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Alcootests au bloc : un député brise le tabou

Soumettre les praticiens à des tests d’alcoolémie avant tout passage au bloc, c’est la proposition que vient de faire un député UMP en réaction au drame d’Orthez en septembre dernier. Une idée “stupide et absurde”, pour Xavier Gouyou Beauchamps, secrétaire général du Bloc, pour qui le débat est ailleurs.

 

“Les parlementaires ont l’obligation de se soumettre à un test d’alcoolémie avant tout débat, et ont l’interdiction d’introduire de l’alcool sous quelque forme que ce soit à l’intérieur de l’hémicycle.” Cette proposition de loi est un pied de nez de la part du syndicat de chirurgiens, d’anesthésistes et d’obstétriciens Le Bloc, au député UMP Lucien Degauchy. Ce député de l’Oise a fait le 21 janvier dernier, et de manière beaucoup plus sérieuse que le syndicat, la proposition de soumettre à un test d’alcoolémie les chirurgiens, anesthésistes et infirmiers avant toute intervention chirurgicale. Son initiative fait suite au drame d’Orthez, où une jeune parturiente était décédée après avoir été prise en charge par une anesthésiste qui avait reconnu avoir bu avant d’intervenir.

 

“Une mesure absurde et vexatoire”

“Il faut être certain que cette malheureuse affaire ne se reproduise plus jamais”, assure Lucien Degauchy pour justifier son dépôt de proposition de loi. “J’ai d’ailleurs reçu une lettre de soutien du mari de la jeune femme décédée pour me féliciter. J’ai eu des témoignages de gens qui sont très contents”. Pas sûr que les premiers concernés soient du même avis.

L’idée a fait bondir Xavier Gouyou Beauchamps, secrétaire général du syndicat Le Bloc. “C’est une proposition de loi tout à fait absurde. C’est une réponse de circonstance sur un accident précis, comme si le problème avait une cause unique !”, s’indigne le Dr Gouyou Beauchamps. Pour lui, le député Degauchy se pose les mauvaises questions face à un vrai drame. “C’est une mesure absurde et vexatoire qui stigmatise la profession. Pourquoi ne pas l’élargir à d’autres professions qui exercent des responsabilités ? Aux pilotes de ligne ? Aux juges ?”

Lucien Degauchy n’y voit pas d’inconvénients : “Si un jour la presse se fait l’écho d’un problème avec un pilote de ligne aussi grave que ce qu’il s’est passé dans cette clinique, alors oui, il faudra prendre les mêmes mesures”. Le député UMP, horticulteur de formation, reconnaît aussi bien volontiers que sa proposition peut être stigmatisante. Mais “quand on retire des points à un automobiliste parce qu’il a fait une faute, il se sent stigmatisé aussi ! Toutes les lois sont faites pour stigmatiser !”, tente-t-il de justifier.

 

“Difficultés majeures de recrutement dans les zones rurales”

Des arguments qui sont loin de convaincre le responsable du syndicat de chirurgiens. Pour lui, le député ne pose pas les bonnes questions et apporte une mauvaise réponse à un vrai drame. “Le fond du problème, c’est les difficultés majeures de recrutement dans les zones rurales. Les intérimaires se succèdent, les équipes sont incomplètes ! Cela pose clairement des problèmes de continuité des soins et d’efficacité des équipes. Travailler avec des équipes qu’on ne connaît pas n’est pas sécurisant ni pour les praticiens ni pour les patients.”

Mais le député Lucien Degauchy n’en démord pas. “Ce n’est pas une raison. S’il y a des médecins accros, il faut que les cliniques et les hôpitaux ne les recrutent pas. On ne peut pas confier la santé de nos proches à quelqu’un d’accro”, estime-t-il.

Une idée qui avait déjà été soulevée en 2011. La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) avait saisi le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) sur les possibilités de dépistage des drogues en milieu de travail. Le CCNE avait a estimé que le dépistage médical de l’usage de produits illicites ou d’alcool était “souhaitable et justifié pour les postes de sûreté et de sécurité”. Des recommandations qui n’avaient pas été suivies d’effet.

Ce type de discussion pose en fait la question du maintien des petites structures en zone rurale, qui peinent à recruter et auxquelles les normes de repos imposent d’embaucher des praticiens plus nombreux. “C’est comme pour les généralistes, les pôles plus importants sont plus attractifs. La charge de travail est mieux répartie. Le fait de travailler dans un cadre sécurisé est un facteur de non stress. L’environnement compte beaucoup”, explique le Dr Gouyou Beauchamps. “C’est ahurissant de voir le détricotage de la médecine spécialisée en zone rurale !” Et l’effet boule de neige qui s’en suit. “Plus le tissus médical se défait, moins les nouveaux voudront s’installer. Il est plus facile pour une équipe de trois de trouver un quatrième que pour un médecin tout seul d’en trouver un deuxième.”

 

Le problème des praticiens étrangers

De fait, explique le chirurgien, les petites structures sont amenées à recruter des médecins à formation étrangère, comme dans le cas d’Orthez, dont la formation est mal contrôlée. En 2006, Xavier Bertrand avait proposé un contrôle des connaissances pour les praticiens qui n’avaient pas suivi leur formation en France. Ils avaient cinq ans pour valider un test. “Mais au 1er janvier 2012, tout le monde ne l’avait pas. Alors on s’est dit, s’ils s’en vont, nos hôpitaux ne pourront plus tourner !”. Un nouveau délai de cinq ans a alors été voté en catastrophe. “Avec cette validation à retardement, ils ont accepté l’idée que des gens collés puissent travailler pendant dix ans”, explique le chirurgien.

“Les députés mettent le problème sous le tapis, mais il y a une volonté politique tout à fait contradictoire”, souligne le praticien. D’une part, on recommande aux petites structures de se regrouper, comme cela vient d’être fait au sujet des maternités. Mais d’autre part, les élus locaux rechignent à fermer les plus gros pourvoyeurs d’emplois de leur territoire. “Les hôpitaux sont des mines à électeurs, fermer les hôpitaux, c’est mettre 200 personnes au chômage, autant d’électeurs en moins.”

Sauf que, souligne encore le chirurgien, “les Français utilisent l’hôpital comme source d’emploi mais quand il faut faire des soins, ils préfèrent aller à la grande ville”. Une mauvaise image qui colle à la peau des petits établissements, et que des propositions comme celle du député Degauchy ne viendront pas arranger.

Mais que les praticiens se rassurent, avant même d’être débattu à l’Assemblée, le texte de Lucien Degauchy a bien du chemin à faire. Il doit être accepté par le bureau de l’Assemblée, puis passer en Commission des Affaires sociales avant d’être éventuellement inscrit en plénière. Le député UMP ne se fait pas d’illusions : “Il y a des textes qui ont attendu des années comme ça…”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier