“Médecins, nous voulons la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté”. Un collectif de professionnels de santé vient de publier un manifeste pour la légalisation de l’aide médicalisée à mourir. Généraliste retraité, le Dr Bernard Senet est l’un des signataires à l’origine de cette initiative. Il estime que la proposition Leonetti-Claeys, portée par le gouvernement, n’est que de la poudre aux yeux et en appelle à la fin de l’hypocrisie des médecins sur le sujet.

 

Egora.fr : Pourquoi avoir rédigé et publié ce manifeste ?

Dr Bernard Senet : A titre personnel, j’appartiens à l’ADMD (Association pour l’aide à mourir dans la dignité) depuis au moins 25 ans. Quand on a vu se pointer la loi Claeys-Leonetti, on s’est proposé de faire un manifeste de soignants. On a trouvé un noyau de soignants, seize personnes qui ont lancé ça, dont Frédéric Chaussoy, qui est anesthésiste, Daniel Carre qui fait partie du CISS (collectif interassociatif sur la santé), Denis Labayle un ancien praticien hospitalier. Tous ne font pas partie de l’ADMD. Cette initiative n’est pas liée à l’association. Ensuite une fois qu’on a eu une centaine de signatures, on a lancé le texte sur le site Change.org.

Pourquoi maintenant ?

On est vraiment à un tournant. Véronique Massonneau, députée EELV (Europe écologie-Les Verts), a fait une proposition de loi très proche de la loi belge, qui est pratiquement ce qu’on souhaiterait. Donc on s’est dit que ce serait bien de la soutenir. Surtout quand on a vu arriver le rapport Claeys-Leonetti assorti d’une proposition de loi, et qui a été tout de suite relayé par le gouvernement. Le projet de Véronique Massonneau, nous paraissait bien plus complet. Malheureusement, sa proposition a été rejetée en Commission des affaires sociales.

Que pensez-vous du rapport d’Alain Claeys et de Jean Leonetti ?

La sédation en phase terminale, c’est une rigolade sans nom. J’ai travaillé en soins palliatifs pendant des années. Depuis qu’on applique la loi Leonetti, on fait de la sédation. On ne laisse pas les gens mourir de faim et de soif la bouche ouverte. Enfin, sauf quelques abrutis dans des services complètement tarés. Il y des gens complètement fous et qui attendent que ce soit Dieu qui laisse mourir les gens de faim et de soif. Mais en gros, dans un service de soins palliatifs qui fonctionne correctement, on fait de la sédation en phase terminale depuis très longtemps. Et on le fait de manière tout à fait officielle et consciente, avec l’équipe, dans le cadre de l’application de la loi, car la loi Leonetti permet déjà de faire la sédation. C’est même une mauvaise médecine de ne pas la faire ! Quand vous arrêtez l’alimentation et l’hydratation, vous savez bien que vous condamnez la personne à mort. Est-ce que ça sert à quelque chose qu’elle comate, qu’elle fasse des épilepsies, qu’elle meure déshydratée ?

Le fait qu’elle soit reconnue légalement, n’est-ce pas une avancée ?

J’avais aussi senti le truc venir. J’avais dit “ils vont nous faire la sédation, comme ça, ils ne feront pas l’euthanasie”. Ça ne loupe évidemment pas. La sédation, ce n’est pas un progrès ! C’est faire passer dans la loi une pratique médicale. On ne va pas légiférer sur l’anesthésie générale ou sur les méthodes de traitement de la douleur ! Parce que ça revient au même. On régularise officiellement une pratique médicale, ça n’avance à rien du tout. On ne va pas passer toutes les bonnes pratiques médicales à l’Assemblée nationale. C’est ahurissant ! C’est un faux problème ! C’est de la poudre aux yeux ! C’est pour occuper les gens ! Ça ne sert à rien de parler à l’Assemblée de la sédation en phase terminale, c’est du travail de médecin ça !

Et pour ce qui est des directives anticipées opposables ?

Et bien oui, ouf, heureusement ! Ça prouve juste que la loi Leonetti de 2005 sur les directives anticipées avait minoré la loi Kouchner de 2002. La loi Kouchner donnait aux patients le pouvoir de faire respecter leurs volontés auprès du corps médical à partir du moment où ça avait été écrit, renouvelé tous les trois ans, et qu’il y avait une personne de confiance pour les porter au cas où la personne ne soit plus capable de s’exprimer. En 2005, Leonetti a repris ça et dit “c’est très bien mais il faut que les médecins soient d’accord”. Il a réintroduit le pouvoir médical, en diminuant la portée des directives anticipées face à la profession. Maintenant, il dit “je suis un brave garçon, je vais redonner du pouvoir aux gens”… Et il revient à la loi de 2002, tout simplement.

Vous dites qu’aider quelqu’un à partir, c’est faire un “ultime soin”…

Pour l’avoir pratiqué un certain nombre de fois, je suis persuadé que c’est un soin. Vous accompagnez quelqu’un dans une maladie grave, vous vous battez avec lui quand il subit des complications. Je n’ai jamais eu aucun regret d’avoir aidé quelqu’un à partir. C’était des gens au bout du rouleau, qui auraient vécu quelques semaines de plus, parce qu’on est proche de la mort quand même.

A partir du moment où les gens savent que leurs volontés vont être respectées – pas seulement les demandes d’euthanasie, mais de pouvoir refuser une chimiothérapie, une intervention chirurgicale et continuer à être traité correctement – ils vont mieux vivre plus vieux. Il y a une étude canadienne et une étude belge très intéressantes. A pathologie égale, avec des espérances de vie statistiques, les gens qui ont rédigé leurs directives anticipées, qui ont pris la peine de se préoccuper de leur avenir sanitaire, vivent plus vieux que ceux qui n’ont rien écrit. Si vous savez que le jour où vous le demandez, vous serez aidés, vous vivez mieux.

Mais il faut être tranquille, des euthanasies, tous les médecins en ont fait ! Dans les services de neurologie, on faisait le DLP “Dolosal – Largactil – Phenergan” qu’on appelait gentiment “cocktail lytique”. Et à l’époque on ne demandait pas toujours l’avis du patient et encore moins l’avis de sa famille… Il faut arrêter d’être hypocrite.

Vous dites que les Français veulent cette loi, que les médecins pratiquent déjà l’euthanasie… Pourquoi alors les élus sont-ils si divisés sur le sujet ?

On savait bien qu’Hollande n’aurait pas le courage d’autoriser l’euthanasie. Mais comme il avait eu le courage de faire le mariage pour les homosexuels, on avait un espoir. Mais bon… Je rencontre beaucoup de députés, et les socialistes disent que le gouvernement a une peur panique de se refaire une manif pour tous. Moi, je n’y crois pas vraiment. Les gens, en grande majorité veulent une loi. Et je ne crois pas que les intégristes arriveront à mettre des milliers de personnes dans la rue. Qu’est-ce qu’ils vont défendre ? Que c’est Dieu qui décide de la vie et de la mort ? Je veux bien, mais les médecins ont pris ça en main depuis longtemps.

Après je pense que ceux qui freinent, c’est les médecins. Et il y a quand même beaucoup plus de médecins que d’ouvriers fraiseurs à l’Assemblée nationale. Je crois qu’il y a deux catégories chez les médecins. Les médecins cathos d’une part. Jean Leonetti, c’est la caricature des médecins qui ont cette éducation catholique. Ces gars, c’était un peu des boyscouts, ils ont fait des études de médecine pour rendre service aux gens, avec une idéologie chrétienne… Et de l’autre côté, il y a les gens issus de milieux plus populaires, qui pensaient qu’ils allaient sauver le monde et s’occuper des Africains… Bien sûr, il y a une troisième catégorie, c’est les mecs qui font ça pour le fric, mais ça a toujours existé. Dans les soins palliatifs, s’y engouffrent forcément tous les médecins qui sont proches de la religion. Les médecins qui sont en même temps prêtres ou religieuses sont très branchés soins palliatifs. Le patron des soins palliatifs à Toulouse, il est prêtre par exemple. Ces gens ont de l’influence.

Et après vous avez le pouvoir médical. Un certain nombre de médecins n’ont pas envie que les patients décident. C’est quand même plus tranquille quand c’est nous qui décidons. On n’est pas formés à écouter ce que nous disent les gens. On est plus comme des flics : il faut savoir où les gens ont mal, pourquoi et comment, il faut faire un diagnostic et imposer un traitement. Ça a un peu changé, mais pas tant que ça. Beaucoup de chef de services sont encore des mandarins, ils croient tout savoir, ils humilient leurs étudiants devant les malades, ils humilient les malades devant les gens…

Les médecins ont du mal à penser que les patients peuvent gérer leur maladie eux-mêmes et décider. On l’entend bien dans les débats. La caricature, c’est Bernard Debré. En plus il est chirurgien, donc plus brut de décoffrage. Il dit carrément “je ne vois pas pourquoi les malades décideraient, nous on sait ce qui est bon pour eux”. Leonetti est beaucoup plus fin… Mais le problème de Leonetti, c’est qu’il ne voit plus de gens mourir depuis longtemps. Il fait beaucoup de politique. Et même avant ça, il n’en voyait pas beaucoup mourir parce qu’il était cardiologue. Ce n’est pas la spécialité où les gens meurent lentement…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier