Pas une ligne du rapport de la mission sur la médecine spécialisée ne se retrouve dans les amendements à la loi de santé, récemment validés par l’Assemblée. Président de l’UMESPE (CSMF), Patrick Gasser dénonce un ostracisme volontaire de la ministre, qui ne jure que par la médecine de proximité (paramédicaux-médecine générale) dont la médecine spécialisée est exclue.
 

 

Egora : La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a terminé son travail de validation des amendements à la future loi de santé. Et on ne trouve aucune trace des travaux et propositions du groupe de travail sur la médecine spécialisée, nommée pour répondre à la contestation contre la loi de santé, qui ont fait l’objet d’un rapport d’étape remis à Marisol Touraine en fin de semaine dernière.

Dr Patrick Gasser : Et la ministre de la Santé n’en a pas parlé, de ce groupe. Devant la commission des Affaires sociales, elle a évoqué tous les groupes de travail sauf un seul, celui sur la médecine spécialisée alors qu’il a fait des propositions structurantes pour la prise en charge pragmatique des patients. Yves Decalf, le rapporteur de la mission a bien mis en évidence la nécessaire coordination entre les médecins généralistes et spécialistes, lien qui doit aller en se renforçant. Le rapport d’étapes donnait – ce qui est nouveau – une définition des missions du deuxième recours. Ensuite, dans une deuxième partie très pratique, il signalait quels étaient les articles de la loi à revoir. Comme pour la médecine générale, il s’agit d’une mission, ce qui signifie que l’on doit aller plus loin et que la réflexion n’a pas à s’arrêter après le projet de loi. Or, rien. Je ne vois rien, c’est très choquant. Je pense que cette mission était de la poudre aux yeux, ce silence signifie que notre réflexion n’intéresse la ministre qu’à la marge.

 

Pour la médecine générale à l’inverse, l’impression, c’est qu’une dynamique est lancée…

Et cela fait un bout de temps ! Et la ministre le montre. Elle vient de se déplacer au congrès à La Rochelle de la Fédération française des maisons et pôles de santé. Mon sentiment est que Marisol Touraine veut contourner les syndicats et qu’elle se cherche d’autres interlocuteurs. C’est comme cela que beaucoup de syndicats comprennent la situation aujourd’hui. Il faut savoir que la contestation de la loi de santé a vraiment commencé lorsque nous avons quitté le groupe contact (mis en place depuis plusieurs mois entre le ministère et les syndicats médicaux. Les participants y parlent chaque mois de sujets d’actualité, Ebola, vaccination par exemple. Ndlr). Nous l’avons quitté à la fin de l’année parce que les représentants du ministère nous faisaient lire et relire le texte de la loi, pour nous expliquer que nous n’avions pas compris alors que nous voulions faire des propositions et travailler…

Après le travail effectué par la mission sur la médecine spécialisée, je considère que tout concentrer sur la médecine de proximité, et plus particulièrement la médecine générale relèverait d’une erreur grossière. On pense aujourd’hui que la plus- value, elle se trouve en organisant la coopération entre tous les acteurs de la proximité que sont les médecins généralistes et les paramédicaux. Or, plusieurs études publiées sur le sujet démontrent qu’il n’y a pas de gains d’efficience. On peut éventuellement gagner en termes de qualité de prise en charge, et encore, ce qui n’est pas tout à fait certain, mais pour gagner en efficience dans la prise en charge des maladies chroniques il faut surtout travailler sur la coordination entre le médecin généraliste et le médecin spécialiste. Je vois des patients tous les jours, et je sais bien qu’on ne peut pas prendre en charge un patient tout seul, tant en termes de diagnostic que de plan personnalisé de soins. Désormais, J’ai l’impression que la ministre veut mettre en place en France le modèle anglais basé sur un médecin généraliste gate keeper, avec en face, l’hôpital.

 

Et quelle serait la place de la médecine spécialisée libérale, dans cette réorganisation ?

Pour moi, cette future loi, c’est le business plan de l’hôpital public ! Jean de Beaupuis, le directeur de la DGOS (direction générale de l’offre de soins), vient de déclarer devant un parterre de directeur d’hôpitaux publics, qu’ils devaient être “les managers du territoire” – ils feraient peut être mieux de commencer à être les managers de leurs établissements avant de passer à autre chose. Voilà quelle est la vision de la DGOS ! Et je la conteste. La médecine spécialisée demain, ils veulent la mettre dans les hôpitaux, privés ou publics. Et d’ailleurs, je ne vois pas très bien où dans ce débat, se situe la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Elle aime bien salarier, elle aussi…

 

Et si les travaux de ces missions, médecine générale et médecine spécialisée, étaient utilisés pour nourrir la future conférence de santé, annoncée par Manuel Valls ?

(Rires) C’est assez amusant de faire des Etats généraux ou une Conférence après une loi. Je ne vois pas comment elle va s’intégrer, ce qu’on va en faire ensuite. Il va bien falloir un vecteur pour porter ces propositions. On peut penser à la loi de Finance, mais pourra-t-on faire passer des réformes structurelles ? Pour tout le monde, il s’agira d’un cavalier législatif. Si on veut vraiment construire, le timing ne me paraît pas logique, même s’il est peut l’être en termes de stratégie électorale. C’est pour amuser la galerie. Le bon timing aurait consisté à prendre les choses dans l’autre sens en organisant d’abord une grande conférence de santé, réunissant tous les acteurs. Car si on veut combler le gap entre le privé et le public, l’hôpital et la ville, il va falloir revoir certaines choses. Les ordonnances Debré en 1958, par exemple.

 

Le Premier ministre a laissé entendre que la question du statut serait mise à plat lors de cette conférence…

Je n’ai pas dit que les sujets étaient mauvais, j’ai parlé de la méthodologie, qui est mauvaise. Donc nous disons stop, cette loi de santé est délétère, on n’avance pas. Il y a un vrai malaise, nous nous orientons vers une guérilla. La loi ne répond pas aux problèmes. Nous appelons à la journée santé morte le 31 mars, premier jour de débat de la loi dans l’hémicycle et j’espère que les syndicats seront nombreux à nous rejoindre sur ce mot d’ordre ce jour-là.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne