Le projet de loi de santé prévoyait de mettre en place des testings pour mesurer les refus de soins. Mais un amendement est passé par là, et le mot “test”, qui fait bondir les médecins, a disparu. Au Collectif interassociatif sur la santé (CISS), Sylvain Fernandez-Curiel regrette que le seul outil permettant de lutter contre le refus de soins ait été enterré.
 
 

 

Egora.fr : L’article qui prévoyait le testing a été voté, mais sans le terme de “testing”. Vous êtes déçus ?

Sylvain Fernandez-Curiel : Déçus, c’est un euphémisme. On est très déçus. Finalement, il n’y a pas grand-chose dans ce texte. Il a été un peu vidé de son sens. Le fait qu’apparaisse noir sur blanc la possibilité de faire des tests de situation, des testings, était intéressant.

On a bien compris que ça crispait beaucoup les médecins, qui se sentaient stigmatisés. Mais en attendant, ceux qui sont stigmatisés ce sont les patients victimes de refus de soins de façon plus ou moins subtile. On est les premiers à dire que c’est une minorité de médecins qui refusent les soins aux patients bénéficiaires de la CMU-C ou de l’AME. Mais une minorité qui existe.

 

Le terme n’est pas dans le texte, mais l’idée est bien là. N’est-ce pas suffisant ?

L’article dit que l’Ordre, en lien avec les associations de patients, peut prendre toutes les mesures pour lutter contre le refus de soins. Bon. Si on veut voir le verre à moitié plein, on se dit que dans “toutes les mesures” il y a le testing. Mais si on veut voir le verre à moitié vide, on constate que le testing n’est plus spécifiquement présent dans la loi et que s’il venait à être utilisé dans la lutte contre les refus de soins, cela pourrait faire l’objet d’une contestation. Je pense que cette lecture pessimiste de ce que pourra permettre la loi ainsi formulée est partagée par d’autres acteurs impliqués dans la lutte contre les discriminations. A partir du moment où le mot n’est pas dans le texte et que la décision des parlementaires a finalement été de l’enlever, c’est bien qu’on ne souhaite pas donner de visibilité à cet outil pourtant reconnu comme efficace dans les autres combats contre la discrimination. Tout comme l’aménagement de la charge de la preuve, disposition qui prévoit dans certains domaines du droit que c’est à celui qui est mis en cause de prouver son innocence. Je crois qu’en matière de discrimination, les refus de soins sont un des seuls exemples où l’aménagement de la charge de la preuve n’est pas prévu. Pour toutes les autres politiques de lutte contre les discriminations, cet aménagement existe. Pourquoi ? On peut quand même se poser la question.

 

La proposition avait déjà été rejetée du temps de la loi Bachelot. Comment expliquez-vous ce refus des parlementaires à accepter le testing ?

Initialement, la loi Bachelot allait même plus loin puisqu’elle proposait aussi l’aménagement de la charge de la preuve. Ce qui n’était pas dans le projet de loi de Marisol Touraine. Et tout avait été retoqué. On sent qu’il y a un front de la part des parlementaires, et plus particulièrement de la part des parlementaires médecins, qui sont nombreux et encore plus nombreux quand il s’agit de discuter des projets de loi autour de la santé. C’est normal, mais ça leur donne un poids important. On sent le poids du corporatisme. Donc là, l’article sur le testing a été vidé par un amendement d’un député socialiste, médecin. C’est la majorité qui est venue retirer une disposition prévue par le gouvernement… C’est assez decevant.

 

Quand on parle de testing, on pense aux boîtes de nuits. N’y a-t-il pas d’autres moyens d’évaluer ce refus de soins ?

Jusqu’à maintenant rien d’autre n’a jamais fonctionné. Le moyen de quantifier les refus de soins reste le testing. Il y a trop de difficultés à faire remonter les plaintes. Les personnes qui font face à un refus de soins, n’en ont pas conscience. Et quand elles en ont conscience, la plupart du temps elles n’ont pas l’énergie pour se lancer dans des plaintes, des démarches lourdes. En plus quand on leur dit que ça passera par l’Ordre, elles ont, à tort ou à raison, l’idée qu’à l’Ordre ce sont des confrères qui jugent leurs confrères et que ce sera biaisé. Pour toutes ces raisons, il y a très peu de plaintes.

Je vois partout l’assimilation au testing en boîte de nuit… Mais le débat ne porte pas sur l’assimilation du cabinet médical à une discothèque, il porte sur l’efficacité de l’outil testing pour évaluer la discrimination et être en mesure de lutter contre. Si des médecins peuvent se sentir stigmatisés, il ne s’agit en fait que d’une minorité de médecins. Ce qui a été montré par les testings qui ont été faits jusque-là, c’est qu’on est autour de 20%. C’est une véritable discrimination, et une barrière à l’accès aux soins. Certains médecins généralistes sont tout à fait conscients qu’il y a des spécialistes vers lesquels il n’est même pas question d’orienter leurs patients, parce qu’ils savent d’emblée qu’ils ne seront pas reçus. A un moment, il faut lutter contre ces pratiques dans l’intérêt de tous.

 

La loi a été votée. Que comptez-vous faire maintenant ?

On va évidemment reformuler nos amendements en vue de l’examen au Sénat. On a quelques sénateurs qui nous soutiennent. Je pense particulièrement à Aline Archimbaud (EELV), qui a fait un rapport sur l’accès aux soins et qui est très sensible à ces arguments-là. Mais il y en a d’autres. On va poursuivre notre travail.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier