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Automédication : le remède qui fâche !

Contrairement aux idées reçues, l’automédication ou médication responsable n’est pas un secteur en croissance. Il affiche même un recul depuis l’année dernière. En revanche, il s’agit d’un secteur de croissance potentielle. Encore faut-il du “courage politique”…

 

L’automédication ou plutôt la médication responsable consiste à offrir au patient la possibilité de gérer ses maladies bénignes sans avoir à faire appel à un médecin. En revanche, le pharmacien va lui donner un conseil ou, à défaut d’être en capacité de le faire, l’orienter vers un médecin généraliste. Si ce secteur a progressé jusqu’en 2012, il affiche une baisse depuis l’année dernière, “qui s’explique difficilement”, fait savoir Pascal Brossard, président de l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une auto-médication responsable (Afipa). La baisse de la fréquentation des pharmacies en 2013 peut être liée aux pathologies plus lourdes qui ont sévi en 2013 obligeant aux consultations médicales, ou encore au déploiement des traitements trimestriels et non plus mensuels. “Pour 2014, nous sommes à -3% sur la consommation”, souligne Pascal Brossard. Toujours d’après les chiffres de l’Afipa, l’automédication représente 16% de la part de marché en volume. “C’est une part relativement faible par rapport aux autres pays européens, estime-t-il. En Allemagne, l’automédication représente 40% des médicaments. En Angleterre, ce marché est à 37%, et 33% en Belgique.”

 

Parcours de soins

Regrettable, car l’automédication pourrait constituer une “première étape dans le parcours de soins pour les pathologies bénignes”, rapporte Pascal Brossard. D’autant plus que depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoires (Hpst) de 2009, le pharmacien s’est vu reconnaître des missions de premier recours. “Cette première étape est importante car les médecins généralistes sont de moins en moins disponibles, rappelle-t-il. Il n’est plus possible d’obtenir des rendez-vous rapidement, donc le conseil du pharmacien peut être une façon de pallier cette absence.” Cette réorganisation du système de soins consisterait à ce que le pharmacien se concentre sur les pathologies bénignes, afin que le médecin généraliste ne prenne en charge que les pathologies les plus lourdes et chroniques. “Il existe aujourd’hui un décalage qui coûte très cher à la société, soutient Pascal Brossard. Les médecins affirment que 12% des consultations sont inutiles et que les demandes des patients pourraient être prises en charge par le pharmacien.”

“Je serai un peu moins tranché”, indique Philippe Gartner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (Fspf), pour qui l’automédication n’est pas la première étape mais “l’une des premières étapes possibles du parcours de soins”. Il est important selon lui que le patient puisse faire le choix d’entrer dans le parcours de soins soit par le médecin, soit par le pharmacien, même si “les patients font parfois le choix du médecin pour des raisons de prise en charge”.

Pour Christian Saout, secrétaire général délégué du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), compte tenu des faibles risques de l’automédication, la vente libre de médicaments peut constituer une solution. Néanmoins, en aucun cas, il ne s’agit “d’une porte d’entrée dans le parcours de soins”. “C’est un argument qui ne tient pas. Ne confondons pas un “moment de soin” et un “parcours de soins”. Un parcours, c’est un diagnostic, un traitement, et l’intervention de professionnels de santé avec le suivi d’un traitement au long cours !”

 

Levier de croissance

Le secteur de l’automédication représente néanmoins “un levier de croissance qu’il ne faut pas négliger”, estime Philippe Gaertner. Il prend l’exemple d’une patiente qui se rend à la pharmacie un samedi avec une cystite aiguë non récidivante. L’intérêt est qu’elle puisse bénéficier des conseils du pharmacien et obtenir un médicament rapidement afin de traiter son problème en phase aiguë et éviter qu’elle ait à se rendre aux urgences ou attendre un rendez-vous chez le médecin. Même son de cloche du côté de Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, (Les entreprises du médicament), qui regrette “le manque de volonté politique pour développer le secteur de la médication responsable alors que nos voisins allemands ont un marché qui représente deux fois la taille du marché français”. Pourquoi une telle différence ? Tout d’abord parce que les pouvoirs publics en font un sujet de sécurité sanitaire en disant que les Français consomment beaucoup trop de médicaments. “Ce n’est d’ailleurs pas le cas par rapport à nos voisins, soutient Philippe Lamoureux. Et nos voisins qui ont fait le choix de l’automédication responsable ne rapportent pas plus d’effets indésirables.”

Le deuxième frein est d’ordre économique “puisqu’il est coutume de dire que si on développe l’automédication, cela va impacter le portefeuille des Français, souligne Philippe Lamoureux. Or, même s’il est vrai qu’il existe des marges différentes d’une officine à une autre, on ne constate pas d’envolée des prix.” “Au fil du temps, on a fait de l’automédication un sujet quasi idéologique et pratiquement tabou, regrette-t-il. Je pense que cette approche ne tient pas compte de l’évolution de la société, des attentes des patients qui souhaitent prendre en charge leurs pathologies. On passe à côté de ce marché dans notre pays !”

Troisième obstacle : l’assimilation qui est faite entre automédication responsable et déremboursement. “La ministre a annoncé qu’elle ne serait pas la ministre du déremboursement”, rapporte Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du Leem. Or, il est tout à fait possible de décorréler une politique de développement du patient responsable de toute idée de déremboursement. “On peut s’engager à avoir des pathologies couvertes par le remboursement, avec par exemple en automédication des boîtes de sept gélules, non remboursables et moins chères, qui passeraient à quatorze gélules en médication et remboursables, propose- t-il. On pourrait dérembourser une présentation et non une indication.”

Les patients auraient alors le choix entre une consultation médicale avec une prescription de médicaments remboursés ou un conseil pharmaceutique permettant un gain de temps mais sans remboursement. Ce choix relève d’un niveau politique et du contrat social qui consisterait à redéfinir le panier de soins. “On pourrait aussi imaginer un bilan d’automédication fait par le médecin traitant qui autoriserait ou non le patient à avoir recours à l’automédication en fonction de plusieurs critères”, suggère Éric Baseilhac. “Le pharmacien est le vecteur par lequel on pourra développer l’automédication car nous ne sommes pas sur des sujets économiques en première intention mais sur des enjeux de santé publique”, estime Philippe Lamoureux.

 

Déremboursement

Concernant le déremboursement, Pascal Brossard regrette que les autorités françaises ne s’attaquent pas à la dissociation entre le petit risque et le risque lourd. “Nous demandons depuis longtemps à faire cette distinction, explique-t-il. Mais il manque le courage politique de le faire.” Il déplore qu’en France il faille toujours “que tout soit remboursé, malgré le trou de la Sécurité sociale”. “Les autres pays ne sont pas moins sociaux, mais ils sont un peu plus pragmatiques”, soutient-il. Quant au remboursement de l’automédication par les complémentaires, “nous sommes moins enthousiastes car nous souhaitons une responsabilisation du patient”, indique Pascal Brossard.

D’autant plus qu’en France le tarif des médicaments en automédication est faible, donc “les patients ne seraient pas lésés”. Et d’ajouter: “Mais, pour les politiques, développer l’automédication, c’est faire une médecine à deux vitesses et barrer l’accès aux soins à certaines catégories de personnes. On peut tout de même prendre 3 euros en charge par personne et par mois!”

L’égalité d’accès aux soins s’immisce dans cette analyse, puisque lors de la Journée de l’Ordre des pharmaciens, la ministre de la Santé a affirmé qu’il s’agissait de l’une des priorités de sa politique de santé. “La ministre prend en compte les difficultés de certains Français contraints de renoncer aux soins”, souligne Philippe Gaertner. Or, les années où il y a eu une progression de l’automédication sont celles où il y a eu du déremboursement. “Nous sommes dans une période de crise, et une partie de la classe moyenne se retrouve en difficulté, explique Philippe Gaertner. Si on leur enlève une prise en charge, cela devient difficile au quotidien.”

 

Sécurité sanitaire

“Je suis défavorable à ce qu’on ait une stratégie de déremboursement de certains médicaments, complète Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Upso). Le Leem voudrait que tout ce qui touche au rhume ne soit plus remboursable pour ainsi récupérer une liberté des prix.” Il faut selon lui que le patient ait le choix d’aller chez son pharmacien, chez son médecin traitant ou à l’hôpital “quelle que soit sa situation économique. On ne peut pas faire des parcours pour ceux qui ont de l’argent et pour les autres”, soutient-il.

Avec les médicaments hors prescription, il y a, selon Christian Saout, “un sujet économique primordial concernant le reste à charge, qui est de savoir comment nous surveillons et limitons l’évolution des prix des médicaments en automédication dans un pays où l’on n’a plus de contrôle des prix”. Il prend l’exemple des populations limitrophes de l’Espagne pour qui il est plus facile d’acheter des médicaments moins chers. “Nous craignons une dérive des prix, fait-il savoir. C’est un observatoire des prix des médicaments qu’il faut mettre en place.”

Libre accès aux médicaments ne veut pas dire libres ervice. Le développement de l’automédication ne va donc pas de pair avec la libéralisation des points de vente car le médicament est loin d’être un produit de consommation courante. “Nous voulons que l’automédication ait lieu dans un cadre sécurisé, avec un contrôle assuré par les pharmaciens, informe Pascal Brossard. Nous sommes contre la vente des médicaments en grandes surfaces.”

Lorsqu’un patient s’adresse à un pharmacien, “il ne faut jamais présupposer de sa connaissance du produit, précise Philippe Gaertner. Il y a des messages que la profession doit faire passer”. Le conseil délivré par le pharmacien doit être sécurisé et les médicaments délivrés en automédication enregistrés dans le dossier pharmaceutique, “en espérant que ce dossier sera un jour inséré dans le dossier médical”, estime Gilles Bonnefond. Pour lui, l’objectif est de renforcer ce conseil pharmaceutique en essayant de le protocoliser avec des logiciels d’aide à la dispensation et une grille de questions pour rendre le conseil encore plus secure. Il regrette d’ailleurs une organisation trop “noir et blanc” avec d’un côté les médicaments à prescription médicale facultative et de l’autre les médicaments à prescription obligatoire.

“Il faudrait une troisième catégorie avec des médicaments accessibles sur conseils pharmaceutiques spécifiques, propose-t-il. Cela permettrait de débloquer certaines situations avec des conseils particuliers, encadrés, protocolisés, pourquoi pas, par la Haute Autorité de santé tout en complétant ce parcours sécurisé par un travail de communication pour apprendre au patient à bien gérer son armoire à pharmacie.”

“La question de la sécurité des patients est une grande préoccupation au niveau régional”, souligne Bertrice Loulière, pharmacienne et coordonnatrice de l’Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (Omedit) auprès de l’agence régionale de santé (ARS) Aquitaine. D’un point de vue réglementaire, a protection existe, avec les autorisations de mise sur le marché, la pharmacovigilance, les obligations déontologiques, etc. Le rôle des professionnels de santé est donc fondamental pour que l’automédication ne devienne pas un danger. “Rien ne doit nuire au patient, le choix doit être éclairé, transparent et lisible”,défend Bertrice Loulière, en précisant que l’ARS a mis en place en 2012, avec les unions régionales des professions de santé (Urps), une charte de l’automédication. “Le dossier pharmaceutique et la démarche de conciliation médicamenteuse sont des leviers très attendus”, conclut-elle.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin