Passer au contenu principal

Loi de santé : le pari perdu de l’open data

Votée mi-avril par tous les députés de gauche présents dans l’hémicycle, la loi de santé (rebaptisée loi de modernisation du système de santé) est un marqueur de gauche, avec le tiers-payant comme symbole. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, sort renforcée de cette séquence. Ce texte – qui ne résout aucun des maux structurels du système de santé – instaure l’open data en santé. L’accès et l’utilisation des données de santé seront encadrés, mais ces protections s’avéreront rapidement insuffisantes. Et surtout, en l’absence d’une filière industrielle du “big data”, la France et l’Europe seront rapidement vassalisées par les Etats-Unis qui disposent de l’hydre Google et de l’ogre IBM.

 

Marisol Touraine a bien mérité de la “Hollandie”. Sa loi fourre-tout – elle comporte des mesures de santé publique, des dispositions médico-économiques, des réformes organisationnelles – n’a pas véritablement de colonne vertébrale et ne résout aucun des maux structurels de notre système de santé. Mais elle a une dimension politique majeure. Avec des mesures comme le renforcement du droit à l’avortement, le droit à l’oubli pour les anciens malades du cancer, la class action en santé et, surtout, l’emblématique tiers-payant, elle est un marqueur de gauche, la contrepartie sociale de la politique économique libérale du Président de la République. Elle a été votée par tout le Parti socialiste, y compris les frondeurs, mais aussi par les Verts et une partie des communistes… Quelques semaines après la crise politique autour de la loi Macron pour laquelle le gouvernement avait dû dégainer le 49-3, la performance n’est pas mince. La ministre de la Santé est la caution de gauche en matière sociale, comme Christiane Taubira l’est dans le domaine sociétal avec la loi pénale et surtout le mariage pour tous.

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, Marisol Touraine peut aussi se targuer de l’étude de la Caisse nationale d’assurance-maladie, selon laquelle le contrat d’accès aux soins et l’avenant 8 de la Convention médicale – qu’elle avait imposés à la fois à la CNAM et aux syndicats de médecins – ont enrayé la progression des dépassements d’honoraires. C’est pour n’avoir pas compris cette dimension politique de la loi santé que les syndicats de médecins se sont lancés à corps perdu dans une stratégie perdante, en s’attaquant frontalement au tiers-payant.

 

Etatisation du système de soin

Mais, après cette manche politique, l’enjeu est le match retour avec la mise en place du tiers-payant. Et ce match n’est pas gagné d’avance. Car il reste moins de deux ans à la CNAM et aux complémentaires pour s’entendre sur la montée en charge du dispositif et créer le flux unique, censé délivrer les médecins de toute difficulté technique et pratique dans la gestion du tiers payant.

Pour les complémentaires, cette opération va se télescoper avec la généralisation de la complémentaire santé au 1er janvier 2016 qui implique une redéfinition des contrats et une modification de la structure de leurs adhérents. Enfin, cette mobilisation autour du tiers payant risque de faire une victime collatérale : le Dossier médical personnel (DMP) qui a déjà quelque peu disparu des écrans radars. Or, comme cela a déjà été dit et redit, il n’est pas possible de faire une médecine de réseau – un des objectifs essentiels de la loi – sans partage et circulation de l’information entre professionnels de santé.

Pour le reste, malgré la pluie d’amendements qui s’est abattue sur lui, le texte voté est peu différent de celui présenté en octobre 2014 si ce n’est sur un point : l’étatisation du système de soins qui consistait à dépouiller l’Assurance-maladie de toutes ses compétences – y compris la gestion du risque et la relation conventionnelle avec les professions de santé -, au profit des Agences régionales de santé (ARS).

Dans le projet, le chapitre consacré aux “relations entre l’Assurance-maladie et l’Etat” intitulé : “renforcer l’alignement stratégique entre l’Etat et l’Assurance-maladie” indiquait que l’Assurance-maladie devra “appliquer un plan national du risque (…) décliné dans chaque région sous la forme du plan pluriannuel régional de gestion du risque arrêté par le directeur général de l’agence régionale de santé après concertation avec les caisses locales d’assurance maladie et avec les organismes complémentaires d’assurance maladie”.

Dans le texte voté, il est toujours question de “renforcer l’alignement stratégique entre l’Etat et l’Assurance-maladie”. Mais l’Assurance-maladie retrouve ses prérogatives et son champ d’action. En effet le texte précise que “dans le respect des lois de financement de la sécurité sociale (…) l’autorité compétente de l’État conclut avec l’Union nationale des caisses d’assurance maladie un contrat dénommé “plan national de gestion du risque et d’efficience du système de soins”, qui définit, pour une durée de deux ans, les objectifs pluriannuels de gestion du risque et relatifs à l’efficience du système de soins communs aux trois régimes membres de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Ce plan définit, au sein de programmes nationaux, les actions concourant à la mise en œuvre de ces objectifs et relevant de chacun des signataires”.

Au passage, les complémentaires sont exclues de ce jeu entre l’Etat et l’Assurance-maladie obligatoire. Pour reprendre leur place de partenaires à part entière, il leur faudra sans doute montrer leur motivation dans la montée en puissance du tiers-payant et une volonté de jouer le jeu du flux unique.

 

Lignes Maginot numériques

En réalité, la seule vraie innovation de ce texte est l’open date en santé. “Les données de santé à caractère personnel recueillies à titre obligatoire et destinées aux services ou aux établissements publics de l’État ou des collectivités territoriales ou aux organismes de sécurité sociale peuvent faire l’objet de traitements à des fins de recherches, d’études ou d’évaluations présentant un caractère d’intérêt public, dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés” indique le texte. Concrètement, les informations du système de santé qui comportent, notamment les données de la base PMSI, du SNIRAM de l’Assurance-maladie, et celles de la statistique nationale sur la mortalité seront accessibles.

Cet article 47 suscite la polémique parce qu’il prévoit la création d’un Institut national des données de santé dont la mission principale sera “d’émettre un avis sur le caractère d’intérêt public que présente une recherche, une étude ou une évaluation”. Certains voient dans cette disposition un contrôle à priori de l’information, une manière de verrouiller le système, de reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre. Les médias – en particulier ceux qui publient chaque année le classement des hôpitaux et des cliniques sur la base des données PMSI – redoutent de ne plus avoir accès à cette source, si l’Institut décidait que le palmarès des hôpitaux ne revêt pas un caractère d’intérêt public. Cette crainte relève d’un fantasme. Il y a fort à parier que les hebdomadaires pourront, en toute tranquillité, publier leur “marronnier” annuel qui permet à leurs lecteurs de savoir quel est le meilleur service hospitalier pour soigner leur verrue plantaire ou leur luxation d’épaule. La liberté d’expression et d’information sera sauvée. On n’est pas Charlie pour rien !!

La réalité est qu’à l’ère du numérique, l’information échappe à tout contrôle, en particulier à celui de son émetteur. Les clauses restrictives posées dans la loi s’avèreront rapidement être des lignes Maginot numériques, aussi efficaces que la ligne Maginot érigée dans les années 30 pour empêcher l’avancée des chars allemands en 1940. Les informations des données de santé de la France rejoindront rapidement le système mondial d’open data et alimenteront l’industrie du data en santé qui est essentiellement américaine. Google et ses filiales santé 23andME et surtout Calico sont des gros consommateurs de data et que dire d’IBM avec son super ordinateur Watson et de sa plate-forme Watson Health qui offre à tout médecin et chercheur une capacité de traitement de millions et même de milliards de données.

Les data sont l’avenir de la médecine et sont des enjeux économiques considérables. Pour le comprendre, le Dr Laurent Alexandre, référence mondiale dans ce domaine, rappelle que “le seul séquençage de l’ADN d’une tumeur, c’est 10 000 milliards d’informations à traiter”. La médecine génomique, prédictive et personnalisée de demain est d’abord une affaire de traitements de ces milliards de données. Le vrai enjeu est donc celui d’une filière industrielle du traitement de l’information. Malheureusement, dans ce domaine, la France et l’Europe en général ont accumulé un retard par rapport aux Etats-Unis qui est sans doute déjà irrattrapable. La conséquence est que, dans les prochaines années, les médecins et les chercheurs français et européens seront des utilisateurs des avancées développées Outre-Atlantique et que l’Europe sera dépendante du progrès médical américain… La vassalisation de l’Europe de la santé est en marche.
Elémentaire, mon cher…. Watson.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Philippe Rollandin*

 

Avec l’aimable autorisation de pharmanalyses.fr

 

*Philippe Rollandin est consultant en communication, observateur de la médecine libérale et du système de santé.