L’Assemblée nationale a voté dans la nuit du 9 au 10 avril 2015, un amendement proposé par la député (PS) Annie Le Houérou, supprimant l’Ordre national des infirmiers (ONI). Cette dernière revient pour Egora sur les raisons qui l’ont poussé à rédiger ce texte. De son côté Didier Borniche, président de l’ONI nous confie avoir été victime d’un putsch et compte sur le Sénat pour abroger cet amendement.
 

 

ANNIE LE HOUÉROU, député PS : “Une très grande majorité d’infirmiers ne se reconnaissent pas dans l’Ordre”

Egora.fr : Pourquoi vouloir supprimer l’Ordre infirmier ?

Annie Le Houérou : Le fait que l’Ordre soit obligatoire et qu’il faille être à jour de ses cotisations suppose que l’ensemble des infirmiers y adhèrent. Or 80% des infirmiers ne sont pas inscrits. Il y a donc un problème juridique puisque cela signifie que 80% des infirmiers sont en exercice illégal. J’ai reçu de nombreux syndicats et associations d’infirmières en audition. Certains étaient favorables à l’Ordre, d’autres ne l’étaient pas. Mais j’ai pu constater qu’une très grande majorité d’infirmiers et d’infirmières ne se reconnaissent pas dans l’Ordre.

L’Ordre a eu d’énormes difficultés dès sa mise en place en 2006 et je constate que les choses ne sont pas très apaisées. J’ai donc fait la proposition qu’il ne soit plus obligatoire et par conséquent qu’il soit supprimé. L’Ordre n’existera plus en tant que tel mais il pourra s’organiser en tant qu’association et continuer à travailler. En tant qu’Ordre, il n’a pas démontré sa capacité à fédérer l’ensemble du corps infirmier.

J’avais à un moment étudié la possibilité de ne rendre l’Ordre obligatoire que pour les infirmiers libéraux, mais au cours des auditions, j’ai relevé que les infirmiers étaient très attachés à ne pas avoir de règles différentes selon leur mode d’exercice.

Vous dites qu’une grande partie des infirmiers ne se reconnaissent pas dans l’Ordre, mais c’est également le cas pour les médecins. Leur Ordre n’est pas supprimé pour autant… Faut-il supprimer tous les Ordres médicaux ?

J’avais mandat et je ne me suis intéressée qu’à l’Ordre infirmier et un petit peu aux autres Ordres paramédicaux. J’ai simplement pu constater que l’Ordre infirmier est celui qui est le plus contesté.

Le président de l’Ordre parle de putsch lors du vote de cet amendement…

Je ne réponds pas à cela. J’ai fait mon travail d’évaluation. J’ai essayé d’entendre les arguments des uns et des autres. J’en ai ensuite discuté avec les collègues de mon groupe. “Putsch”, ce mot-là ne me ressemble pas !

Il faisait référence au vote de cet amendement, dans la nuit par seulement 19 députés…

Cela ne date pas d’aujourd’hui. Je travaille sur ce sujet depuis deux ans et demi. On parle de représentativité mais il faut savoir que les députés se relaient pour faire les deux huit, sachant que l’Hémicycle se réunit 16 heures sur 24. Parler de manque de représentativité est méconnaître le fonctionnement de l’Assemblée. Nous avons des positions qui sont tenues et ce n’est pas parce que nous n’étions que 19 à ce moment-là dans l’Assemblée que l’amendement ne portait la voix que de 19 députés.

Marisol Touraine est allée à l’encontre de votre amendement en disant que les infirmiers avaient “besoin d’une structure permettant de réguler et d’accompagner la profession”…

La ministre a parlé d’amélioration de l’Ordre, ce qui n’était pas difficile. Je conviens tout à fait du fait qu’il faille réguler la profession mais aujourd’hui l’Ordre ne régule rien du tout. Des instances existent et le font. Les ARS et la HAS ont un rôle qui se superpose sur certaines missions. Le Haut conseil des professions paramédicales a été créé, il trouverait une meilleure place si on arrivait à un meilleur travail autour des professions paramédicales.

Comprenez-vous la réaction indignée de nombreuses associations ou syndicats qui soutiennent l’Ordre ?

L’Ordre infirmier doit rassembler. Il ne peut pas être imposé au corps infirmier. Le problème est aussi juridique. Lorsque 80% des infirmiers n’adhèrent pas, on considère que le soutien à l’Ordre n’est pas partagé.

L’Ordre est donc inutile ?

Oui, c’est pour cela que je propose sa suppression. Je pense que les missions qui sont rendues par l’Ordre peuvent être rendues par d’autres organismes. Aujourd’hui plusieurs instances ont les mêmes missions. Je pense qu’il faut aussi repenser les choses pour plus de simplification.

Aviez-vous soumis votre projet de suppression de l’Ordre à Didier Borniche avant le vote de l’amendement ?

J’ai auditionné le président de l’Ordre. Il était conscient des questions que je me posais mais je n’ai pas été lui soumettre mon amendement la veille du dépôt !

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir cédé au lobby de syndicats infirmiers hostiles à l’Ordre ?

J’entends ces accusations mais j’ai fait mon travail de député en mon âme et conscience.

 

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DIDIER BORNICHE, président de l’Ordre national des infirmiers : “L’Ordre a été victime d’un putsch”

Egora.fr : Comment avez-vous appris l’existence de cet amendement proposant la suppression de l’Ordre infirmier ?

Didier Borniche : Nous avons appris l’existence de cet amendement lors de sa présentation devant la commission des affaires sociales. Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’amendement n’a pas été défendu, il a donc été considéré comme nul par la commission. Finalement, il a tout de même était présenté en séance plénière. Les kinés et les podologues sont aussi concernés.

Annie Le Houérou avait-elle pris contact avec vous ?

Annie Le Houérou avait été chargée par Marisol Touraine de rencontrer les partisans et les opposants de l’Ordre. Dans ce cadre, nous avons été auditionnés une fois, mais c’était il y a environ deux ans. Ce qui est étrange, c’est que la député a auditionné beaucoup d’opposants à l’Ordre mais très peu de partisans. Il y a énormément d’associations et de syndicats professionnels qui souhaitaient être écoutés pour faire savoir à Mme Le Houérou leur attachement à l’Ordre. Elle devait également nous revoir à l’issue des auditions, mais elle n’a jamais eu le temps… Nous l’avons pourtant sollicité de nombreuses fois.

Pourquoi tient-elle à cet amendement selon vous ?

Annie Le Houérou est dans une position très dogmatique anti-ordre. Certains de nos présidents, notamment en Bretagne, l’ont approché dans sa circonscription. Le président des podologues et la présidente de kinés l’ont également rencontré. Ils ont tous compris qu’elle n’avait pas du tout l’intention de supprimer ses amendements. Elle considère que le travail des Ordres pourrait être fait par d’autres, ce qui est une grave erreur.

Dans la proposition qui a été faite, de multiples aspects n’ont pas été envisagés. Alors que l’on sait aujourd’hui qu’il faudrait alléger les tâches de l’Etat, elle souhaite les alourdir en confiant les missions de l’Ordre à des organisations qui n’en n’ont pas les compétences, ni les infrastructures. Elle se trompe également en ayant omis de faire une étude d’impact financier. Aujourd’hui les missions accomplies par les Ordres sont faites à coût zéro pour l’Etat puisqu’ils s’autofinancent eux-mêmes par leurs cotisations. Ce qui n’a pas non plus été dit, est que derrière cet amendement se cache un plan social qui va laisser 70 employés sans travail.

Pourquoi cet amendement a-t-il été voté ?

Il y a eu un lobbying très important fait par les opposants à l’Ordre auprès d’Annie Le Houérou.

Pourquoi les opposants à l’Ordre et notamment la Fédération nationale des infirmiers (FNI) souhaitent-ils la disparition de l’Ordre ?

En ce qui concerne la FNI, il s’agit simplement d’une histoire de personne. La FNI a été porteuse du projet de l’Ordre. Son président, Philippe Tisserand a beaucoup travaillé à sa création. Il a été à nos côtés dans les premières années de l’Ordre, alors que Dominique Le Bœuf était présidente. Puis suite au désastre de sa gouvernance, je suis arrivé à la présidence. A ce moment-là, Philippe Tisserand a subitement trouvé tous les défauts à l’Ordre, allant jusqu’à demander son abrogation.

Pour les autres opposants, dont il s’agit notamment d’une intersyndicale, elle conteste tous les Ordres, les voyant comme des organisations potentiellement rivales pour leur activité, coercitive et inutiles. Ce n’est pas du tout le cas. Je pense que les ordres, les syndicats et les associations professionnelles ont tout intérêt à travailler ensemble. Les syndicats s’occupent des professionnels et portent leurs revendications catégorielles tandis que l’Ordre s’occupe de la profession en général. On vient de sortir des propositions sur la fin de vie. On travaille avec le ministère de la justice sur la violence. On a fait des propositions sur les pratiques avancées dans le cadre de la loi de santé…

Je me rassure en voyant que d’autres syndicats nous soutiennent. Le président Hollande avec qui j’ai pu discuter puisque je l’ai accompagné au Canada m’a dit qu’il n’était pas question de voir disparaître l’Ordre infirmier.

Le vote de cet amendement est un putsch qui s’est produit à une heure tardive alors qu’il n’y avait quasiment plus personne dans l’hémicycle. Nous avons appris plus tard que tout cela avait été savamment orchestré et préparé très amont. D’autant que le parti socialiste n’avait pas émis d’avis sur la question et que la ministre s’était positionnée contre cet amendement.

La député fustige la mauvaise gestion de l’Ordre pour justifier son amendement, que lui répondez-vous ?

Nous aurions aimé qu’elle prenne le temps de discuter avec nous, parce qu’elle n’aurait pas dit toutes ces contre-vérités. Tout ce qu’elle a dit est faux et date de la précédente gouvernance. Avant que je n’arrive, la situation financière de l’Ordre était effectivement catastrophique. Depuis trois ans maintenant, notre bilan est à l’équilibre, voire légèrement excédentaire. Nos missions sont totalement accomplies. Annie le Houérou n’a fait que reprendre les tissus de mensonges rapportés par les opposants à l’Ordre.

Le texte de loi va être examiné par le Sénat prochainement, êtes-vous optimiste ?

Normalement le Sénat devrait annuler la proposition qui a été faite en ne validant pas l’abrogation de l’Ordre infirmier. Ensuite le texte ira en commission mixte paritaire (CMP). Si aucun accord n’est trouvé en CMP, le texte reviendra à l’Assemblée nationale où il y aura j’espère plus de 30 députés dans l’hémicycle. Nous avons rencontré une multitude de députés socialistes qui sont opposés à la suppression de l’Ordre. Selon des sources que je ne peux citer, ce vote est le fruit de démarches politiques au sein même du parti socialiste.

J’espère que le bon sens l’emportera. Aujourd’hui nous avons des assurances venant des plus hautes instances de l’Etat que notre Ordre ne sera pas supprimé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin