La clause de conscience spécifique à l’IVG vit-elle ses derniers jours ? C’est en tout cas une des propositions parlementaires pour l’amélioration de l’accès à l’IVG. Si sa survie est en débat, il semble que le problème de l’accès à l’avortement se pose davantage en termes de moyens et d’attractivité de la pratique.

 

“Il faut supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG, qui n’a plus de sens aujourd’hui. Elle fait double emploi avec celle qui existe déjà pour tous les actes médicaux !” Sophie Eyraud est médecin généraliste et co-présidente de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (Ancic). Elle se félicite de la récente proposition faite par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée.

 

“C’était complètement politique à l’époque”

Dans un rapport présenté la semaine dernière, deux députées PS estiment qu’il faut notamment revenir sur cette disposition, prévue par la loi Veil en 1975, pour améliorer l’accès à l’IVG. “C’était complètement politique à l’époque. Pour que la loi puisse passer, il fallait que l’IVG reste un acte d’exception, que la femme soit en situation de détresse, qu’elle ne puisse vraiment pas faire autrement, et que les médecins acceptent de le faire”, explique Sophie Eyraud, qui a aussi dirigé un centre d’IVG pendant vingt-cinq ans. Une disposition prise pour rassurer les plus réfractaires, mais qui n’aurait plus de sens aujourd’hui. Au même titre que la notion de détresse, récemment supprimée.

“Il faut arrêter de faire de l’IVG un acte à part. Une femme sur trois y a recourt dans sa vie, il faut prendre conscience que c’est un acte courant en médecine”, poursuit la généraliste. Pour autant, “il n’est pas question d’obliger quiconque à faire une IVG. N’importe quel médecin peut se dédire pour un acte médical s’il se juge incompétent, ou pour une raison éthique. C’est pareil pour la PMA. Il faut que cela reste une pratique volontaire, en premier lieu parce que les femmes risquent d’être maltraitées si elles sont prises en charge par quelqu’un qui est contre”.

Mais si elle cristallise le débat, la question de la clause de conscience spécifique à l’IVG n’est pas au cœur du problème de l’accès à l’IVG. “Mettre l’accent sur la clause de conscience, c’est se tromper de sujet. Elle existe de toute façon, on ne peut pas la retirer, fait valoir Bernard Hédon, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Dire qu’on la retire, ça n’a pas de sens et ça ne changera rien à l’accessibilité. C’est un faux débat.”

 

Entre 3500 et 5000 femmes avortent à l’étranger

Dans un rapport remis fin 2014, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes soulignait un phénomène difficile à chiffrer mais bien réel : de nombreuses femmes sont contraintes de se rendre au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas pour avorter, pour avoir dépassé le délai légal en France. “On estime qu’elles sont entre 3 500 et 5 000 chaque année”, indiquait le document. Un problème d’ailleurs aussi soulevé par la délégation des droits des femmes, qui suggère d’en finir avec le délai de réflexion imposé de sept jours. “On n’est pas opposé à ce qu’il y ait réflexion sur le délai de réflexion, mais ce n’est pas forcément une bonne chose de vouloir le supprimer. C’est une décision grave, qui est susceptible d’être regrettée dans certaines circonstances”, nuance Bernard Hédon. Soit, mais pourquoi ce délai doit-il être défini par la loi ? Pourquoi ne pas laisser à l’appréciation du médecin le délai dont a besoin la patiente ? C’est ce que suggère Sophie Eyraud. “Certaines femmes savent très rapidement la décision qu’elles veulent prendre, et pour d’autres sept jours ne seront pas suffisant. Il faut qu’elles aient le délai de réflexion dont elles ont besoin.”

“Nous avons le délai le plus long d’Europe, poursuit la généraliste. Il faut savoir que parmi les femmes qui vont faire une IVG en Hollande, il y en a un certain nombre qui ont fait leur demande dans les délais et à qui on ne donne pas de rendez-vous dans les temps. On a aussi eu des cas de mineures qui étaient à la limite du délai légal et qui n’ont pas pu avoir leur IVG à cause du délai de réflexion.” Pourtant, dans les cas où la limite est proche, une mesure d’urgence permet de réduire le délai de sept jours à 48 heures. “Mais ces procédures d’urgence ne sont pas toujours appliquées ! Pour que les 48 heures soient respectées, il faut que des procédures existent. Quand la femme arrive et qu’on lui dit qu’il n’y a pas de place au bloc et qu’il vaut mieux qu’elle aille voir ailleurs, on sait ce qui arrive !”, déplore la généraliste.

Dans son rapport de 2014, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes soulignait aussi la multiplication des fermetures de structures pratiquant l’IVG “pour des questions de rentabilité financière : 5% des établissements publics et 48% des établissements privés pratiquant l’IVG ont fermé ces dix dernières années, soit plus de 130 établissements au total”.

 

“La question de l’accès à l’IVG se pose en terme de moyens”

Et c’est bien là le fond du problème. “La question de l’accès à l’IVG se pose en terme de moyens, et non pas au niveau de l’acceptabilité de l’IVG par le corps médical ! Et ça, ce n’est pas du tout abordé par la délégation”, regrette le président du Collège des gynécologues et obstétriciens. “Les centres d’orthogénie sont vraiment des laissés pour compte, ils fonctionnent avec trois francs six sous, des personnels qui font d’autres tâches en même temps”, s’indigne Bernard Hédon. Pour lui, le compte est vite fait : il faut des moyens pour mettre en place une organisation, avec une secrétaire dédiée pour prendre les appels des patientes, une sage-femme pour faire de la coordination et des postes médicaux. “On dit qu’il n’y a pas de médecins pour faire des IVG, mais il faut voir comment ils sont rémunérés et l’attractivité qu’ont ces postes ! Il faut les créer ces postes, et je vous garantis qu’il y a des jeunes praticiens qui s’investiraient dans la problématique de l’orthogénie et qui contribueraient à rendre plus accessible l’IVG tout en jouant un rôle d’éducation et de prévention.”

Sur ce point, le Dr Eyraud rejoint le professeur de gynécologie-obstétrique. “Il n’y a pas si longtemps, on faisait faire les IVG aux internes parce que personne ne voulait les faire. On entend encore : “ce n’est pas de la vraie chirurgie, pas de la vraie médecine”. L’IVG par aspiration rapporte moins d’argent à l’hôpital que l’aspiration pour fausse couche, alors que c’est exactement le même acte ! C’est toute cette idéologie qui fait que l’accès reste compliqué”, regrette la généraliste.

 

Dernière roue du carrosse

A ce lot d’obstacles déjà conséquent, il faut ajouter une restructuration hospitalière qui incite à la fermeture des petites maternités au profit d’un regroupement sur des sites plus importants. “Quand on parle de regroupement des maternités, on pense à l’accouchement, mais on ne pense pas au reste. On ne pense pas à l’orthogénie, à la contraception…”, fait valoir Bernard Hédon. “On l’a vraiment vu lors du regroupement Saint Vincent de Paul – Cochin à Paris, il y a eu 500 IVG de moins par an”, abonde la généraliste.

Quant à l’IVG médicamenteuse en ville, elle souffre d’importantes inégalités territoriales. “Elle est développée en PACA et en Aquitaine, dans les autres régions, c’est plus compliqué, assure Sophie Eyraud. La loi a été votée en 2001, mais il n’y a pas eu de moyens pour la faire appliquer.” Si certaines régions s’en sortent mieux que d’autres, c’est le fait de groupes de militants qui se sont battus pour obtenir des financements et monter des réseaux. “Tant que l’IVG sera considérée comme la dernière roue du carrosse, comme un acte méprisable, tant que les praticiens qui font les IVG seront mis au ban, rien ne changera.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier