Y-a-t-il un mauvais sort qui s’est abattu sur la Creuse ? Selon Le Populaire.fr, près d’un tiers des praticiens nouvellement installés dans ce département du Limousin n’y restent pas. Les médecins libéraux en poste vieillissent et voient approcher l’heure de la retraite sans successeurs hexagonaux. L’hôpital subit un turn-over constant. Pourquoi ce phénomène ?
 

 

“Voilà quinze ans que je n’ai pas vu l’installation d’un médecin français en Creuse”, constate le Dr Michel Trabuc, président du conseil départemental de l’Ordre. “Nous sommes habitués aux médecins étrangers, explique-t-il. Nous avons de très nombreux Roumains et Bulgares en médecine ambulatoire. Et très récemment, arrivent des irakiens et des lybiens, essentiellement pour l’hôpital public.” C’est d’ailleurs à l’hôpital public que l’on compte le plus de turn-over.

Oui, mais voilà. Un médecin sur trois ne reste pas. Pourquoi ? “En médecine de ville, ces confrères se sont sans doute trompés. Ils ont rêvé d’un Eldorado financier en comparant les chiffres d’affaire ou les salaires pratiqués dans leur pays avec ceux d’ici. Mais ils ont découvert le poids des charges, des frais et le coût de la vie en France, développe le président du CDOM. Ils s’imaginaient qu’en six mois, ils auraient fortune faite !” Et puis, ajoute-t-il, il y a tellement d’offres alléchantes alentour… La désertification concerne de nombreuses zones du Limousin si l’on s’éloigne de Limoges, et nombreux sont ceux qui pensent “que l’herbe est plus verte ailleurs”.

 

Les candicats font monter les enchères

Certains candidats s’y entendent semble-t-il, pour faire monter les enchères auprès des communautés de communes aux abois. Logements de fonctions et appartements privés, matériel… Les exigences sont souvent lourdes, alors que rien ne garantit la pérennité de l’installation, a fortiori s’il s’agit d’un couple avec des enfants dont l’un des deux cherche un travail. Or, la ville de Guéret est pauvre, rappelle le Dr Trabuc. Et le département manque d’infrastructures, de voies de communication, d’aéroport. Ainsi, souligne le président de l’Ordre, il est relativement facile de trouver des remplaçants pour l’ouest de la Creuse, proche de la nationale 20. Mais cela devient très difficile pour l’est du département. Pourtant, “il y a plein de travail ici. Nos conditions financières de PDS sont supérieures à la moyenne”, informe-t-il.

Mais hélas, il y a des difficultés pour faire garder les enfants, une offre culturelle insuffisante. Il peut y avoir aussi des problèmes réglementaires, émanant du pays du candidat à l’installation. Ainsi, un praticien roumain, installé à Grand-Bourg, a dû repartir au pays au bout de quelques mois car il n’avait pas trouvé de remplaçant pour le poste qu’il quittait, alors qu’il s’y était engagé par écrit.

 

“J’ai compris à quel point la médecine générale était compliquée à exercer”

Mais, si le praticien est bien accueilli, à la fois par le partant et par la commune, il lui sera plus facile d’appréhender tous les méandres de notre système de soins, dans une langue étrangère, et à travers les routes de campagne, souvent sous la neige en hiver. “J’ai compris en inscrivant des praticiens étrangers, à quel point la médecine générale était compliquée à exercer en France, se souvient le Dr Trabuc, aujourd’hui retraité. Il y a la disponibilité, la science, le social, l’organisation, les relations avec les caisses… C’est très complexe.” Mais un accueil chaleureux peut changer beaucoup de choses.

C’est en tout cas ce qu’espère le maire de Lavaveix-les-Mines (750 habitants), Jean-Louis Fauconnet qui vient de recruter une consœur de 52 ans, médecin généraliste libérale à Bucarest en Roumanie. La commune avait deux médecins généralistes. L’un d’eux a pris sa retraite en mars dernier. Le recrutement s’est fait sans passer par une agence dédiée dont les tarifs – entre 10 à 12 000 euros hors taxes, sans durée de contrat garantie – ont fait bondir le conseil municipal. A noter que l’ARS ne recommande pas cette solution.

Aussi, pour recevoir le Dr Violetta Popa (mari retraité, sans enfants), la mairie a mis les petits plats dans les grands avec un prêt sans intérêts, et la mise à disposition gratuite pendant six mois d’un cabinet médical et d’un logement de fonction. Le maire a aussi donné de sa personne, en organisant à l’automne, la venue du couple à son domicile durant deux week-ends, assortie d’une séquence découverte touristique de la commune. Réception avec les conseillers municipaux et les autres professionnels de santé, passage de relai avec le confrère retraité, présentation aux futurs patients… La candidate a été reçue aux petits oignons. “On pense que c’est la bonne recrue. Elle veut vraiment rester à Lavaveix, et demande même à s’investir dans la vie municipale”, se réjouit le maire. Cependant, il y a un “hic”.

 

Loin des 165 actes par mois

Recrutée il y a trois mois sous contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG), qui garantit pendant deux ans au médecin qui s’installe dans un désert, un revenu brut de 6 900 euros, le Dr Popa ne parvient pas encore à atteindre les 165 actes par mois qui déclenchent les aides de l’ARS. Le praticien retraité n’ayant pas eu de successeur pendant plusieurs mois, sa clientèle s’est égayée dans la nature. “Je pense qu’il me faudra entre 6 mois et un an pour m’en sortir vraiment”, commente le Dr Popa, dans un Français parfait. C’est un peu comme si je faisais une création, j’ai des petites urgences, des maladies aigues. Pas de personnes âgées, qui sont pourtant très nombreuses ici”. Ces dernières auraient pris peur, à la lecture d’un article de presse faisant état de craintes du Dr Popa de devoir repartir si la clientèle ne démarrait pas. Elles n’ont pas voulu confier leur santé à un praticien qui risquait de ne pas rester longtemps. “C’est vraiment dommage, les patients sont contents, c’est un bon médecin”, soupire le maire.

Car mis à part cette inquiétude, Violetta Popa est “enchantée de la médecine à la française. On est extrêmement libre, les recours à l’imagerie médicale ou aux examens complémentaires ne sont pas limités comme en Bulgarie. Mais on manque vraiment de praticiens spécialistes. Les délais d’attente sont très longs”. Autrement, la praticienne a eu le plaisir de découvrir de très nombreux compatriotes dans la région. “A Aubusson, à Guéret, il y a un psychiatre, un gériatre, un chirurgien orthopédiste roumains. Mais je préfère me faire des relations françaises, pour m’intégrer”, tranche-t-elle.

 

“Personne n’en veut”

Le turn-over à l’hôpital de Guéret relève d’une autre problématique : le manque de stages validants pour la formation des internes. Les praticiens étrangers hors CEE qui ont passé le concours de la PAE (procédure d’autorisation d’exercice) ou ont un statut intermédiaire qui nécessite une validation de l’ARS, doivent réaliser de un à trois ans de stages validants dans des services agréés pour la formation des internes. “Or, nous n’avons pas de terrains de stages agréés”, expose M. Richard Brown, de l’ARS du Limousin (département de la Creuse). “C’est un enjeu fort pour eux, mais ils le savaient en venant. Soit ils perdent leur temps, soient ils changent d’établissement. Sans évolution réglementaire, ce sera tout le temps comme cela. Les praticiens ne sont pas plus volatiles en Creuse qu’ailleurs”, tient-il à souligner.

Problème d’autant plus récurrent que les postes laissés vacants par ces praticiens en recherche de stage ne sont jamais repris par des titulaires français. “Personne n’en veut”, reconnaît M. Brown. “Il est parfois plus simple d’avoir des praticiens provenant de la communauté européenne que des médecins hors communauté européenne. Car ils peuvent obtenir une intégration directe par le conseil de l’Ordre”, reconnaît-il. Alors que la Creuse n’est pas hospitalière pour les Irakiens ou les Lybiens, qui, de plus en plus nombreux, frappent à notre porte.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne