaire, on le voit, est loin d’être tranchée. Alors que le Sénat doit se pencher sur la future loi de modernisation de notre système de santé en septembre, le rapport sur le tiers-payant listant les différentes hypothèses doit être remis à la Marisol Touraine en octobre. Voilà qui laisse bien peu de temps.

Le calendrier de montée en charge du TPG sera-t-il tenu ? Sans cacher qu’en termes de timing, cela sera très contraint, le directeur de la Mutualité rappelle que, déjà, “beaucoup de choses ont été faites. Le changement, c’est qu’il va falloir apporter une garantie de paiement en temps réel, et une information pour que le professionnel de santé puisse vérifier simplement que la facturation a bien été effectuée.” Il ajoute qu’il sera essentiel que les partenaires de la maîtrise d’ouvrage s’entendent bien. Seule condition pour réussir la construction d’un logiciel permettant la “réconciliation de l’information sur les paiements en ligne”. Espérons-le donc avec lui.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne