C’est officiel, le très polémique article 18 de la loi de santé, instaurant le tiers payant généralisé a été voté hier à l’Assemblée nationale. Si cet article qui cristallise la colère des professionnels de santé figure comme le symbole de cette loi, son vote n’a pas rassemblé la foule. Ils n’étaient que 35 sur 577 députés à exprimer leur vote, dont seulement 9 élus UMP. Le Pr Bernard Debré, député UMP de Paris était néanmoins présent. Il nous explique pourquoi il considère que cette loi est mauvaise.

 

Egora.fr : L’article 18 instaurant le tiers-payant généralisé a été adopté bien que vous ayez voté contre. Si demain l’opposition revenait aux affaires, reviendriez-vous sur ce point ?

Pr Bernard Debré : Oui vraisemblablement. Le tiers-payant va être extrêmement difficile à mettre en application. Marisol Touraine a d’ailleurs annoncé que ça ne sera pas fait avant 2017, on comprend bien ce que cela signifie…

Manuel Valls souhaite réunir après le vote de la loi les médecins et professionnels de santé pour une grande concertation. On se demande pourquoi ! Il a compris que le tiers-payant sera très difficile à mettre en place. On sait très bien qu’à partir du moment où les patients auront le sentiment de ne pas payer, il y aura une inflation extraordinaire. On prend souvent l’exemple des pharmaciens pour qui cela n’a pas été inflationniste, mais ils ne sont pas prescripteurs. Ils ne font que délivrer des médicaments qui figurent sur l’ordonnance. Ils ne sont d’ailleurs pas satisfaits du tiers-payant qui entraine d’innombrables retards de paiement.

Le tiers-payant est en revanche une mesure très populaire. Si l’on disait demain aux Français qu’ils n’ont plus à payer le gaz ni l’électricité, ils seraient très contents. Je m’étonne d’ailleurs qu’il n’y ait que 67% des Français qui soient favorables au tiers-payant.

Du côté des médecins, ils sont très mécontents pour plusieurs raisons. Cette mesure est d’abord assez méprisante pour eux. Certains patients leur jetteront leur carte vitale pour les régler. Deuxièmement, avec près de 800 mutuelles, il va y avoir une paperasserie démentielle. Troisièmement, quoi qu’en dise Marisol Touraine, il va y avoir des retards de paiement. Comment faire avec toutes ces complémentaires, nous n’en savons rien ! Et enfin il pourra y avoir des litiges. La sécurité sociale pourra décréter par exemple qu’un médecin n’a pas assez prescrit de génériques et elle bloquera les paiements. C’est ceux qui payent qui dirigent. Les médecins seront aux mains de la sécurité sociale et des mutuelles.

 

Lors des débats dans l’hémicycle, vous avez demandé à Marisol Touraine pourquoi la concertation avec les médecins aura lieu après le vote de la loi. Que vous a-t-elle répondu ?

Elle ne m’a pas répondu pour la simple raison que cette concertation a été décidée pour éteindre l’incendie qu’elle a elle-même allumé. On n’a jamais vu autant de médecins ni de professionnels de santé dans la rue. Manuel Valls a voulu calmer les médecins.

 

Malgré les milliers de médecins qui ont manifesté contre cette loi et notamment contre l’article sur le tiers-payant, l’hémicycle était quasiment vide lors du vote. Avec la présence d’une dizaine de député de l’opposition supplémentaire, l’article aurait pu être rejeté. Pourquoi étiez-vous si peu nombreux ?

Tout ce que je peux dire, c’est que moi j’y étais. On peut aussi se demander pourquoi ils étaient si peu nombreux de la majorité ? De toutes manières, tout avait été déjà vu en commission, le vote était simplement formel. Nous savions très bien que nous n’avions pas la majorité. Le PS nous avait d’ailleurs prévenus qu’il ne validerait aucun de nos amendements.

Hier alors que nous devions voter l’article 18, le président de séance a voulu attendre. Pour quelle raison ? Uniquement parce que la majorité n’était pas assez nombreuse. Ils nous ont fait patienter pour appeler les socialistes afin qu’ils puissent venir voter. On ne nous donne aucune chance ! C’est la loi du nombre.

 

Que pourrait-on dire malgré tout aux médecins pour les rassurer ?

La majorité socialiste a pris sa décision mais nous avons néanmoins étayé nos arguments. D’ailleurs, certains radicaux de gauche étaient de notre avis. C’est aux médecins de prendre acte et s’ils veulent que tout cela change, il faudra qu’ils votent pour nous.

 

Vous allez aussi être amené à voter sur l’article 19, qui instaure le testing chez le médecin, qu’en pensez-vous ?

Cet article est extrêmement dangereux. Il s’agit là de dénonciation. La gauche veut institutionnaliser les mouchards. Nous vivons à une époque extraordinaire ! Des gens vont se déguiser en patient pour aller tester les médecins et savoir s’ils sont ou non dans les règles. C’est très dangereux.

Un autre article très ambigu a été voté et me pose problème. Il s’agit de la suppression du délai de réflexion pour les IVG. Je suis absolument favorable à l’IVG et je l’ai toujours été. Lorsque j’étais jeune médecin aux urgences, j’ai vu deux femmes mourir parce qu’elles avaient dû avorter dans une arrière-boutique de “faiseuse d’ange”. Je ne peux tolérer cela. Paradoxalement, je considérais que cette semaine de réflexion était un avantage pour la femme. Certaines femmes subissent quelque fois des pressions de leur compagnon pour avorter. Ce délai qui n’empêchait pas l’avortement pouvait aider ces femmes. Il est intéressant de préciser que Marisol Touraine était au départ, favorable au maintien de la semaine de réflexion, puis elle a changé.

 

Certain médecins, notamment au sein du collectif “la santé pour tous”, demandent le retrait pur et simple de la loi. Etes-vous de leur avis ?

Oui tout à fait. Cette loi est mauvaise. Je suis simplement favorable aux actions de groupe et à deux trois petites choses. Cette loi santé devrait être une loi qui s’occupe des médicaments, or il n’y a pas un mot à ce sujet, malgré les scandales répétitifs. Il y a des milliers médicaments qu’il faudrait supprimer. Idem pour les hôpitaux. Qui aura le courage de dire qu’il y a trop d’hôpitaux en France et que cela entraîne une médecine à deux vitesses ? Nous sommes le seul pays d’Europe à avoir autant d’hôpitaux par habitant.

Tous les fonctionnaires de la santé qui étaient déjà présent lors de la loi Bachelot, contre laquelle j’avais manifesté, sont parvenus à faire passer leurs idées. A part le tiers-payant généralisé et deux trois choses, le politique n’a pas eu son mot à dire.

 

Un testing qui ne dit pas son nom, voté à l’Assemblée

Les députés ont adopté hier en séance, l’article 19 du projet de loi santé visant à mieux évaluer “l’importance et la nature des pratiques de refus de soins” aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’Etat (AME).

Le terme de “tests”, initialement prévu dans le texte a été supprimé. Un amendement voté propose une formulation plus souple laissant la possibilité pour un Ordre professionnel “de mesurer l’importance et la nature des pratiques de refus de soins par les moyens qu’il juge appropriés”.

En clair, le “testing” sera possible, mais pas inscrit dans la loi. Il consiste à réaliser des enquêtes en se faisant passer pour des patients, dans l’idée d’y voir plus clair sur la pratique de certains médecins.

 


Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin