« Des syndicats de médecins ont exprimé une opposition ou des inquiétudes vis-à-vis de certains points de la loi de santé. Ils expriment le sentiment que le projet de loi ne reflète pas ce qu’ils attendaient, c’est la raison pour laquelle j’ai installé une concertation sous forme de quatre groupes de travail. Ils ont déjà commencé à travailler », vient d’expliquer Marisol Touraine, à l’occasion du discours prononcé lors des vœux à la presse, le 27 janvier. Très confiante, la Ministre de la Santé n’a pas caché que ces groupes devaient avancer « vite et intensément » – les premières conclusions de ces travaux sont attendues pour le 15 février. Marisol Touraine a l’intention de s’impliquer personnellement dans leur suivi, et elle a la foi.

 

Au sujet de la mise en place du tiers-payant « et de la dispense d’avance de frais », a précisé la Ministre dans sa lettre aux syndicats, une mission de concertation réunissant tous les acteurs concernés (professionnels libéraux, organismes d’assurance maladie obligatoire, organismes complémentaires et usagers) est au travail. Devant la presse, elle a lâché : « On est bien parvenu à envoyer le petit robot Philae sur une comète, à des millions de kilomètres ! Si chacun a la volonté d’aboutir, on avancera positivement. J’ai la volonté d’aboutir ». La mission confiée à la présidente du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, Anne-Marie Brocas doit rendre sa copie à la fin de ce premier trimestre.

 

Feuille de route : examen des différentes solutions techniques permettant la dispense d’avance de frais, afin d’en mesurer la faisabilité. Exigences : simplicité, rapidité et fiabilité. La loi devrait apporter un certain nombre de garanties, notamment en matière de délais de paiement. Or l’UNOF-CSMF vient de démontrer qu’à cet égard, en s’appuyant sur les observations de l’Observatoire du tiers-payant animé par le Dr. Legrand, le compte n’y était pas dans un grand nombre de CPAM de France…

 

Autre précisions : la Ministre souhaite que l’on avance par étapes, en commençant par les titulaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS). Avant chaque étape, « les parties prenantes de cette réforme seront invitées à vérifier que les solutions opérationnelles mises en place permettent de garantir la poursuite du processus conformément aux garanties fixées par la loi ».

 

Peut-on croire à toutes ces déclarations de bonnes intentions, et cette démonstration de mains tendues aux médecins libéraux en grève des télétranmissions, de la PDS, et qui préparent une grande manifestation nationale le 15 mars prochain ? « Nous sommes très méfiants. La Ministre cherche sans doute à gagner du temps en réunissant des groupes de réflexions qui auront très peu de temps pour travailler », estime le Dr. Luc Duquesnel, le Président de l’UNOF-CSMF. La Ministre veut que la loi soit votée en avril à l’Assemblée nationale et examinée par la commission des affaires sociales en février-mars.

 

D’ici le 15 février, estime Luc Duquesnel, les groupes de travail sur le tiers-payant, l’organisation des soins de proximité dans les territoires, les relations avec les Agences Régionales de Santé, l’évolution des compétences et les liens entre médecins spécialistes libéraux, cliniques privées et service public hospitalier, « n’auront que le temps d’enlever tout ce qui est toxique dans la loi, plutôt que de construire ». En outre, deux autres chantiers sur la médecine générale (rôle et mission du médecin traitant – formation initiale) sont constitués. Une « séquence de concertation sera aussi ouverte s’agissant de la médecine spécialisée », pilotée par le D. Yves Decalf, actuel président de la CHAP (commission de hiérarchisation des actes et des prestations). Tout cela est intéressant, mais intervient bien tard.

 

« On ne nous a pas écouté pendant six mois. Nous avons dû faire grève, fermer nos cabinets et prendre la population à témoin pour qu’on nous entende. Nous avons perdu six mois et maintenant, il faut aller à toute vitesse », s’exclame le Dr. Duquesnel. Il redoute une stratégie de contournement du gouvernement, qui n’aurait pas l’intention de reculer d’un pouce sur le tiers payant, perçu comme un marqueur de gauche alors qu’Emmanuel Macron donne des gages à l’aile la plus libérale de la majorité. Le gouvernent ne cherche-t-il qu’à gagner du temps pour conduire le mouvement de revendication à l’essoufflement ?

 

Une stratégie de calinothérapie peut être bien mise en avant pour tenir à distance la revendication tarifaire des syndicalistes, qui martèlent leur exigence de C à 25 euros (ou 31 euros pour prendre Marisol Touraine au mot), après 4 années de blocage du prix de la consultation.

 

Dans la lettre aux syndicats annonçant la mise en place de groupes de travail, la Ministre ne fait pas mystère qu’elle repoussera à l’issue des élections professionnelles, prévue à l’automne 2015, la discussion conventionnelle sur les rémunérations. Mais avant cela, la Ministre précise qu’elle doit se pencher sur la question de la rémunération des équipes pluri-professionnelles. Les négociations qui ont échoué doivent faire l’objet d’un règlement arbitral qui nécessitera l’aval gouvernemental.

 

Il n’empêche que face à la presse, lors de la cérémonie des vœux, Marisol Touraine a été un peu plus précise en rappelant qu’en matière de rémunération, sa priorité se portait sur les bonnes pratiques, « sans pour autant interrompre la revalorisation de l’acte ». Une rémunération liée à la ROSP (Rémunération sur Objectif de Santé Publique), « dont l’impact a été extrêmement significatif » a-t-elle insisté.

 

Mais pour le Dr. Duquesnel, il n’est pas question d’accepter le calendrier fixé par la Ministre. « Marisol Touraine se sert de l’échéancier des élections professionnelles pour ne pas engager de négociations tarifaires maintenant. Or, les élections auront du mal à se tenir avant que la réforme territoriale soit en place et la date ne nous a pas été donnée, les ARS n’en savent rien », relate le Président de l’UNOF-CSMF. Il estime que les élections pourraient intervenir au 1er semestre 2016. Leurs résultats permettront de désigner les syndicats habilités à négocier la future convention et son addendum tarifaire (la convention actuelle ayant été prolongée d’un an), vers le 2ème trimestre 2016. Du fait des 9 mois de carence qui s’imposent avant l’application des augmentations avalisées par le gouvernement, rien ne pourrait intervenir de concret sur le C avant… 2017-2018… Un calendrier « non tenable », pour Luc Duquesnel qui s’attend à une longue bagarre sur le terrain pour imposer la voix des généralistes. Et se dit persuadé qu’ « on peut gagner ».