Pour pallier les 10 000 postes vacants à l’hôpital public, le gouvernement propose de repousser l’âge de la retraite des médecins hospitaliers. Mais pour certaines spécialités, comme les chirurgiens, se pose la question des capacités manuelles et physiques après un certain âge. Les assureurs, eux, sont réticents à prendre en charge un praticien après 70 ans.

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Faire travailler les médecins jusqu’à 72 ans pour limiter le recours aux fameux “mercenaires” qui coûtent si cher à l’hôpital public. C’est l’idée du gouvernement, qui vient de déposer un amendement à la loi de santé pour repousser l’âge de la retraite des hospitaliers. Une proposition qui n’a pas réjoui la Fédération hospitalière de France (FHF), pour qui garder les “vieux” n’est pas vraiment la bonne réponse au choc démographique qui touche les hôpitaux. “Il ne faut pas que les praticiens considèrent qu’ils ont automatiquement le droit de prolonger leur activité jusqu’à 72 ans”, a aussitôt commenté Gérard Vincent, directeur général de la FHF.

 

“La carrière d’un chirurgien fait une courbe”

Mais avant d’autoriser les praticiens à exercer toujours plus tard, il est légitime de se poser la question de leur capacité passé un certain âge. En effet, parmi les spécialités les plus déficitaires dans les hôpitaux, on trouve les anesthésistes et les chirurgiens. Deux professions d’actes techniques à risque. Est-on toujours un bon chirurgien à 70 ans ? Pour le chirurgien et professeur d’urologie Guy Vallancien, la réponse est non. “Si on ne pratique pas de geste technique particulier, il n’y a pas d’âge, on peut aller jusqu’à 80-85 ans. Si on a la tête qui tourne et qu’on continue à se former et à rester dans la mouvance de ce qui se fait, on peut sans aucun problème continuer à consulter. S’il y a des actes techniques c’est beaucoup plus discutable, remarque le chirurgien. La carrière d’un chirurgien fait une courbe. Il se forme, puis il monte en puissance et arrive au top entre 40 et 55-60 ans, puis il aura tendance à diminuer parce qu’il se fatigue plus. Donc il y a certainement une limite à donner, à terme, à ceux qui pratiqueront des actes techniques.”

Dans la pratique, rien n’interdit à un chirurgien de continuer à opérer. Dans les faits, ils arrêtent dans leur grande majorité vers 67 ans. À l’hôpital public, la règle est normalement de 65 ans, prolongeable jusqu’à 68 ans, pour les praticiens ayant des enfants, mais quelques médecins bénéficient de dérogations ou de vacations qui leur permettent d’exercer encore après cet âge. Dans le secteur privé, ils sont plus d’un millier de chirurgiens à exercer encore après 65 ans. Mais rares sont les chirurgiens qui opèrent aujourd’hui à plus de 70 ans.

“Il y a plusieurs facteurs qui font qu’un chirurgien est plus ou moins contraint d’arrêter son exercice précocement, remarque le Dr Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens français (Syngof). Déjà, l’activité est très stressante. Mais, surtout, il y a le problème des assurances. Passé 60 ans pour un chirurgien, elles sont très méfiantes, et les primes augmentent.”

 

Certaines interventions doivent être abandonnées

Du côté des assureurs, en effet, même si on ne remarque pas de hausse de la sinistralité chez les médecins âgés, on reconnaît bien qu’il est compliqué de prendre en charge un chirurgien qui a passé l’âge de la retraite. Au Sou médical par exemple, la règle est de ne pas les couvrir après 70 ans. À quelques rares exceptions près. “C’est du cas par cas, explique Nicolas Gombault, directeur du Sou médical. Si c’est un praticien qu’on suit depuis longtemps, on va pouvoir le prolonger quelque temps, en lui expliquant qu’on ne pourra plus continuer à le garantir par la suite.”

Et les médecins sont de plus en plus nombreux à demander une prolongation de leur activité, indique l’assureur. C’est pourquoi le Sou est très regardant en ce qui concerne leur activité. “Au fil du temps, la pratique chirurgicale se modifie. Certaines interventions doivent être abandonnées car elles demandent plus de force physique. C’est pourquoi nous avons décidé de fixer une limite. Et puis il faut aussi laisser la place aux jeunes.”

Moins radicale que la barrière de l’âge fixée par les assureurs, certains chirurgiens mettent une autre idée en avant pour garantir la sécurité des actes chirurgicaux : celle d’un test d’aptitudes et de capacités manuelles que le chirurgien pourrait passer à partir d’un certain âge. Un programme de ce genre est déjà testé à Baltimore aux États-Unis (voir encadré). “Il pourrait y avoir une évaluation des pratiques avec des indicateurs de performance. Mais il faut pour cela de vrais critères, pertinents et adaptés. Il ne s’agit pas de faire un classement grossier comme on les voit pour les hôpitaux. Maintenant, je ne pense pas que ni les hôpitaux ni les universitaires aient envie de cela”, juge le Dr Marty.

 

La retraite, c’est un beau moment

“Ce ne serait pas illogique, au-delà d’un certain âge, de faire passer un examen qui indique que la vision est bonne, qu’on n’a pas la main qui tremble, admet Guy Vallancien. D’ailleurs, si on prouve qu’il y a un risque plus important chez les médecins âgés, il faudra le faire.”

Mais avant d’en arriver là, pour ces médecins, c’est surtout au praticien lui-même de savoir quand il devient moins performant. Et surtout il ne doit pas avoir peur de poser définitivement le bistouri. Pour le Pr Vallancien, qui a arrêté d’opérer à cause de problèmes de vue, “c’est la vie ! Il y a des choses qui sont plus fortes que nous. Si on voit qu’il y a une diminution d’un des sens indispensables pour opérer, il faut arrêter. Que ce soit des problèmes manuels, des rhumatismes, des problèmes neurologiques… Mais ce n’est pas un arrêt de la médecine. Moi je continue à consulter, les gens viennent me voir. On n’a pas fini sa vie active si on arrête d’opérer”. Le Dr Marty a lui aussi choisi d’arrêter à 65 ans, alors qu’il se sent encore largement capable d’exercer. Et c’est sans regret : “J’ai choisi d’être raisonnable, j’ai assez travaillé. La retraite, c’est un beau moment.”

Quant aux septuagénaires qui n’imaginent pas une seule seconde quitter le bloc, ils pourront toujours s’appuyer sur les fameux robots chirurgicaux, qui pourraient bien devenir les meilleurs atouts des longues fins de carrière.

 

Des tests d’aptitude pour le “chirurgien âgé”

En Suisse, c’est un fait divers qui a relancé le débat. Après une opération mammaire, une Zurichoise de 19 ans s’est retrouvée la poitrine mutilée. Son chirurgien avait 78 ans, et n’en était pas à sa première erreur. Il n’en fallait pas plus aux associations de patients pour s’emparer de l’affaire et réclamer haut et fort dans tous les médias l’instauration d’un âge limite pour les médecins : 67 ans pour les chirurgiens, 70 ans pour les généralistes. Face au tollé médiatique, les chirurgiens ont dû réagir. La Société suisse de chirurgie (SSC) est donc en train de réfléchir à la mise en place d’un processus de “recertification” régulier comprenant une évaluation des capacités physiques et cognitives du praticien tout au long de sa carrière.

Un tel processus est actuellement en test à Baltimore (États-Unis). Le programme, intitulé “The Aging Surgeon Program”, vise à mettre en place une “surveillance” des chirurgiens âgés en se fondant sur leurs antécédents et sur des examens neurologiques et neuropsychologiques complets. Le programme teste également les capacités manuelles et cognitives du praticien : temps de réaction, acuité visuelle, coordination, habileté, appréciation des distances. Les conclusions sont envoyées au médecin, ainsi qu’à son employeur qui décide ainsi « objectivement » si le chirurgien peut poursuivre sa carrière. Ou pas.

 



Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu