Malgré l’opposition farouche des professions de santé qui vont manifester le 15 mars prochain, et à huit jours de son audition devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée, Marisol Touraine a affiché une grande fermeté sur le tiers-payant généralisé. Il se mettra en place pour l’ensemble des Français en 2017, a-t-elle assuré “car il s’agit d’une mesure de justice sociale”, mais le mécanisme respectera des étapes, nécessaires à son “rodage”.

 

Quelques jours après que le Premier ministre a solennellement redit l’intention du gouvernement, de mettre en place la loi de santé portée par Marisol Touraine, qui instaure le tiers-payant généralisé, et la veille d’un déplacement du tandem dans un centre de santé parisien sur le même thème – signe que le mécanisme devient un enjeu électoral pour la majorité – la ministre a réuni la presse ce lundi matin, pour faire le point de la concertation mise en place en janvier dernier.

 

“J’ai entendu les craintes d’une partie des professionnels”

La ministre a “entendu” les récriminations des médecins sur son aspect chronophage et parfois aléatoire, a-t-elle tenu à dire. Aussi, la loi garantira un dispositif sécurisé pour le médecin. “Il n’y aura aucun impact sur les conditions d’exercice professionnel, aucune charge supplémentaire pour les médecins, un seul geste suffira” s’est-elle engagée.

“J’ai entendu les craintes d’une partie des professionnels. Je ne veux pas les occulter. Les médecins expriment des doutes sur leurs place dans le système de santé, a fait valoir la ministre. Ils vont manifester, c’est la liberté républicaine. Ils s’interrogent sur leur formation, l’avenir de leur métier, et la reconnaissance qui n’est pas toujours au rendez-vous”. Autant de sujets qui “dépassent” le projet de loi de santé, mais que la ministre “veut entendre”. Elle a souhaité “répondre aux doutes” de manière pragmatique dans des groupes de travail explorant les quatre chantiers qui faisaient débat. Cette phase complémentaire de concertation a donné des résultats “concrets et positifs”, et des amendements traduiront en projets de loi, le “travail considérable qui a été accompli”.

Mais s’agissant du tiers-payant, qui fait l’unanimité du corps médical contre lui bien qu’il soit “plébiscité par le public”, la ministre reste ferme et intraitable. La concession acceptée, concerne le déploiement “par étapes”, mais la finalité reste la même : 2017.

 

La ministre s’engage pour que le mécanisme soit rapide, simple et fiable.

Le paiement des FSE devra être réalisé dans un délai de 7 jours, sinon l’assurance maladie sera redevable d’une amende à verser au médecin (un décret donnera le détail de cette amende, à l’issue des débats parlementaires). En outre, chaque caisse devra publier ses performances en matière de délais de paiement. Le gouvernement attend des organismes de protection complémentaire, qu’ils garantissent dans les mêmes conditions, la sécurité de leurs remboursements.

Et il n’est pas question de parler de “reculade”, tient-on à souligner dans l’entourage de la ministre, mais d’un savant mélange de “détermination et de pragmatisme”, permettant de ne pas avoir l’air de céder devant la pression des libéraux. Tout en tenant compte des montagnes de problèmes techniques qu’il va falloir surmonter pour que le système soit, comme l’a décrit le président de la République, simple, fiable et généralisé en 2017. Sinon il ne sera pas.

 

“Un calendrier progressif, pragmatique et sécurisant”

Donc, le mécanisme que la Marisol Touraine compare à une fusée, se déploiera en trois étages. “Un calendrier progressif, pragmatique et sécurisant”.

1er étage : 1er juillet 2015 : les patients titulaires de l’Aide complémentaire santé (ACS). Mais s’agissant des franchises, qui seront supprimées par cette mesure, le ministère reconnaît qu’à quelques mois de l’échéance, il n’y a “pas encore de solution” alternative concernant cette perte à gagner pour l’assurance maladie. “C’est un problème qu’il faudra régler dans le cadre du tiers-payant pour tous. Pour l’instant, nous n’avons pas encore la solution”, confie un membre du cabinet.

2ème étage : 1er juillet 2016 : tous les patients titulaires du 100 % (ALD, femmes enceintes, infirmes du travail). Au 31 décembre 2016, “le tiers payant sera un droit pour chaque patient couvert à 100 %”, a précisé Marisol Touraine. Lors de ces deux étapes, l’assurance maladie jouera le rôle de payeur unique.

3ème étage : 1er janvier 2017, le dispositif s’étendra à tous les patients. Après une période de rodage, le tiers-payant sera un droit pour l’ensemble des Français à la fin de l’année 2017. Et pour les médecins traitants qui refuseraient de proposer le tiers-payant, y aura-t-il obligation donc sanction ? “Nous sommes dans une phase d’ouverture et de dialogue. Le mécanisme s’imposera naturellement”, a répondu la ministre. “Dans les pharmacies, le tiers-payant n’est pas obligatoire”, rappelle-t-on dans son entourage, laissant entendre par là que la pression de la concurrence et des patients se suffiront à elles-mêmes pour faire rentrer les récalcitrants dans le rang.

 

“Nous aurons une obligation de résultats”

Mais pour ce 3ème étage, il sera nécessaire que les organismes complémentaires se soient mis d’accord sur un système coordonné. Car les remboursements doivent être faciles, rapides, fiables et simples “d’un seul geste”, comme l’a décrit Marisol Touraine. “Nous aurons une obligation de résultats. Les organismes auront à régler en amont les problèmes de changement de caisse, déménagement, changement de statut ou de métier. La sécurité sociale est universelle depuis 1999” a-t-elle rappelé.

Mais on n’en est pas encore là. Les organismes ” y travaillent”, répond-on dans l’entourage de la ministre. Les droits, régime obligatoire et complémentaires, figureront-ils tous sur la carte Vitale ? “C’est une hypothèse. Ce sont des sujets à travailler en priorité” ajoute-t-on.

Par ailleurs, la ministre a tenu à rassurer les médecins opposés à son projet de loi. ” Les députés eux-mêmes, apporteront des modifications aux propositions ministérielles”, a-t-elle assuré.

S’agissant de l’organisation des soins dans les territoires, la ministre veut changer une terminologie que les médecins n’avaient jamais acceptée ni comprise. Exit le “service territorial de santé au public”, place aux”communautés professionnelles territoriales de santé”, terme qui devrait mieux permettre, selon la ministre, de comprendre que l’organisation des parcours de santé “partira des professionnels eux même au lieu d’être faits par les ARS”. Dans cet amendement, le rôle des Unions régionales des professions de santé (URPS) sera notamment précisé.

 

Réaffirmer la spécificité du service public hospitalier

Leurs missions seront donc “clarifiées” a garanti Marisol Touraine, bien qu’il n’ait jamais été dans son intention de “renforcer le pouvoir des ARS au détriment des professionnels libéraux”, a-t-elle insisté. “Les articles seront réécrits et la place des soins primaires et du médecin traitant, avec la définition de leurs missions respectives, ainsi que leurs liens avec la médecine spécialisée seront confortés. Ils feront l’objet d’un chapitre à part entière de la loi” a précisé Marisol Touraine.

Ainsi, les parcours des patients seront organisés “par les professionnels eux-mêmes” avec des plateformes territoriales d’appui, outil créés par la loi “à leur main”.

Autre sujet qui fâche, notamment les cliniques privées : la rénovation du service public hospitalier. La loi va réaffirmer la spécificité du service public hospitalier, a souligné la ministre en citant, la non discrimination des soins, les soins à toutes les pathologies, la permanence de soins et l’absence de dépassements d’honoraires (hormis le secteur privé, qui représente environ 2 % de la masse des honoraires).

“Rappeler les spécificités du public, ce n’est pas nier l’existence du privé”, a fait valoir Marisol Touraine en rappelant que notre système fonctionne sur un système public et un système privé. Autre engagement de la loi : il n’y aura aucune discrimination, pas de changement aux règles actuelles entre participants ou non au service public pour l’octroi d’autorisations d’activités de soins. Cette précision sera inscrite dans la loi. “La loi ne conduira à aucun changement dans la relation qui existe entre les cliniques et les médecins spécialistes qui y exercent”. On peut dès lors se demander quel sera l’intérêt d’établissement privé de se situer dans le secteur public…

 

“Je ne veut pas opposer les professionnels les uns contre les autres”

Les points de vue étant très divergents entre les directeurs d’établissements et les médecins qui exercent en cliniques privées, le gouvernement a laissé de côté l’idée un temps suivie d’interdire les dépassements d’honoraires uniquement pour les urgences. Car les médecins redoutaient de passer ainsi, sous la coupe de leurs directeurs, s’agissant du volume des dépassements. “Il n’y aura aucune dérogation. Pas de dépassements d’honoraires”, confirme-t-on dans l’entourage de la ministre.

Enfin, pour les sujets qui font débat, se range encore l’évolution des compétences médicales. Là encore, la ministre s’est voulue rassurante. “Certains professionnels de santé ne sont pas favorables au droit de vacciner accordé aux pharmaciens”, a convenu la ministre en insistant sur la priorité de conforter notre couverture vaccinale, pour des raisons de santé publique. A l’issue d’une mission confiée à Sandrine Hurel, une personne qualifiée, des expérimentations sur le droit de vaccination accordé aux pharmaciens seront donc lancées. “Je ne veut pas opposer les professionnels les uns contre les autres”, a-t-elle assuré. Aussi, la loi écrira-t-elle qu’une telle délégation ne pourra s’inscrire dans une équipe qu’à la condition que la coordination soit assurée par le médecin. “Le champ de la coordination, les décrets seront élaborés dans la concertation” a redit Marisol Touraine.

Concertation qui doit se poursuivre, a-t-elle précisé, sur le site dédié : www.loi-sante.gouv.fr.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne