En plein cœur de l’archipel des îles Carolines, les habitants de Pingelap sont atteints d’une étrange maladie : le “maskun”, ou maladie des yeux éteints, qui leur fait voir le monde en noir et blanc. Un mal que les pingelapiens expliquent par une série de légendes et de malédictions. En réalité, il s’agit d’achromatopsie, une maladie génétique, et il faut remonter au terrible passage d’un cyclone en 1775, pour en comprendre l’origine.

 

A Pingelap, en plein cœur de la Micronésie, le “maskun” est devenu l’angoisse de toutes des mères. Toutes craignent que leur enfant soit touché par cette étrange maladie des “yeux éteints”, qui leur empêcherait d’étudier, et attiserait les moqueries des autres enfants. Et, elles ont de quoi avoir peur. Sur cette petite île, près d’un habitant sur dix est atteint d’achromatopsie, une maladie qui touche une personne sur 50 000 dans le reste du monde.

Les enfants atteints du maskun naissent apparemment en bonne santé. Dès trois mois pourtant, leurs yeux semblent s’affoler quand la lumière est trop vive. Petit à petit, ils n’arrivent à distinguer les objets lointains puis, vers 4 ans, ils deviennent aveugles aux couleurs et sont extrêmement sensibles à la lumière. Seule l’obscurité semble en fait leur convenir.

 

Une femme enceinte qui avait marché le long de la plage

Sur l’île, on s’est habitué à la maladie. Les achromates se sont faits une place, notamment comme pêcheurs de nuit, un travail facilité par leur vision nocturne. Fatalistes, les habitants expliquent, par de nombreuses légendes, la malédiction qui les touche. Oliver Sacks, anthropo-neurologue a beaucoup étudié cette population. Il écrit : “Le maskun provenait d’une femme enceinte qui avait marché le long la plage en plein milieu du jour : le soleil ardent, estimait-on, pouvant en partie aveugler l’enfant dans la matrice.” Il y avait aussi, poursuit-il, “des préjugés tenaces, comme toujours avec les maladies, selon lesquels le maskun venait de l’étranger”, en l’occurrence, il aurait été ramené par des Pingelapiens qui avaient été contraints de partir travailler avec des Allemands dans les mines de phosphate d’une île voisine.

En réalité, c’est la génétique qui explique pourquoi cette maladie s’est autant propagée sur l’île. Et il faut remonter en 1775 pour en comprendre l’origine. Cette année-là, Pingelap, dont l’altitude ne dépasse pas les 3 mètres est dévastée par un terrible cyclone, baptisé Lengkieki. Toute l’île est anéantie. Et après la catastrophe naturelle, c’est la famine qui s’installe. L’île sur laquelle vivait un millier d’habitants, n’en compte désormais plus qu’une vingtaine. Parmi eux, le roi Mwahuele est presque le seul homme à être resté en vie. Et il va se charger de repeupler l’île très rapidement. Les femmes survivantes tombent toutes enceintes et les enfants ne cessent de naître. Pendant cinq générations, l’île se repeuple ainsi dans la consanguinité.

 

Les premiers touchés sont les enfants du roi

D’après les généticiens, le roi Mwahuele était porteur sain de l’achromatopsie, tout comme trois des femmes avec qui il a conçu ses enfants. Dans de telles maladies à hérédité autosomique récessive, deux parents porteurs d’une copie du gène de la maladie ont un risque sur quatre de donner naissance à un enfant malade, et un sur deux d’engendrer un porteur sain comme eux. Aujourd’hui, parmi les 250 résidents de Pingelap, 5 % à 10 % sont achromates, et 30 % sont porteurs, indique le quotidien Le Monde.

Les premiers cas sont apparus dans les années 1820. Les premiers touchés sont des enfants du roi Okonomwaun, un des descendants de Mwahuele et de sa femme Dokas. Là, encore, les habitants expliquent le phénomène avec une légende.

Les généticiens Irene Hussels et Newton Morton, qui ont séjourné à plusieurs reprises sur l’île, écrivent dans l’American Journal of Human Genetics : “Le mythe veut qu’un dieu, Isoahpahu, tombé amoureux de Dokas, enjoignit au roi de la lui réserver. De temps en temps, Isoahpahu apparaissait sous les traits d’Okonomwaun et avait des relations sexuelles avec Dokas, engendrant des bébés atteints ; alors que les enfants normaux provenaient d’Okonomwaun.”

Un deuxième foyer est apparu dans les années 50, sur une île voisine, celle de Pohnpei, où de nombreux Pingelapiens ont émigré. Ces deux îles détiennent le record mondial du nombre de malades de l’achromatopsie.

Depuis des années, chercheurs, médecins, généticiens se succèdent dans la région pour étudier cette population. Plusieurs fois, des équipes médicales ont apporté des lunettes à verres filtrants et grossissants, portées par les achromates dans les pays développés. Pourtant, à Pingelap, personne ne les porte, le maskun est toujours une fatalité qui frappe l’île. La jeune génération n’a trouvé qu’un seul remède : la fuir, et faire sa vie ailleurs.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Liberation.fr, Lemonde.fr et Thalassa]