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“Je suis obligé de déplaquer à 94 ans, c’est dur”

C’est une page qui se tourne. Le Dr François Le Menn, généraliste installé à Callac (Côtes d’Armor) depuis 1949 est forcé de déplaquer. A 94 ans ses soucis de santé ont pris le dessus. Un déchirement pour le doyen des généralistes qui voulait exercer jusqu’à la fin.

 

“Je ne pensais pas m’arrêter de travailler mais c’est mon cardiologue qui m’y a forcé au vu de mes complications cardiaques. C’est vrai que depuis quelque temps j’ai du mal à marcher. J’ai fait mes dernières visites avec des béquilles.” La voix du praticien est tremblante, touchée par l’émotion. S’il reconnaît que de “brutaux” problèmes de santé l’ont beaucoup fatigué, il ne s’était pas préparé à arrêter. D’autant qu’il avait trouvé le successeur idéal mais que ce dernier lui a fait faux bon à la dernière minute. “C’était un médecin très bien qui m’avait déjà remplacé à plusieurs reprises. Mes patients l’appréciaient et il se plaisait à Callac. Son annulation doit être liée à une histoire familiale”, analyse-t-il.

 

“J’ai travaillé la nuit jusqu’à 82 ans”

Depuis qu’il a décroché sa plaque, le moral du généraliste est au plus bas. Même ses patients se font du souci pour lui. Ils savent que “son métier était sa vie”. Alors ils lui écrivent de touchantes lettres, vantant sa “gentillesse, son dévouement et sa disponibilité”.

Du 14 mars 1949 au 30 décembre 2014, le Dr François Le Menn aura été un médecin passionné. “Dans le temps, on travaillait nuit et jour, on faisait de la chirurgie à domicile, des accouchements, des radios portatives. J’ai travaillé la nuit jusqu’à 82 ans”, se souvient le praticien qui, en 65 ans de carrière, a soigné six générations de patients. “J’ai soigné des grands-parents de patients qui sont eux-mêmes devenus arrière-grands-parents”, s’amuse-t-il.

En parallèle, le praticien était un sportif émérite et parcourait de 150 à 250 kilomètres à vélo tous les dimanches jusqu’à l’âge de 88 ans. Il voyait peu sa femme mais s’en contentait “comme les couples ouvriers dont l’un travaille de jour et l’autre de nuit”. Son épouse s’occupait “du secrétariat et de la pause casse-croûte”. Puis avec l’arrivée du téléphone portable il a pris le relais grâce au système de transfert d’appel et “était directement en lien avec les patients”.

 

“Les jeunes médecins n’examinent pas assez les patients”

“Quand je suis arrivé, il n’y avait ni ambulance, ni spécialiste, ni infirmières. Les routes n’étaient pas goudronnées, c’était difficile et dangereux de faire les visites”, se remémore le praticien qui relève la forte évolution de la médecine.

“Aujourd’hui, 10 infirmières se sont installées à Callac. Il y a beaucoup de spécialistes mais il n’y a plus de généralistes”, constate le nonagénaire. Il réalise aussi que la manière de soigner a changé, regrettant une moins bonne attention donnée à l’examen clinique. “Les jeunes médecins n’examinent pas assez les patients. Ils les envoient directement faire des radios ou d’autres examens complémentaires”, regrette-t-il. “Cliniquement en médecine, il faut savoir interroger et examiner le malade. Il faut aussi connaître les symptômes des maladies”, ajoute-t-il.

Il se souvient de cas non diagnostiqués par plusieurs médecins et qui avaient atterri chez lui. “Il y avait ce patient qui avait une forte douleur à l’abdomen mais dont rien n’était visible sur les radios. Il avait simplement une torsion d’un testicule. Ou encore celui que j’ai fait opérer d’urgence pour une péritonite toxique. En plus d’avoir les mains violacées, il avait le cœur qui battait à 110 pulsations par minute. Peu de médecins savent que lorsque le cœur bat à plus de 90 pulsations par minute, il faut opérer en urgence”, souligne le généraliste.

“Mes patients m’appellent toutes les cinq minutes. Certains venaient de loin. Je ne sais pas où ils vont aller”, souffle-t-il inquiet, et au bord des larmes.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin