Depuis début mars, quatre étudiantes en médecine de l’institut français de Cluj ont tenté de mettre fin à leurs jours. Deux y sont parvenu. Dans cette fac, qui n’accueille pas moins de 500 étudiants français, c’est le choc. Envoyé sur place en cellule de crise, le psychiatre Pascal Pannetier a constaté un mal-être et une pression très forte chez ces étudiants qui, après avoir connu l’échec en France, ont tout misé sur cette filière de la dernière chance, sans aucune certitude sur leur avenir.
 

 

Pour les recalés du numerus clausus français, c’était l’eldorado. 500 jeunes français suivent actuellement leurs études de médecine à l’institut français de Cluj-Napoca, en Roumanie, dans l’espoir de pouvoir exercer en France. Pourtant, pour beaucoup de ces jeunes qui ont déjà connu l’échec de la Paces, la première année de médecine, le sentiment est plutôt à la désillusion. Très forte pression, peur de l’échec et incertitude quant à leur retour en France… Le quotidien des étudiants de Cluj est en réalité bien loin de l’eldorado.

 

Des suicides en cascade

Et c’est un dramatique fait-divers qui a permis de mettre la lumière sur ce malaise. Depuis début mars, deux étudiantes se sont donné la mort. Deux autres ont par ailleurs tenté de se suicider. Des “suicides en cascade” qui ont poussé la direction de l’institut français de Cluj et les autorités françaises à réagir. Une cellule de crise a été mise en place par le quai d’Orsay. L’ambassadeur de France, et le directeur de l’école ont, eux, décidé d’ouvrir les portes de l’université tout un week-end, pour inciter les étudiants à se confier. “Il fallait qu’on essaie de comprendre si un événement avait précipité les choses, ou si, comme le pensaient les responsables de l’Université roumaine, il ne s’agissait que d’une simple coïncidence”, explique Pascal Pannetier, psychiatre, envoyé sur place par le Quai d’Orsay.

Pour le médecin qui a reçu, en groupe ou individuellement, plus d’une centaine d’étudiants, il y a bien un mal-être qui s’est installé chez les étudiants en médecine de Cluj, qui subissent une très forte pression et sont confrontés à leur peur de l’échec. “Il y a une pression des études de médecine en général, explique le psychiatre. La France est particulièrement élitiste en ce qui concerne les études, et les études de médecine en particulier. Il y a toujours eu des burn-out, et des suicides parmi les étudiants de médecine. Et ceux qui vont en Roumanie, ont une pression d’autant plus forte, qu’ils ont déjà été en échec en France. Ils ont besoin de faire leurs preuves, de montrer que leur diplôme n’est pas galvaudé.”

 

“On n’a pas le droit à l’échec”

C’est aussi ce que laisse penser la lettre remise par Margaux, 24 ans, qui s’est pendue le 3 mars. “Elle explique qu’elle préfère vivre ailleurs que survivre ici et qu’elle ne voyait pas comment elle pourrait réussir à devenir médecin”, confie au journal Le Monde, son père, qui a créé une association pour venir en aide aux étudiants de l’étranger. “Cette étudiante était complètement surmenée, ajoute le docteur Pannetier, elle préparait à la fois son diplôme roumain et l’ECN français. Et comme elle n’y croyait pas trop, elle projetait en plus d’aller s’installer en Suède. Donc, elle apprenait aussi le suédois.”

Thibault*, étudiant en quatrième année à Cluj, décrit aussi ce surmenage. “On travaille tous beaucoup, parce qu’on n’a pas le droit à l’échec, écrit-il à Egora. C’est inimaginable d’avoir quitté la France et de revenir en ayant échoué en Roumanie, encore une fois. Donc, on se met beaucoup de pression, on ne s’accorde pas ou très peu de temps libre. On revit la première année de médecine.”

En rencontrant les étudiants, le Dr Pascal Pannetier a fait le même constat. “Pour ces étudiants, il n’y a plus qu’une seule chose qui compte : bosser, bosser, bosser. Or, ils sont à l’étranger, dans un environnement très difficile, ils ont une pression sociale roumaine… Et ils s’oublient, ils ne pensent qu’à leurs études. Mais à un moment, il faut qu’ils puissent s’oxygéner la tête, avoir des liens personnels, des liens culturels, faire du sport. La plupart des étudiants de 5eme année arrêtent de faire du sport, coupent les ponts avec la société roumaine. Ils sont là uniquement pour leurs études.”

 

“Ce n’est pas un diplôme au rabais”

Depuis 2013, les étudiants de Cluj peuvent, en fin de cycle, présenter l’examen classant national, et espérer faire leur internat en France. Seulement, l’an dernier, le meilleur étudiant de Cluj, n’est arrivé que 4500ème sur 8000 candidats. En cause, selon les étudiants, les conditions de préparation qui ne sont pas les mêmes qu’en France. Déjà, les étudiants de Roumanie n’ont pas accès au Sides, la plateforme pédagogique qui permet aux étudiants de se préparer en ligne. Enfin, ils doivent aussi assurer leur cursus roumain qui est très contraignant. “Il y a une très forte pression de l’université roumaine qui exige la présence dans tous les cours, précise Pascal Pannetier. Cela fait deux gros examens à passer en même temps. En fait, les étudiants de Cluj travaillent énormément. Ce n’est pas un diplôme au rabais qui a été acheté, comme le pensent beaucoup de Français.”

Pour le psychiatre, les carabins de Roumanie souffrent énormément du manque de considération que leur accorde la France. “Il y a une vraie hypocrisie. D’un côté, on accueille énormément de praticiens étrangers en France. De l’autre, on reste sur un numerus clausus d’un autre temps et on marque au fer rouge ces étudiants qui sont partis à l’étranger et veulent revenir en France.”

 

“Les étudiants arrivent, euphoriques d’avoir une nouvelle chance”

Face au mal-être ambiant, des décisions d’urgence ont été prises au sein de l’Institut français. Un groupe d’étudiant a mis en place une ligne d’écoute, ouverte 24h sur 24. “Il s’agit de pairs vigiles qui sont là pour écouter tous les problèmes des étudiants, que ce soit des problèmes psychologiques, ou des difficultés pédagogiques, ou avec l’université. Le problème de ces étudiants, c’est qu’ils ont difficilement accès à un médecin. La psychologue de l’université est une de leur professeur, ce qui complique les choses. Et il y a peu de psy à Cluj, et aucun francophone.”

De son côté, Pascal Pannetier va mettre en place une téléconsultation pour les étudiants qui le souhaitent. Et il retournera très probablement à Cluj, à la fin du mois de mai, pour poursuivre sa mission. En attendant, il exprime son inquiétude pour les jeunes déçus de la Paces qui voient en la Roumanie, la solution idéale. “Les étudiants arrivent, euphoriques d’avoir une nouvelle chance. Mais ils n’avaient pas anticipé le fait que la pression et les difficultés allaient les rattraper en fin de cursus. Personne n’a anticipé cela, ni les étudiants, ni leur famille, ni les autorités roumaines ou françaises. Mais, il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas plus facile de réussir là-bas.”

 

*Le prénom a été modifié

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu