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“La seconde victime d’une erreur médicale, c’est le médecin”

L’erreur est humaine, en médecine comme ailleurs. Mais chez les médecins, cela reste une question taboue et associée à un sentiment de honte. D’autant plus si elle débouche sur un procès. Quel est le ressenti des médecins généralistes après une telle épreuve ? Magali Finon a choisi de se pencher sur la question dans le cadre de sa thèse en médecine générale.
 

 

Egora.fr : Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce sujet-là ?

Magali Finon : Pendant notre formation, il y a de plus en plus de cours proposés sur le thème “éviter l’évènement indésirable”. Mais on nous parle d’une conduite théorique, difficile à tenir en permanence dans l’exercice quotidien. Quand on sort de ces formations, on a le sentiment qu’on n’arrivera jamais complètement à mettre en application ces consignes. C’est illusoire d’espérer faire de la médecine avec une totale sécurité. Mais ça, on n’en parle pas en formation. Le côté “et si jamais ça arrive quand même” est encore très peu abordé…

Quant à la procédure judiciaire qui peut découler d’une erreur médicale, les statistiques montrent que ce n’est plus un évènement rare en médecine générale. Approximativement, on en est à un procès pour deux carrières de généraliste. Mais il y a un vrai tabou, les médecins concernés sont très honteux et ont beaucoup de mal à aborder spontanément le sujet. J’ai été particulièrement interpellée quand j’ai appris tardivement et par une indiscrétion de son entourage qu’un médecin de ma connaissance avait subi une procédure en début de carrière. J’avais plusieurs fois abordé le sujet avec lui de façon générale, et j’avais été surprise de sa maîtrise du sujet, mais à aucun moment de la conversation il ne m’a “avoué” d’où lui venaient ces connaissances….

Pour faire ces 15 entretiens, je suis passée par le Sou médical [Ndlr : Couverture des risques responsabilité civile]. Ils ont récupéré les coordonnées de leurs sociétaires généralistes qui avaient clôt une procédure en justice entre 2009 et 2010, et, ces données devant rester confidentielles, ils ont servi d’intermédiaire pour ma demande. Cela reste une démarche très volontaire de la part de ces médecins, donc pouvant induire un biais de recrutement. En tout 80 médecins ont reçu le message, j’ai eu 18 réponses et finalement 15 entretiens, cela peut sembler faible mais c’est souvent le cas avec ce type de recrutement, quel que soit le sujet.

 

Si les procès deviennent si fréquents, comment expliquer que le tabou persiste ?

La médecine est quand même une profession centrée sur le bénéfice du patient, à défaut de toujours lui faire du bien le minimum est de “ne pas nuire”. Avoir causé involontairement un dommage à un patient, c’est assez traumatisant pour un médecin, c’est une remise en question de l’ensemble de sa pratique. D’autant que l’attitude de ses pairs n’est pas forcément au soutien et à la compassion. Plusieurs études l’ont montré, quand un médecin est impliqué dans un évènement indésirable, les confères s’éloignent, préfèrent éviter le sujet, comme s’il s’agissait d’une maladie contagieuse… Cette attitude est vraiment dommageable, elle aggrave la tendance naturelle du médecin mis en cause au repli sur soi. Cette souffrance du médecin est telle qu’un article du BMJ a parlé de “seconde victime” il y a déjà 15 ans. Et c’est vrai, la seconde victime d’une erreur médicale, après le patient, c’est le médecin. Le stress professionnel qui en découle peut être lourd.

Ce type de ressenti est aggravé par le procès, c’est-à-dire une mise en accusation du médecin par la société, et plus seulement face à sa conscience ou le jugement des confrères. Le procès est souvent particulièrement mal vécu, surtout si le verdict est défavorable. Il reste alors un fort sentiment d’amertume et d’injustice. Les procédures devant les tribunaux sont souvent longues, ce qui les rend d’autant plus pénibles.

Sur les 15 médecins que j’ai pu interroger, trois ont fait un vrai syndrome dépressif, dont un avec des idées suicidaires. A noter qu’aucun des trois n’a consulté pour autant, la honte du procès venant aggraver la tendance naturelle du médecin à ne pas se faire soigner… L’isolement est vraiment le risque principal quand ce type d’épreuve touche un professionnel libéral. Les généralistes que j’ai interrogés sont souvent assez ambivalents, ils se plaignent de l’absence de confraternité mais ils ont nettement évité les contacts… Les médecins apprenant qu’un de leur confrère est concerné doivent vraiment oser aborder le sujet avec lui, faire preuve d’intérêt. J’ai presque envie de dire à le “forcer” à se confier.

 

Vous dites que les médecins prennent le procès comme une agression…

Même lorsque le ressenti n’est pas si douloureux, les médecins ont tendance à prendre leur procédure de façon très personnelle, comme une agression de la part du patient. Mais ils ont tort d’y voir une attaque personnelle. En général, les patients ne sont pas vraiment motivés par le ressentiment. La plupart des patients qui attaquent en justice le font pour comprendre ce qui s’est vraiment passé et bien sûr pour obtenir une indemnité, dont ils ont parfois vraiment besoin comme le reconnaissent la plupart des médecins que j’ai interrogés. C’est ce qui explique le succès croissant des commissions de conciliation et d’indemnisation créées par la loi Kouchner de 2002, qui ont permis une baisse très nette des plaintes au tribunal civil. La démarche du patient est donc souvent ressentie comme beaucoup plus agressive qu’elle ne l’est en réalité.

En général, si un patient veut vraiment la peau du médecin, il tente des poursuites au pénal. Tous les médecins sont terrifiés par le pénal, mais c’est finalement très rare qu’une plainte soit considérée comme recevable et encore plus qu’elle aboutisse à une condamnation.

Bref, le coté émotif domine largement chez un médecin confronté à un procès. C’est particulièrement difficile pour lui de rationaliser, de prendre du recul.

 

Comment expliquer ce décalage entre la perception des médecins et la réalité ?

C’est vrai que le procès semble parfois générer une bonne dose d’irrationnel… Par exemple, j’ai été étonnée de voir qu’aucun des médecins que j’ai interrogé ne se sentait finalement vraiment responsable de l’accident. Ils sont assez ambivalents. Ils reconnaissent tout juste un “sentiment de culpabilité irrationnel” et très transitoire. Il est possible qu’il ne s’agisse que d’un biais de sélection. Les médecins qui se sentent vraiment en faute se sont peut-être gardés de me contacter. Mais une criminologue et un psychiatre m’ont confirmé que c’est un mécanisme de défense psychologique relativement courant lors d’un long procès. On finit par se persuader de sa complète innocence, et on se sent victime d’une grande injustice. On imagine que cela n’aide pas à une remise en question objective de sa pratique… Certains des médecins que j’ai interrogés avaient manifestement fait preuve d’une certaine imprudence lors de la prise en charge de leur patient. Je suis persuadée qu’en dehors du contexte d’un procès ils auraient été capables d’accepter cette responsabilité. Il est possible qu’une procédure judiciaire puisse finalement s’avérer pénalisante sur le plan pédagogique pour le médecin.

 

Justement, la pratique de ces médecins change-t-elle après un procès ?

Les médecins dont la responsabilité n’a pas été retenue se sentent plutôt confortés dans leur pratique. Sinon, il n’y a pas de modification vraiment objective et utile de la pratique. La plupart des changements se callent sur le “médical opposable” : décharges, consentements, tenue du dossier… Quatre médecins m’ont tout de même affirmé faire beaucoup plus d’examens et surtout de demandes d’avis spécialisés, même en sachant que cela n’a pas d’utilité pour la prise en charge.

Certains se sentent complètement désenchantés après avoir perdu leur procès. Au moins trois médecins m’ont dit que s’ils pouvaient revenir en arrière, ils ne referaient pas forcément de la médecine générale. Deux d’entre eux ont d’ailleurs abandonné la partie libérale de leur exercice, complètement dégoutés. L’un travaille chez les pompiers et l’autre fait du SMUR. C’est vrai que l’exercice libéral est le mode d’exercice le plus exposé quand il s’agit de justice. A l’hôpital c’est très rare de faire une faute détachable du service et donc d’être attaqué personnellement au tribunal.

 

Qu’est-ce que ce travail vous a apporté en tant que médecin ?

Ca a été parfois assez pénible au moment des entretiens, parce que la projection est facile. Certaines imprudences ou erreurs sont classiques, donc on s’identifie forcément. Deux ou trois des médecins que j’ai interrogés se sont vraiment épanchés. Pour l’un d’eux, c’était la première fois qu’il évoquait son procès. Il en pleurait presque en me parlant, c’était assez poignant…

Les procédures judiciaires vont à l’avenir vraiment faire partie du métier de médecin généraliste, il n’y a pas de retour en arrière à prévoir, d’ailleurs ce n’est pas souhaitable. Même en essayant de pratiquer au mieux la médecine, on n’est pas à l’abri. J’ai compris que si ça arrive, il faut surtout tacher de ne pas le prendre comme une attaque personnelle et globale de ses compétences. Et d’autre part, éviter le repli sur soi, ne pas hésiter à en parler. Le réseau de pair est le principal facteur pour tenir le coup dans l’épreuve, c’est ce qui ressort de mes entretiens.

Suite à mes recherches j’ai aussi pu avoir une vision d’ensemble des aides psychologiques disponibles pour les médecins, qu’en général on ignore totalement. Par les associations de médecins comme l’AAPML [Ndlr : Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux], par les réseaux sociaux, où il existe déjà des réseaux confraternels à l’anonymat garanti, et même auprès de certains conseils départementaux de l’Ordre des médecins, quand le responsable du service d’entraide est particulièrement sensibilisé.

Et puis je pense vraiment que cet aspect de l’évènement indésirable doit être plus développé au cours des formations, pour que les médecins puissent être mieux préparés aux conséquences de leurs propres imperfections. Puisque la médecine ne sera jamais une science exacte, il faut pouvoir au moins en tirer des enseignements positifs et ne pas juste en être la seconde victime.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier