Tout petit, déjà, Philippe Dufour disait qu’il serait dessinateur ou médecin. Aujourd’hui grand, il a en fait décidé de ne pas choisir et de conjuguer ses deux passions. Médecin généraliste, il n’a jamais cessé de faire de la bande dessinée. Il a même donné naissance à Eugène Héralist, médecin de famille, surmené et passionné.

 

Découvrez une page des aventures d’Eugène Héralist sur le site internet de DUF.

 

D’aussi loin qu’il se souvienne, Philippe Dufour a toujours dit que quand il serait grand, il ferait de la médecine ou du dessin. “J’avais un grand père qui dessinait, mais pas de manière professionnelle. J’ai très tôt été passionné par le dessin. J’ai appris à lire avec la BD. Je lisais Tintin, Astérix… Et j’ai appris à dessiner en recopiant les couvertures du Journal de Mickey”, se rappelle le Dr Dufour. Mais le goût pour la médecine était tout aussi présent.

Si bien qu’à la fin du lycée, lorsqu’il a fallu songer à des études, le dilemme s’est posé. “Mes parents ne voyaient pas trop quelles études il fallait faire pour le dessin. On a regardé un peu et la seule école qu’on a trouvée était en Belgique.” Pour le jeune garçon originaire de la Nièvre, ça fait un peu loin. Ce sera donc médecine à Dijon. “Mais ce n’était pas un choix par défaut, j’avais très envie de faire médecine”, tient à souligner le Dr Dufour.

 

“Pendant toute la durée de mes études, je dessinais”

D’autant qu’il n’a jamais cessé de conjuguer ses deux passions. “Pendant toute la durée de mes études, je dessinais pour le journal de la corpo des étudiants. C’était une BD qui s’appelait L’externe fou. Bien sûr, ça racontait le stress des examens, les gardes mouvementées au Samu…” Des planches et des planches, qui ont fini par donner un album de 60 pages que DUF, de son nom d’artiste, a réédité plus tard.

Une fois sa thèse en poche, naturellement consacrée à L’image du médecin dans la BD franco-belge, le jeune généraliste Philippe Dufour s’installe dans un cabinet de Nevers. Et à l’image du dessinateur, les personnages évoluent au fil des années. “Quand je me suis installé, j’ai participé à un concours d’anecdotes médicales pour un journal. La meilleure était couronnée d’un prix, et c’était un voyage à St Pétersbourg. J’ai envoyé deux pages de BD, de consultations rigolotes d’un médecin inventé pour l’occasion.” Eugène Héralist, médecin de famille, était né. L’idée de vivre, au moins en partie, de la bande-dessinée, n’a pas quitté l’esprit du médecin. “Dans ma grande naïveté, je croyais que le journal allait publier ma BD et que j’allais pouvoir continuer de paraître. Ils se sont dégonflés.” Mais pas le dessinateur, qui continue de faire vivre à son médecin les aventures qu’il tire de sa propre expérience. Une autre revue médicale, plus confidentielle, accepte de publier les histoires d’Eugène pendant trois ans. “J’ai reçu des milliers de lettres de confrères généralistes de toute la France, qui disaient qu’ils se retrouvaient dans cette BD et que ça leur faisait du bien. Pendant plusieurs années, un vrai lien s’est créé entre les médecins et moi. C’était vraiment agréable, c’était la première fois que ça m’arrivait.”

 

Il craque et met la clé sous la porte de son cabinet

“Ce personnage, c’était moi, bien sûr. Souvent complètement débordé, en surmenage total. Mais qui reste flegmatique, qui garde le sens de l’humour et qui s’en sert pour rassurer ses patients.” D’ailleurs, certains patients du docteur Dufour, connaissent sa double casquette et savent l’apprécier. “Je me souviens d’un dame qui arrivait à chaque consultation avec une liste de tous les symptômes qu’elle avait eu. ‘Lundi, j’ai eu mal au genou droit, mardi au pied gauche…’ Elle me faisait toute liste qu’elle lisait.”

Le dessin illustrant la scène n’a pas tardé à venir. “J’ai fait une mémé qui arrive avec une liste qui traîne par terre et qui dit ‘Docteur, je vais vous dire tout ce que j’ai ressenti dans la semaine’. Et le médecin en face ‘D’accord, pendant ce temps, je vais renouveler votre ordonnance.’ Et c’était aussi un énorme papier qui roulait par terre.” A la consultation suivante, le médecin donne le dessin à la patiente, qui explose de rire. La fois d’après, le généraliste la voit revenir avec un tout petit papier. “Sauf que c’était écrit tout petit, et qu’en fait il y en avait autant que sur le grand papier !”, se remémore en riant le Dr Dufour. “Mais ça a changé quelque chose. Après ça, elle avait moins tendance à se plaindre. Le fait d’avoir mis un peu d’humour a eu un vrai effet sur la relation médecin-malade.”

Ce rythme effréné à 70 heures hebdomadaires, plus le temps consacré au dessin, Philippe Dufour le tient quelques années. Puis craque et met la clé sous la porte de son cabinet. “Aujourd’hui, quand je relis les histoires de mon personnage, je ressens un peu la souffrance qui était la mienne à l’époque. Je commençais à être surmené, je sentais que je n’avais plus les moyens de m’épanouir.”

Et si la bande-dessinée lui sert de véritable exutoire, il prend rapidement conscience de ses limites. “Je me soignais du travail par un autre travail. Se soigner par le dessin, ça va un moment”, reconnaît-t-il aujourd’hui. Il se réoriente donc vers le salariat, dans un centre pour personnes polyhandicapées. A mi-temps, pour avoir le temps nécessaire au dessin ; avec des horaires raisonnables, pour prendre soin de soi. Mais arrêter complètement la médecine pour se consacrer au dessin ? Jamais. “Ça ne m’a même pas effleuré l’esprit. J’aime la médecine, c’est vraiment un boulot qui m’intéresse. Et il faut aussi dire que c’est très dur de vivre de la BD.”

 

“Je considère vraiment ça comme une seconde profession”

S’il parvient à diviser son temps à part égales entre ses deux passions, c’est plus déséquilibré en termes de revenus. “Pour la première fois, en fin d’année dernière, mon revenu de dessinateur a dépassé mon revenu de médecin. Bon, ça a duré deux mois, c’était la première fois et ça ne s’est pas reproduit depuis. Mais j’étais content. Je considère vraiment ça comme une seconde profession.”

Avec la fin de son exercice libéral, est aussi venue la fin des aventures d’Eugène Héralist, qui ont tout de même fait l’objet de 5 tomes. “Un sixième est dans mes cartons, mais je ne vais pas le publier. Je vais le garder comme ça”, glisse DUF. Il continue d’auto-éditer des albums jeunesse, et de dessiner pour des congrès ou des ouvrages de médecine. Mais son héros généraliste est bel et bien au repos. Voilà 20 ans que la page du libéral est tournée, et il n’entend pas y revenir. “Ça ne me manque pas du tout. J’ai enfin trouvé un vrai équilibre entre dessinateur et médecin. J’ai vraiment besoin de marcher sur les deux jambes que sont mes deux professions.”

Découvrez Eugène Héralist et le travail de DUF sur son site.

Image : couverture de Bobos à gogo, par DUF.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier