Willy Rosenbaum, René Frydman, Christian Debry, Stéphane Palfi, Hugues Duffau, Laurent Lantieri… Connus ou inconnus du grand public, ces chercheurs ont contribué à faire évoluer la médecine. Ils ont conté leur expérience et leurs combats aux auteurs Laurence et Jérôme Bourgine qui en ont tiré un livre intitulé Ces Français qui révolutionnent la médecine (éditions de La Martinière). Laurence Bourgine nous parle de ces 16 hommes et femmes de génie dont le travail acharné a permis de changer la vie de milliers de malades.

 

Un extrait à lire : Willy Rozenbaum raconte : “Ma guerre contre le Sida”.

 

Egora.fr : Vous écrivez un livre sur “ces chercheurs qui révolutionnent la médecine”, sont-ils assez considérés ?

Laurence Bourgine : Non, c’est justement pour cela que j’ai eu envie de leur donner la parole, d’ailleurs j’ai eu beaucoup de mal à les trouver. Certains sont relativement connus mais peu médiatiques, d’autres ont écrit des livres. Ils sont très connus dans l’univers médical, renommés à l’international mais inconnus du grand public.

 

Pourquoi ?

Je pense que les savants n’intéressent pas vraiment les Français. C’est peu enseigné à l’école. Je pense que les Américains connaissent probablement plus Lavoisier que les Français. Les Américains s’intéressent beaucoup à la science, aux projets, aux recherches… Ils financent beaucoup. Il y a beaucoup “d’institutes”, comme le Rockefeller Institute, qui reçoivent des dons. Beaucoup de centres de recherche américains sont financés par des milliardaires. En France, ce n’est vraiment pas un sujet qui passionne le grand public.

 

Qui est responsable ? Que faudrait-il faire ?

C’est probablement un peu culturel, très certainement historique. Lavoisier, qui est peut-être l’un des plus grands savants, a été guillotiné sous la Révolution. C’est un sujet un peu difficile à aborder dans l’enseignement scolaire.

Je pense aussi que les chercheurs eux-mêmes ne souhaitent pas la notoriété. C’était le cas de ceux que nous avons rencontré. Ils donnent même l’impression qu’il est plus difficile d’avancer lorsque l’on est un peu connu. Si l’on prend l’exemple de Christian Debry qui est en train de mettre au point le tout premier larynx artificiel au monde, c’est une personne qui travaille depuis plus de 20 ans sur sa recherche, en toute discrétion et il n’a jamais souhaité faire parler de son projet. Ce sont rarement des gens qui cherchent la notoriété. D’autant que dans le milieu médical, bien que ce soit moins le cas maintenant, lorsqu’un médecin prend la parole, c’était très mal vu au sein de l’établissement par les confrères.

 

L’Etat Français ne devrait-ils pas intervenir pour que ces médecins aient une meilleure reconnaissance, ou eux-mêmes ne le souhaitent pas ?

La recherche n’est pas aussi encouragée en France, qu’elle ne l’est dans d’autres pays. On constate que tous les scientifiques que nous avons rencontrés sont partis au moins une année se former à l’étranger au début de leur carrière. Ça leur a donné le goût de l’innovation. Ça leur a donné aussi une vraie culture et une base pour aller plus loin et chercher en France. Je pense que l’’Etat sait aussi que nous avons beaucoup de chercheurs qui partent à l’étranger. Les propositions financières sont souvent plus intéressantes. Ceux qui restent et dont je parle dans le livre ont réussi à faire aboutir leur projet en France avec un vrai combat.

 

A-t-il été facile de convaincre les chercheurs de se confier afin de réaliser ce livre ?

Un peu. Il a d’abord été difficile de les trouver puisqu’il n’y avait rien sur eux qui existe. Il était difficile de savoir qui avait réellement innové. Si l’on prend l’exemple d’Alain Cribier qui a maintenant 70 ans et passe sa vie à récolter des médailles, il a mis des années à convaincre quelqu’un de bien vouloir l’écouter.150 000 valves ont été implantées depuis. Ce sont des combattants qui ne savent pas que ce qu’ils font est extraordinaire, puisque tant que ça n’a pas été prouvé, ils sont dans le doute. Ils ont des emplois du temps très chargés puisque la plupart opèrent, consultent, font de la recherche, publient, donnent des conférences dans des congrès à l’étranger. Ils sont donc très difficiles à attraper !

Mais une fois que nous avons obtenu le rendez-vous, lorsque nous leur avons présenté le projet, nous avons eu des rencontres qui ont été vraiment très intéressantes parce qu’ils ont pris le temps. Les entretiens ont duré deux heures, deux heures et demie. A ce moment-là, nous avons senti à quel point ils étaient conteurs de leurs souvenirs.

 

Lequel de ces 16 chercheurs vous a le plus surpris ?

Ils sont tous prenants, fascinants. On ressort de ces rencontres complétement bluffés ! Ca fuse dans tous les sens. On sent à travers même leur récit, une immense rigueur. C’est le cas notamment de Stéphane Palfi qui est un chercheur pur, d’une rigueur inouïe.

Hugues Duffau qui est installé à Montpellier fait ce qu’on appelle de la chirurgie éveillée du cerveau. Il se bat depuis le début contre des dogmes toujours enseignés. C’est un combat que l’on n’imaginait pas si difficile. Depuis toujours, dans les universités de médecine françaises, on apprend aux élèves une cartographie du cerveau qui n’est pas la bonne. Hugues Duffau l’a démontré et l’a prouvé. On s’est rendu compte à quel point il était difficile de faire changer des décennies d’enseignement. Comme il dit, “le jour où j’ai enlevé la zone de Broca à un avocat et qu’il a continué à faire des plaidoiries brillantes, j’ai compris que cette zone qui est enseignée comme étant celle de la parole ne l’était pas”. Il s’en était rendu compte en regardant le cerveau d’un patient atteint d’une tumeur sur cette zone mais qui s’exprimait parfaitement bien. C’est là qu’il a eu un doute.

Ce médecin qui a de nombreux services de neurochirurgie dans une ville, qui dirige de la recherche, est vraiment un combattant qui croit fermement à ce message qu’il doit faire passer.

 

Vous utilisez souvent ce terme de combattant en référence aux chercheurs…

Eux-mêmes se comparent à des combattants. Ils doivent se battre pour chercher des fonds qui financeront leur recherche. Ils ont besoin d’argent, de techniciens, d’un petit espace (certains démarrent avec 10m2). L’argent, c’est le nerf de la guerre. Il y a aussi des financements institutionnels qu’il faut aller chercher en montant des dossiers, en arrivant à convaincre que le projet mérite finance. Tout cela prend beaucoup de temps. Tous nous le disent.

Aujourd’hui, les recherches de financement se font sur le plan institutionnel mais aussi sur le plan privé. De plus en plus de fonds d’investissements s’intéressent aux nouvelles technologies médicales. Des investisseurs ont compris que ça pouvait rapporter. Nous sommes aussi dans une recherche beaucoup plus onéreuse qu’avant. On arrive à des niveaux techniques qui demandent des investissements très lourds. Les financements deviennent européens, voire internationaux.

 

En dehors de l’argent, quels sont les autres combats à mener pour les chercheurs ?

Le temps. Ils ont des journées surchargées. Ce sont des gens qui passent leur vie à travailler. Ils sont tous des passionnés. Il est impossible de mener leurs recherches telles qu’ils les mènent sans une énorme dose de passion.

Ce qui est très marquant aussi, c’est l’enthousiasme. On sent que c’est leur moteur. Ils sont aussi très tenaces. A partir du moment où ils y croient, ils ne lâchent jamais. Et pourtant les déconvenues sont nombreuses : les essais qu’ils sont obligés d’arrêter, les patients qui décèdent… C’est dans l’échec qu’ils puisent les solutions et qu’ils continuent. Ils arrivent à surmonter leurs revers parce que le bonheur de voir un patient qui va bien grâce à l’innovation qu’ils ont mis au point est leur plus belle récompense. Tous le disent. Le merci, le sourire du patient… ça les booste pour des années encore ! Ils sont tous des personnages dont la vie est vraiment intense.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin