Article paru sur Egora en juillet 2013.

Avec pour sujet de thèse les blagues médicales, Damien Maurin et Clément Pacault s’interrogent sur les représentations sociales et les stéréotypes que véhiculent les médecins entre eux. Chapeautés par le Dr Brieuc Gales, les deux joyeux thésards cherchent à recueillir un maximum de blagues avant de les analyser. Ils nous éclaireront ensuite sur les conséquences qu’elles peuvent avoir sur les relations entre médecins.

 

Egora.fr : Comment vous est venue l’idée de faire une thèse sur les blagues médicales ?

Clément Pacault : On voulait surtout travailler sur le rire et l’humour en médecine de manière générale. On a essayé plusieurs pistes. Je suis par exemple allé à des cours de yoga du rire, pour faire ce que l’on appelle de la rigolothérapie. On s’est finalement rendu compte que c’était trop vaste et qu’il aurait fallu cibler une population bien précise de patients. Du coup on a changé de cap et on est parti sur le rire des médecins et l’humour entre confrères. On a alors tiré à vue, fait pas mal de bibliographie et on s’est rendu compte que pas grand-chose n’avait été fait sur le sujet. On a fait des recherches littéraires pour voir comment agencer nos idées et avec l’aide de notre directeur de thèse, nous avons conclu que le plus simple était de faire une étude sur les représentations de notre métier à travers les blagues que les médecins se font entre spécialités.

 

Comment allez-vous procéder ?

Clément Pacault : Le principe des thèses à deux est un peu nouveau. Sur la fac de Grenoble, il y a deux types de thèses, les travaux quantitatifs ou qualitatifs. Nous avons choisi la seconde option qui permet de plus travailler sur les sciences humaines, sur des textes, des émotions… La fac a insisté pour que nous soyons deux à travailler ensemble. Nous allons faire ce que l’on appelle une triangulation. Nous allons recueillir des blagues, mettre chacun de son côté un stéréotype sur chacune d’elles, puis nous nous concerterons pour voir si nous sommes du même avis. Le directeur de thèse sera la troisième étape du triangle et donnera la validation ou pas pour le stéréotype.

Concrètement nous avons envoyé un questionnaire sur internet à nos contacts médicaux. L’idée est de recueillir le plus de blagues possibles sur les médecins afin de mettre un stéréotype sur chaque histoire et en tirer les conclusions nécessaires.

 

Quels sont les stéréotypes qui reviennent le plus fréquemment ?

Damien Maurin : Nous n’avons pas encore le droit d’en parler puisque cela sera notre résultat de thèse. Nous ne voulons pas fausser les résultats avec une publicité mensongère sur les anesthésistes qui seraient incompétents ou les chirurgiens fainéants ! Nous recueillons des blagues jusqu’au 14 juillet, donc nous ne voulons pas influencer les médecins.

De toute façon on peut déjà dire que la partie qui fascine le plus dans les calembours est la relation entre bloc opératoire et chirurgiens anesthésistes. C’est un très gros moteur de blagues. Les relations entre spécialités, qui se tirent dans les pattes de manière humoristique sont également très représentées. Il y a aussi beaucoup de railleries sur la relation au patient. Cela s’applique surtout à la médecine générale.

 

Ne craignez-vous pas le reproche que votre thèse ne soit qu’un sujet de divertissement ?

Damien Maurin : On craint tous les reproches lorsque l’on fait une thèse ! Il est vrai que notre thèse apparaît comme très potache puisqu’elle est facile d’accès, que tout le monde peut la comprendre et qu’elle n’est pas très scientifique. Nous n’allons pas faire progresser le système de soins ou la médecine. Mais je ne crois pas que ce soit l’objectif d’une thèse et qu’il ne faille la juger que sur ce point. L’intérêt d’une thèse c’est aussi de s’intéresser avec sérieux à des problèmes qui touchent les médecins même si cela ne concerne pas forcement des questions de pure efficience de soins avec une prescription thérapeutique au bout. Notre objectif est de réfléchir sur notre métier par un biais qui est extrêmement ludique. Cela va nous permettre de réfléchir sur les perceptions qu’ont nos confrères du métier. Cela pourrait déboucher sur des travaux plus poussés. La fac de Grenoble a été très exigeante sur la méthodologie pour que notre travail soit le plus sérieux possible.

Clément Pacault : Il y a pas mal de thèses qui fleurissent sur les médecines parallèles ou sur les nouvelles thérapeutiques “non conventionnelles”. Nous sommes vraiment partis de ce postulat. Nous voulions travailler sur le rire, au final nous avons atterri sur le rire entre médecins. Même si notre sujet fait rigoler autour de nous, nous faisons un sujet aussi sérieux que tout le monde.

 

Les blagues médicales ont-elles une incidence sur la façon dont les médecins se perçoivent entre eux ?

Clément Pacault : Ce qui nous fait rire dans une blague peut être le jeu de mot ou le calembour mais aussi quelque chose de beaucoup plus inconscient qui est lié à une représentation que l’on se fait d’un phénomène ou d’une relation entre deux personnes qui sont des sortes de préjugés. C’est ce que nous cherchons à mettre en évidence. Dans une deuxième étape on s’interrogera sur comment interpréter ces préjugés. En quoi ces stéréotypes influencent la relation que les médecins ont entre eux, voire celles qu’ils ont avec leurs patients.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

 

Damien Maurin D, Clément Pacault C, Galès B. Les blagues sont des vecteurs de stéréotypes. Exemple de la profession médicale à partir de 220 blagues. La Presse Médicale 2014;43(12):385-92.