Le docteur Jean-Philippe Masson est radiologue installé dans un cabinet de groupe à Carcassonne (Aude). Il est aussi président de la Fédération nationale des médecins radiologues (Fnmr). Il pratique le tiers-payant généralisé depuis longtemps, mais il comprend ceux qui refusent de le faire. Surtout, il regrette que Touraine envisage de le rendre obligatoire. Il estime que cela doit rester un choix en fonction des possibilités de chaque praticien.

 

Egora.fr : Quelle est la proportion de radiologues en tiers-payant généralisé ?

Jean-Philippe Masson : Beaucoup de radiologues pratiquent déjà le tiers-payant généralisé. Je dirais que cela concerne une majorité de médecins. Le fait de le pratiquer ou non varie selon les régions. Dans les départements les plus pauvres, qui ont par exemple un passé minier, nous faisons beaucoup de tiers-payant. Les compagnies minières avaient à l’époque des accords, et l’habitude est restée. Après certains ne veulent pas faire de tiers-payant généralisé à cause des nombreux inconvénients. Ils craignent d’être pieds et poings liés à la sécurité sociale et aux mutuelles, et ils ont raison ! Certaines mutuelles ont des exigences compliquées. Sur les 500 organismes, il n’y en a pas deux qui ont la même façon de procéder.

A titre personnel, vous le pratiquez ?

Oui, mais je suis dans un groupe de 18 radiologues, avec trois secrétaires à plein temps qui s’occupent de récupérer les parts complémentaires. Lesquelles sont d’ailleurs souvent remboursées de manière échelonnée, ce n’est jamais versé tout d’un coup. Je conçois vraiment que des médecins qui ne sont pas en groupe, qui n’ont pas de secrétariat, refusent de faire du tiers-payant. C’est une vraie surcharge de travail. Chez nous, on pratique le tiers-payant depuis longtemps. Mais les nouveaux associés qui arrivent ont des problèmes de trésorerie au début. Certains retards de paiement peuvent aller jusqu’à deux ans ! Et il y a toujours autour de 3% des paiements qu’on n’arrive jamais à récupérer. Je suis installé à Carcassonne. C’est une ville touristique, les gens viennent de partout et parfois ont besoin de se faire soigner ici. Mais quand vous avez affaire à une caisse d’Alsace, qui ne vous connaît pas… Ça peut être très compliqué et prendre du temps.

Que pensez-vous du projet de Marisol Touraine sur le tiers-payant ?

Déjà, le rassemblement des mutuelles est une condition indispensable à la généralisation du tiers-payant chez les généralistes. Ensuite, tous les politiques doivent comprendre qu’une réforme menée sans l’assentiment des médecins ne peut pas fonctionner. Toutes les réformes qui ont été faites comme ça ont été avortées. Elles sont tombées dans l’oubli, parce qu’elles ne pouvaient pas être appliquées. Marisol Touraine dit que le tiers-payant généralisé permet de lutter contre le renoncement aux soins. Mais un récent sondage a montré que le renoncement aux soins est d’abord dû à des délais trop longs pour obtenir des rendez-vous ! Et il ne faut quand même pas oublier que tous les médecins ont toujours fait ce qu’il fallait pour soigner les patients. On a toujours gardé les chèques des patients le temps qu’il fallait, on a toujours joué nous-mêmes le rôle du tiers payant.

Donc vous comprenez les craintes des généralistes ?

Bien sûr que je comprends les craintes des médecins généralistes. Je les comprends et je les partage. Je suis pour le tiers-payant généralisé pour les patients. Mais le côté obligatoire me gêne. C’est une volonté politique démagogique. Surtout pour les généralistes. C’est un scandale ! Pour un généraliste avec une consultation à 23 euros, la part tiers-payant ça va concerner quoi ? Sept euros ? Pour cette somme-là, les gens peuvent attendre d’être remboursés… Il faut dire que les montants des actes en radiologie ne sont pas les mêmes que pour les médecins généralistes. Le reste à payer est beaucoup plus important dans notre spécialité.

Une autre crainte concerne l’inflation des actes. Est-ce quelque chose que vous constatez ?

Il faut lutter contre, en tant que médecin. Mais les patients ont un sentiment de gratuité, c’est sûr. L’autre jour, une dame est venue pour une radio du genou gauche. Mais il se trouve qu’elle avait aussi mal au genou droit. Alors elle me dit de lui faire une seconde radio. “Allez-y, c’est gratuit”, elle me dit. Mais non, ça a un coût ! Je constate une vraie dévalorisation de l’acte. J’ai pour habitude de dire que la santé est un dû, oui, mais elle a un coût. Quand je refuse des examens parce que ce n’est pas justifié, les gens me les réclament. Souvent ils viennent avec une ordonnance pour une radio et une échographie. Mais neuf fois sur dix, l’échographie n’est pas utile. Alors je refuse de la faire. Donc je dois leur expliquer. Les patients entendent l’argument, mais s’en fichent… Ils sont concernés quand on dit qu’on va leur augmenter les cotisations parce que la Sécu est en crise, mais beaucoup moins quand on leur refuse un acte. Mais c’est moi qui suis un peu bête, je passe du temps à expliquer aux patients qu’un acte n’est pas utile, que ça coûte cher, alors que je mettrai moins de temps à leur faire la radio. Mais quand même, j’estime que ce n’est pas ça mon boulot.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier