Offrir aux futurs généralistes un lieu de formation adapté à leur future pratique libérale, une idée qui paraît évidente mais ne l’est pas forcément sur le terrain. L’universitarisation des maisons de santé est une revendication de longue date, et commence lentement à se concrétiser, comme à Avoine (Centre-Val de Loire) ou Chenôve (Bourgogne).

 

“Un métier qui ne fait pas sa propre recherche, son enseignement et la mise en application n’est pas un métier complet. En médecine générale, la recherche est en panne depuis 10 ans. Il faut que ça redémarre, avec des étudiants, avec une dimension pluriprofessionnelle”, assure le Dr Alain Giacomino. Généraliste et attaché d’enseignement à la faculté de médecine de Tours, il exerce au sein de la Maison de santé pluriprofessionnelle universitaire du Véron, à Avoine (Indre-et-Loire), qui a ouvert ses portes en 2005.

En tant que maison de santé pluriprofessionnelle, elle accueille plusieurs généralistes, des infirmiers, des dentistes, des kinés… Avec ceci de particulier, que les sept généralistes sont maître de stage, que trois d’entre eux sont chargés d’enseignement, dont une est professeur de médecine générale.Des journées de formation délocalisées sont même organisées au sein de la maison de santé, dans une salle de classe. “Dans les cabinets classiques, les maître de stage ont nommément un étudiant attitré. Mais je ne crois pas ce que soit ce qui marche le mieux.” Ici, sont accueillis deux groupes de deux SASPAS*, un interne de niveau 1 et trois externes, qui sont invités à aller vers les médecins qui ne sont pas leur référent. “Il y a une supervision directe et indirecte, de nombreux débriefs informels à la cafeteria…, indique le Dr Giacomino. Nous avons une volonté d’encadrement à plusieurs niveaux. Je n’hésite pas à envoyer un externe à des consultations assurées par l’externe. Et ils adorent ça !”

 

“Les mains dans le cambouis”

Jean Madigou est externe de 4ème année en stage depuis quelques jours à la Maison de santé universitaire. Ce qui l’a clairement décidé à postuler pour ce stage, outre les très bons retours entendus à la fac, c’est la dimension “recherche”. Le Dr Giacomino est sur le point de démarrer une étude observationnelle du dépistage de la BPCO sur deux ans, qui permettra aux étudiants de faire de la recherche appliquée. “On est en attente d’une formation. Ça va être un de nos projets, on va faire passer les examens fonctionnels respiratoires, recueillir les données”, explique l’étudiant, enthousiaste. “Ils vont enfin avoir les mains dans le cambouis”, résume en souriant le Dr Alain Giacomino.

C’est le même désir de recherche appliquée en médecine générale qui a motivé le Professeur Jean-Noël Beis, dans la banlieue de Dijon, à mener à bien un projet de maison de santé similaire, qui a ouvert ses portes le mois dernier. “L’idée c’était d’abord d’offrir un lieu d’exercice pour les chefs de clinique, qui sont des universitaires purs et durs. Ils doivent faire en priorité de la recherche pour pouvoir publier. Mais pour faire ces recherches, il leur faut une structure qui ait une vocation de soins”, explique le Pr Beis. Soins, recherche et enseignement, trois piliers du chef de clinique en médecine générale que la maison de Chenôve est en mesure de proposer. D’ailleurs un bureau tout neuf attend une chef de clinique qui devrait prendre ses quartiers d’ici peu. Ici, tous les généralistes sont maîtres de stage et accueillent en permanence externes et internes. Ils seront d’ailleurs associés aux projets de recherche que compte mettre en place la maison de santé.”Nous avons plusieurs projets de recherche en soins primaires. Nous voulons travailler en lien avec le territoire où nous sommes implantés, pour améliorer le parcours de soins par exemple”, explique Clelia Lurier, coordinatrice du projet. Le bâtiment tout neuf est implanté dans un quartier défavorisé, les projets auront une vocation de réduction des inégalités dans l’accès aux soins.

 

“Rien à voir avec un stage tout seul en cabinet”

Une autre de ses ambitions affichées est d’inciter les jeunes à s’installer.”Le pourcentage de jeunes qui s’installent en libéral est très bas, et ils attendent longtemps avant de passer le pas. Il faut leur donner envie de s’installer et donc leur montrer le plus tôt possible ce qu’est l’exercice de la médecine générale, en collaboration avec les autres professionnels”, ajoute Clelia Lurier. Un travail collectif qui semble plaire aux stagiaires. “On retrouve un peu le côté collectif de l’hôpital, on n’est pas perdu. Rien qu’au niveau des externes, on est trois, donc on échange, on se retrouve. Ça n’a rien à voir avec un stage tout seul en cabinet”, assure Jean Madigou, externe à la maison de santé du Véron.

Cette universitarisation des maisons de santé pluriprofessionnelles, comme lieu de formation des futurs libéraux est une revendication de longue date. Dès l’arrivée de Marisol Touraine au gouvernement, en 2012, un groupe de généralistes blogueurs avait porté cette demande. “Depuis des décennies, l’exercice de la médecine ambulatoire est marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. La médecine hospitalière et salariée est devenue une norme pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice ambulatoire qu’ils n’ont jamais (ou si peu) rencontré pendant leurs études. (…) La médecine générale, comme la médecine ambulatoire, doivent disposer d’unités de recherche et de formation universitaires spécifiques, là où nos métiers sont pratiqués, c’est-à-dire en ville et non à l’hôpital”, écrivaient les 86 médecins blogueurs du collectif.

 

Des projets de recherche

Lentement, il semble que ce vœu devienne réalité. Le développement de la recherche en médecine générale au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles était l’un des axes du rapport remis par Pierre-Louis Druais à la ministre dans le cadre des groupes de travail mis en place avant le vote de la loi de santé. “Marisol Touraine a annoncé sa volonté de mettre en place un pôle de santé universitaire par faculté de médecine. Des projets de recherche devraient être adossés à ces structures”, confiait le Pr Druais reçu par la ministre la veille de l’examen du projet de loi à l’Assemblée.

Un nouvel établissement a été inauguré mercredi dernier à Fontainebleau, en partenariat avec l’université Paris-Est Créteil. Mais pour l’heure, le nombre de maison de santé qui se revendiquent universitaires se compte sur les doigts d’une main. “Il faut dire qu’on n’a aucun cadre légal, juridique pour harmoniser ce qui se cache derrière le terme “universitaire”. C’est le flou artistique. Dès le début, j’ai voulu accoler ce terme à la maison de santé, mais ce n’est pas un label reconnu, glisse le Dr Alain Giacomino. On a essayé de créer un cahier des charges, mais tout le monde voulait que le label colle à ce que chacun faisait dans son coin.” Cela viendra peut-être, mais tant qu’aucune règle ne vient mettre de l’ordre dans tout ça, chacun garde une certaine liberté dans l’expérimentation. “Et d’ailleurs, ce n’est peut-être pas plus mal ainsi”, glisse le généraliste à demi-mots.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier