Président de l’association diversité et proximité mutualiste (ADPM), Jean-Louis Span demande le départ de Marisol Touraine. Car la ministre mène une “politique autiste” avec des “méthodes dictatoriales”. Et, surtout, occulte ce que cacherait la mise en place du tiers-payant généralisé : l’accès des mutuelles et assurances privées à la banque des données de santé. Pour Jean-Louis Span, le gouvernement brade la Sécu et mène un “double jeu”.
Egora.fr : Vous venez de féliciter chaudement les médecins et les professions de santé pour la réussite de la manifestation du 15 mars dernier contre la loi Touraine. Venant de la part de mutuelles, ces compliments sont surprenants. Quelles sont vos motivations ?
Jean-Louis Span : Effectivement, cela peut paraître un peu étonnant, mais nous avons des points communs. Je pense que les professionnels de santé ont bien senti la dangerosité du tiers-payant généralisé pour au moins deux raisons. D’une part, le mécanisme n’est pas bouclé, sur le plan de la forme. Ensuite, on ne peut imposer des idées, si généreuses soient-elles, sans concertation. Or, il n’y a pas de concertation possible avec ce gouvernement, c’est la raison pour laquelle nous avons diffusé à l’issue de la manifestation, un communiqué très dur à son encontre. Il n’y a eu aucune discussion avant la mise en place des réseaux de soins, aucune avant la future organisation des bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS), et aucune discussion sur l’accord national inter régime (ANI, mettant en place la mutuelle pour tous les salariés. Ndlr). Et maintenant rien pour la mise en place du tiers-payant généralisé. Voilà quatre dossiers majeurs qui impactent le devenir de la santé et qui se mettent en place sous forme de diktats ministériels.
Vous qualifiez effectivement de “méthodes dictatoriales” le style du gouvernement. C’est plutôt fort, comme qualificatif…
Oui, tout à fait. C’est systématique. Oui, c’est dictatorial. C’est décidé en haut lieu. Et on sait très bien quelle est l’influence de la Mutualité française dans ces dossiers-là. Alors, à un moment donné, trop c’est trop. Les blouses blanches s’en rendent compte, elles se plaignent de cette absence de concertation et voient, comme nous, le caractère dangereux de cette loi pour le devenir de la protection sociale. La ministre a réussi le tour de force d’unifier un monde de la santé d’une grande diversité ! Il est vrai qu’il n’y avait pas l’hôpital, mais c’est un tel particularisme. Et peut-être qu’il se réserve pour après, les perspectives de réduction de lits et d’effectifs sont sombres. Pour l’instant, il engrange ce qu’il peut…
Au travers de cette loi de santé, que redoutez-vous ?
Nous n’avons cessé d’apporter des notes et des études à l’exécutif ou aux parlementaires. Au moment de la discussion sur les réseaux de soins, nous avons pointé la dangerosité qu’il y avait à vouloir rentrer dans ce type de systèmes, avec des dérives qui vont nous amener vers des négociations cachées, comme dans la grande distribution. Or, la santé ne peut être assimilable à un produit de consommation classique. Notre point de vue, c’est qu’il faut laisser la maîtrise d’œuvre et les négociations avec les praticiens à l’assurance maladie. Aujourd’hui, vouloir passer à un autre niveau de discussion, c’est changer ce référent- là. Et je comprends l’angoisse de l’ensemble des praticiens, à l’idée de démultiplier les discussions. Pour nous, le référent, c’est l’assurance maladie et nous n’arrivons qu’en position complémentaire.
Si on voulait démanteler la sécurité sociale, on ne s’y prendrait pas autrement qu’en démultipliant les niveaux de discussions. Les praticiens n’en ont pas envie, et nous leur apportons notre soutien. Ce n’est pas nous, petites et moyennes mutuelles, qui voulons les piéger. Le prix de la consultation à 23 euros, c’est un vrai débat. Il faudra bien que tous les acteurs sociaux se mettent autour d’une table pour définir ce qui relève de la solidarité nationale. Et comment fixer une juste rémunération pour un praticien qui consacre du temps à un patient.
La mise en place du tiers-payant généralisé, qu’est-ce pour vous, un fantasme, un slogan ? En avez-vous peur en tant que payeur ?
Nous pensons que c’est un slogan, annoncé sans concertation. Et que veut-on faire passer derrière cela ? Là est la dangerosité. Si nos adhérents, patients et praticiens, ne voient plus rien en terme de paiement, si les complémentaires se raccrochent ensuite au remboursement de l’assurance maladie, il va y a voir des glissements, des désengagements dont personne ne mesurera l’impact. Qui va être l’interlocuteur de nos adhérents si on déporte ce volet de gestion ? Cela se voit aussi dans l’impréparation qui a fait l’effet d’une annonce : le projet d’accord entre les mutuelles, les assureurs privés et les instituts de prévoyance pour créer une grosse usine à gaz de gestion. Nous, nous ne transmettrons nos fichiers à personne, ni à l’assurance maladie pour gérer ce tiers-payant, ni à une usine à trustée par on ne sait trop qui. Car, en bout de ligne, cela pose la question de l’utilisation des données.
Le statut de payeur aveugle peut avoir des inconvénients, mais il est assez tranquille. Est-ce aux complémentaires à faire des états statistiques sur telle ou telle affection, tel ou tel secteur géographique ou telle ou telle profession ? On ne le pense pas, c’est du ressort de l’assurance maladie.
La Mutualité française regroupe 85 % des mutuelles et mène un lobbying intense, dénoncez-vous. Avez-vous les moyens de vous opposer à ce qui est en train de se mettre en place, ne vous aventurez-vous pas dans une lutte du pot de terre contre le pot de fer ?
Il ne faut pas confondre deux choses. Dans le dossier du tiers-payant, il y a la problématique importante de l’accès aux soins, et de la solvabilisation, ce qui ne nous pose aucun problème. Je pense qu’il faudra y aller, et je pense que cela ne posera pas non plus de problèmes aux praticiens qui ne doivent pas être débordés de charges administratives. Ni servir de banquiers pour leurs patients : ce n’est pas à eux de mettre de côté les chèques avant de les encaisser pour aider certains patients aux fins de mois difficiles. Et puis, il y a la récolte de données statistiques des patients. C’est la face cachée de ce dossier. Et là, nous entrons dans une problématique qui n’a rien à voir avec les petites ou moyennes mutuelles, mais d’ordre citoyen.
Ces données de santé, pour quoi faire, sous la maîtrise de qui ? On est en train de monter des choses sans concertation, et on n’entend jamais parler du patient et de ses données. Pourtant, à un moment, il va bien falloir tomber les masques. On est dans ce double jeu. Sous couvert de mesures sociales généreuses, on est en train de faire passer des petites choses qui à un moment donné trouveront leur limite, car elles cachent d’autres choses.
Soyez plus précis…
Cette accumulation de données, pour en faire quoi ? Quand on voit aujourd’hui que dans les grands groupes il y a un secteur bancaire, un secteur professionnel et un secteur purement assurantiel avec toute la palette que cela comporte depuis l’assurance vie jusqu’à l’assurance complémentaire santé, on peut tout de même se poser la question de la transversalité de données, qui intéresseraient beaucoup de monde !
A priori, l’étanchéité est garantie, y compris dans la loi de santé…
Rien n’est garanti à terme si on met un doigt dans l’engrenage, dans la mesure où aujourd’hui on voit déjà des mutuelles privées gérer le régime obligatoire. Je pense aux mutuelles étudiantes, aux mutuelles de fonctionnaires. Cette année, l’année prochaine au plus tard, va se tenir la discussion sur le référencement des organismes complémentaires dans le secteur public d’état. On arrive aux termes des sept ans de vie du premier référencement et lorsqu’on se remémore la bataille qui a eu lieu sur certains ministère, on peut s’imaginer vu la concentration du monde mutualiste aujourd’hui, que cela va susciter de l’intérêt demain bien au-delà du monde mutualiste. Si on prend la mutuelle générale, par exemple, on voit qu’elle s’est déjà adossée au groupe Médéric Malakof, une institution de prévoyance, qui lui-même vient de truster la banque postale.
Un changement de majorité pourrait-il donner une inflexion à la politique en train de se mettre en place et contre laquelle vous vous élevez ?
A l’occasion de la présidentielle de 2012, nous avons interrogé tous les candidats sur la politique de santé qu’ils voulaient mener. Peu d’entre eux ont répondu, ce qui nous a fait dire qu’ils étaient soit incultes, soit désireux de ne pas dévoiler leurs programmes, ce qui nous gêne beaucoup. La Droite avait mis en place certaines choses, aucune n’a été remise en cause par la Gauche, j’en veux pour preuve la taxation sur les complémentaires, mise en place sous la présidence Sarkozy. Rien n’a été remis en cause. Il devait y a voir aussi une révision des franchises, on en est loin puisqu’on y a ajouté des honoraires de dispensation pour les pharmaciens.
Je n’ai pas l’impression que les gouvernements se succédant, on ait changé des choses. On ne revient pas en arrière. Marisol Touraine n’est pas revenue sur la loi Bachelot, on complète bout par bout, ce qui aggrave les déséquilibres du système. Voilà pourquoi nous demandons la mise en place d’un Grenelle de la santé. Aujourd’hui, on assiste à une étatisation de la santé. On travaille par décrets, ensuite, c’est le Parlement qui a la main. On fait passer des petits bouts de loi dans la loi de Finance, qui au bout de quelques années, constituent un ensemble, inattaquable au plan juridique sauf au début, mais comme on ne dispose pas de l’intégralité du texte, on ne peut que supposer sa dangerosité.
Mais au final, lorsque tous les bouts sont joints, on a un ensemble toujours inattaquable, mais pénalisant. Je ne pense pas qu’une autre majorité changerait les choses. Mais Marisol Touraine doit partir, oui. L’autisme à ce niveau-là a été rarement égalé quant à la connivence avec la Mutualité française, elle est vraiment trop voyante. Il faut changer d’interlocuteur. Sur tous les dossiers, cela a été une horreur.
La FNMF (Mutualité française) n’a jamais eu qu’une idée en tête : gérer le régime obligatoire. Tous ceux qui ont présidé aux destinées de cette fédération depuis plus de 30 ans sont issus de la fonction publique, ils ont tous géré la sécurité sociale des fonctionnaires. Nous disons stop. La meilleure chose à faire pour les 70 ans de l’assurance maladie, serait d’unifier sa gestion sous la forme d’un guichet unique. Il faut revenir aux fondements, clarifier les choses. Au moins, nos concitoyens sauraient de quoi on parle !
Redoutez-vous les assureurs privés ?
Historiquement, ils se moquaient de la santé, car il est difficile de “marger” avec la santé. Ils ne se s’y sont jamais vraiment trop intéressés. Mais sans rien faire, ils sont en train de nous damer le pion partout, nous les mutualistes. D’autant qu’aujourd’hui, il y a un contexte différent, des possibilités de création de marché : les données de santé et la périphérie, les hôpitaux et cliniques privées qui se montent. Enfin, l’encadrement du secteur 2, ouvre la voie à la commercialisation de polices sur-complémentaires. Et donc, certains se lancent.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne