Le professeur André Grimaldi a été reçu la semaine dernière par Marisol Touraine. Il lui a dit combien elle avait maltraité la médecine générale depuis deux ans, clé de voute selon lui de tout le système de santé publique. Il prône la fin du paiement à l’acte dans certains cas, et juge irrecevable les arguments idéologiques contre le tiers-payant.

 

Egora.fr : Vous avez été reçu par Marisol Touraine, que vous êtes-vous dit ?

André Grimaldi : Cette rencontre a eu lieu à sa demande et a porté sur la loi de santé. Il y avait avec moi Anne Gervais, vice-présidente de la CME de l’AP-HP et Jean-Paul Vernant, auteur du Plan cancer.

Nous avons d’abord parlé du problème qui fait la Une à savoir le tiers-payant. En tant qu’hospitaliers, nous ne sommes pas directement concernés. Mais nous le sommes indirectement puisqu’une partie des passages aux urgences hospitalières non justifiés, s’explique par le fait que l’hôpital pratique le tiers-payant. Les urgences sont devenues les consultations du pauvre. S’il y avait un tiers-payant en ville, on peut supposer que ces patients ne viendraient pas aux urgences hospitalières.

Chez ceux qui s’opposent au tiers-payant, deux arguments nous semblent irrecevables : “le tiers-payant va entraîner des abus de consultations” et “il va provoquer l’étatisation de la médecine”… La CMU n’a entraîné ni les abus annoncés ni l’étatisation de la médecine ! Le vrai souci, souligné à juste titre par beaucoup de généralistes, c’est la complexité avec une charge administrative supplémentaire (comme s’il y en avait pas déjà assez !) et encore moins de temps pour les malades. Il n’y a pas de raison pour qu’un médecin, sans rémunérations dédiées, ait à gérer les rapports des patients avec les 500 assurances privées ou mutuelles.

La ministre semble entendre cet argument et elle a évoqué plusieurs pistes : limiter au début le tiers-payant aux affections de longue durée pris en charge à 100% par la Sécu, ou limiter le tiers-payant à la part Sécu en attendant que les complémentaires aient mis au point un système unique. L’idée c’est qu’il ne doit y avoir qu’un seul interlocuteur pour le médecin. La ministre donne le sentiment qu’elle va maintenir l’objectif mais reculer et négocier sur la mise en pratique.

 

Quelles sont vos inquiétudes concernant la Loi de santé ?

On a parlé du tiers-payant parce que c’est l’actualité, mais notre sujet prioritaire est le service public hospitalier. Nous sommes très inquiets. Affirmer que les cliniques commerciales peuvent faire partie du service public hospitalier à condition de respecter quelques obligations négociables est pour nous un non-sens. On joue sur les mots. Comment peut-on verser des dividendes à des actionnaires, choisir ses activités, être vendu ou fermer boutique pour des raisons financières, avoir pour but la rentabilité, ce qui est normal pour une entreprise privée, et faire partie d’un service public ? On est en pleine confusion !

Il y a le service public hospitalier représenté par les hôpitaux publics, qui ont un devoir, non pas de rentabilité, mais d’efficience, de non-gaspillage, ce qui n’est pas la même chose. A côté, il y a les établissements privés non lucratif, qui peuvent participer au service public. Et puis il y a les missions de service public, comme les urgences, déléguées par contrat à une clinique commerciale, sous conditions. Si nous ne retrouvons pas ces trois niveaux dans la loi, nous demanderons son retrait.

Deuxième problème, en raison de la généralisation de la T2A, l’hôpital s’est transformé en hôpital entreprise. Dans son mode de financement et dans sa gouvernance, il tend à ressembler aux cliniques commerciales. Si la T2A reste le seul mode de financement, alors qu’il est inadapté pour les soins palliatifs, pour les maladies chroniques, les maladies complexes, les maladies graves ou rares, nous continuerons à nous opposer à la loi… La T2A est adaptée à 30 ou 40% de l’activité des hôpitaux publics.

 

Et la médecine de ville dans tout ça ?

Mais l’avenir de l’hôpital dépend aussi et d’abord de l’évolution de la médecine de ville. C’est elle qui devrait être la “colonne vertébrale” de notre système, contrairement à ce qu’a dit la ministre au début de son mandat. Il est évident que si les gens vont moins aux urgences parce qu’ils bénéficient du tiers-payant en ville, cela impacte l’hôpital. De même s’il y a des maisons de santé pluridisciplinaires avec des médecins, des infirmières… qui travaillent ensemble et autrement, ils prendront en charge des patients qu’aujourd’hui ils adressent à l’hôpital.

J’ai dit à la ministre :”Depuis deux ans, vous avez ignoré la médecine générale”. Elle m’a répondu que ce n’était pas vrai. Reste que la construction d’un service public de la médecine de proximité aurait dû être au cœur de la loi. Il aurait fallu aborder de front la question centrale : la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques. C’est ça le grand défi ! On compte 17 millions de malades chroniques, et ça ne cesse d’augmenter. 9 millions sont en ALD. Ça coûte 65% du budget de la Sécu. Et dans 10 ans ce sera 70 ou 75%. A ce moment-là, une majorité de citoyens vont payer pour la minorité des patients en ALD tandis qu’eux-mêmes recevront de moins en moins de la Sécu, et que leur complémentaire sera de plus en plus chère et deviendra en réalité leur assurance principale. On aura cassé le système.

 

Quelles sont vos solutions ?

Les maladies chroniques relèvent d’une médecine personnalisée tant sur le plan biomédical que psychosocial. Une étude française récente portant sur 170 000 patients ayant des maladies chroniques, a montré qu’il n’y a que 40% des patients qui achètent plus de 80% des médicaments prescrits. 80% ce n’est pas 100% et acheter n’est pas avaler ! Ce manque d’observance est un énorme problème. Mais quand vous multipliez les consultations à 15 minutes la consultation, pour lire les résultats des examens, prendre la tension et renouveler l’ordonnance vous ne pouvez pas vous occuper sérieusement de la question de l’observance, pas plus qu’assurer la prise en charge globale du patient et la coordination des soins c’est-à-dire faire votre métier de médecin. A 23 euros la consultation, ce n’est pas possible !

 

Votre constat pose le problème du paiement l’acte…

La maladie chronique remet en cause le paiement à l’acte en ville tout comme la T2A à l’hôpital qui sont des obstacles à la coordination des soins. Il faudrait passer à la capitation. Les diabétiques sont vus pas les médecins généralistes en France en moyenne 9 fois par an. Il y a trois millions et demi de diabétiques. Certains, environ la moitié, ont besoin d’être vus une ou deux fois par an, 30% plus souvent et 20% devraient bénéficier d’un suivi combiné généraliste/spécialiste. Mais le médecin, à 23 euros la consultation, n’a pas le choix ! La Sécu pourrait lui faire la proposition suivante : “On vous donne 150 euros par an pour un malade diabétique qui vous aura choisi comme médecin traitant et devra vous garder pendant au moins un an. Il pourra changer ensuite s’il le souhaite. Vous le verrez au moins une fois par an mais à la fréquence que vous jugerez nécessaire pour atteindre les objectifs que vous aurez fixés avec lui”. Ainsi les médecins gagneraient du temps médical, sans perdre de l’argent ! Mais les syndicats libéraux ne veulent pas en entendre parler et brandissent le risque d’”étatisation” !

MG France demande 25 euros la consultation. C’est très bien mais ça ne change rien à la pratique médicale. Quand j’entends Claude Leicher expliquer sur France Inter, que c’est très important que ce soit le médecin et non le pharmacien qui explique au patient réticent pourquoi il doit de se faire vacciner, mais queça prend du temps, et que ce temps devrait être rémunéré en “heures supplémentaires” cela m’attriste, car derrière il exprime involontairement, une autre vision du métier de médecin, celui du médecin prescripteur à la chaîne qui n’a pas de temps “à perdre”.

 

Comment voyez-vous la suite du mouvement ?

La ministre semble prête à négocier avec tout le monde. La méthode est inadaptée. Au lieu de rechercher face à un sujet complexe les différentes propositions pour les expertiser en évaluant pour chacune le pour et le contre et en examinant leur faisabilité, on cherche un consensus autour de formules de compromis. Ce n’est ni efficace ni démocratique. Et cela fait 2 ans et demi que cela dure… C’est une espèce de stratégie de l’édredon, peut-être efficace politiquement, mais qui risque de déboucher sur pas grand-chose, ou pire.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier