Co-découvreur du virus du Sida, le Professeur Willy Rozenbaum s’est confié à Laurence et Jérôme Bourgine. Il fait donc l’objet d’un chapitre dans leur livre Ces Français qui révolutionnent la médecine (éditions La Martinière). Nous en diffusons un extrait dans lequel il parle de l’aboutissement de ses recherches.
 

Retrouvez l’interview de l’auteur : Ces chercheurs de l’ombre qui font la gloire de la France.

 

“Aujourd’hui, avec un peu de recul, je comprends mieux ce qui a permis d’arriver à cette découverte. L’image de l’inventeur qui crie « Euréka » dans sa baignoire est certes sympathique mais elle ne résiste pas aux faits. Le virus VIH a été cerné grâce à une série d’opportunités et de connaissances cumulées. J’avais, par exemple, étudié une dizaine de secteurs différents dont tous ou presque se sont montrés utiles à un moment ou un autre de notre recherche. Mais c’est avant tout grâce à la collaboration de tous, associations de patients au premier chef – plus du quart des patients participaient à des études ! –, que l’on a trouvé « aussi vite ». Si vous retirez un seul élément du puzzle, rien ne se fait. La qualité essentielle de l’équipe d’acharnés ayant participé à cette découverte étant probablement « l’absence de préjugés » : plus un entonnoir est ouvert, plus on a de chance d’attraper ce qu’on cherche. Et puis l’écoute de l’Autre, l’utilisation de la technique des regards croisés.

Nous nous sentions dans une urgence extrême également. Il fallait faire vite car, pendant ce temps, le sida faisait des ravages. Pas une journée ne s’écoulait sans que nous ayons un mort dans le service et il régnait en France un climat fataliste insupportable : « Ils vont tous mourir ! » Je parcourais le pays pour dire aux médecins : « Vous pouvez recevoir des malades du sida, vous pouvez même leur serrer la main ; ce sera votre premier geste thérapeutique. »

Une fois le virus VIH cerné et mieux connu, dès 1984, on a commencé à mettre au point un premier traitement, qui a fait l’objet d’un article dans la très sérieuse, et très lue, revue scientifique The Lancet. À la suite de cette parution, des centaines d’Américains sont venus se faire soigner en France. Certains décalages me faisaient sourire, comme ces patients très riches qui arrivaient en Concorde et payaient 25 francs ma consultation.

Pendant les dix années qui ont suivi, les traitements ont beaucoup évolué et nous sommes passés d’une maladie mortelle à une maladie chronique qui se soigne. Mais c’est seulement depuis les années 2000 que les traitements sont réellement supportables, et plus efficaces.

Quant au vaccin, des centaines d’équipes travaillent aujourd’hui sur sa mise au point. Elles ont des moyens mais obtiennent, hélas, peu de résultats positifs à ce jour. On sait contenir le VIH mais toujours pas s’en débarrasser. Pourtant, là où se situe le problème, réside également la solution : dans la thérapie génique. Or, pour entrer dans la cellule et agir sur le gène cellulaire, lui permettre de s’adapter à l’agression qu’il subit, le meilleur vecteur est encore le VIH lui-même ; un VIH rendu inactif. Il y a quelques années, de cette façon, on a réussi à bloquer le virus chez des souris porteuses de gènes humains, mais comme ce procédé n’était pas brevetable, personne ne nous a suivis. Et puis la thérapie génique est encore jeune, lourde et très coûteuse… bien que cette méthodologie commence à être expérimentée chez l’homme dans des approches variées.

Tout au long de ce parcours du combattant, accompagnant des milliers de personnes à la mort, j’ai vraiment eu l’impression de traverser une guerre. J’estime pourtant que c’est une chance extraordinaire d’avoir pu participer à cette aventure, accompagné de gens qui, pour la plupart, se sont montrés exemplaires. Mon seul regret est de ne pas pouvoir arriver à un résultat définitif de guérison. Dans les conditions actuelles, il est très difficile de motiver de jeunes chercheurs sur ce sujet.

À un niveau plus personnel encore enfin, après tant d’années entièrement consacrées à cette quête, j’ai fini par avoir mon premier enfant. À quarante-cinq ans. Il y avait eu tellement de morts autour de moi qu’il m’était devenu vital de donner la vie.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laurence et Jérôme Bourgine