Après la très forte mobilisation des médecins généralistes lors de la grève du 24 au 31 décembre dernier, le président de l’UNOF-CSMF trace les perspectives et les prochaines étapes du mouvement.

 

Mobilisation massive des médecins généralistes, avec près de 80 % des cabinets fermés, 100 % dans certains cas, soutien très important de la population française au mouvement de grève entre les 24 et 31 décembre derniers. De ce point de vue-là, la grève a été un succès…

Dr. Luc Duquesnel : C’est en effet une réussite. Et on ne pensait pas le 16 octobre dernier, lorsque nous avons appelé à la fermeture des cabinets, que la mobilisation serait aussi forte. Malgré les déclarations de Marisol Touraine et du directeur de la CNAM, dont on aurait pu croire qu’il avait été embauché pour faire la communication de la Ministre, le succès a été au rendez-vous. Pour nous, le meilleur indicateur ce sont les chiffres donnés par François Braun, le Président de Samu de France. Les centres 15 étaient débordés d’appels et le 29 décembre au soir, François Braun m’a appelé pour m’informer que le nombre d’appels régulés avait été multiplié par cinq. Les patients ont appelé les médecins qui, sur leurs répondeurs, leur ont demandé d’appeler les centres 15. Les autres signes concrets ont été notés les 26, 29 et 30 décembre, lorsque des gendarmes sont venus se renseigner partout pour savoir où étaient les médecins qu’ils devaient réquisitionner. Ce fut d’ailleurs mon cas, trois gendarmes sont venus le 26 décembre pour me réquisitionner pour trois nuits de garde de régulation. Mais cela veut dire également qu’il y a eu une sous-estimation totale par les ARS de l’importance du mouvement. Et si elles ont rédigé des arrêtés de réquisition pour les 26, 29 et 30 décembre, cela veut bien dire que les cabinets étaient fermés.

 

Surpris par l’ampleur de ce succès ?

Cette exaspération, nous l’avons vue monter sur le terrain, au fil des réunions que nous avons organisé pour expliquer la future loi de santé. Lors de ces réunions, les médecins ont été informés du contenu de la loi et pour les médecins généralistes, de l’impact du tiers payant généralisé obligatoire sur leur activité, tant en ce qui concerne la relation avec les patients qu’en terme de surcharge administrative énorme pour obtenir la rémunération de l’intégralité des actes. Les confrères se sont également déclarés contre la mise en place du service territorial de santé au public et ont été particulièrement touchés par le démantèlement du métier de médecin généraliste induit par la loi. Et lorsque, sur Europe 1 ce week-end, la Ministre de la Santé a de nouveau souligné son intention de permettre aux pharmaciens de faire des vaccinations, on comprend qu’une partie de bras de fer est en train de s’engager à laquelle les médecins ont décidé de répondre en se mobilisant.
Nous avons toujours dit que nous partions pour une bataille de longue haleine, de plusieurs semaines voire plusieurs mois. La première étape a permis de montrer l’état de mobilisation du terrain. Elle va permettre l’enclenchement d’autres actions.

 

Qu’en est-il des structures représentant des spécialités autres que la médecine générale ?

Il faut rappeler que pratiquement tous les syndicats de médecins libéraux avaient appelé au mouvement de fermeture des cabinets du 24 au 31. Nous avons toujours dit aux médecins libéraux qu’il ne fallait pas se focaliser sur la journée de mobilisation de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), initialement prévue au 5 janvier. C’était une action lancée par les patrons d’établissements avec le mot d’ordre de grève illimitée. Tout le monde savait qu’il s’agissait d’un mot d’ordre intenable et c’est la raison pour laquelle, les médecins spécialistes de l’UMESPE ont appelé avec nous, à participer au mouvement de grève des 24 au 31 décembre. On savait bien que la FHP lâcherait les médecins cette semaine-là, et c’est bien ce qui s’est passé, malheureusement pour un certain nombre de médecins qui se sont sentis abandonnés et trompés dans cette affaire-là.

 

Depuis le 5 janvier, la grève administrative est lancée. Et déjà l’assurance maladie agite le chiffon rouge, en prévenant les assurés qu’il pourrait y avoir de très gros retards de remboursements, jusqu’à un mois, si les médecins repassent à la feuille de soins papier…

La grève administrative sera le fait marquant, car dans toutes les assemblées générales où nous sommes allés en régions, cette action a fait le consensus des médecins généralistes de terrain. L’ensemble des syndicats a appelé à la grève administrative à partir du 5 janvier. Nous avons d’ailleurs encouragé les médecins généralistes à commander des feuilles de soins papier à leurs CPAM. Bien sûr, ne plus télétransmettre ne doit pas pénaliser l’accès aux soins des patients qui ont des problèmes financiers, on les connaît bien en tant que médecin traitant. Dans ce cas, on télétransmettra. Mais la grève administrative va bien au-delà. Il s’agira de ne plus se connecter sur le site Espace Pro de la CNAM où on réalise la dématérialisation des feuilles de soins papier en faisant la déclaration médecin traitant, en réalisant les arrêts de travail et les PIRES.

Je crois que l’assurance maladie a effectivement des craintes énormes à avoir par rapport à cette grève administrative car elle n’a plus la capacité, en effectifs, d’assumer le traitement de ces papiers. Lorsque Frédéric Van Roekeghem, l’ancien directeur de la CNAM, se vantait au cours de sa mandature, d’avoir diminué de 30 % le nombre de salariés et que son successeur, Nicolas Revel, déclare qu’il n’a plus que 10 % du personnel embauché par l’assurance maladie il y a quelques années pour faire la saisie, cela montre bien dans quelle situation elle va se trouver.

 

Quant à la suite du mouvement ? On a l’impression d’une légère cacophonie…

MG France a annoncé de son côté sa journée du grève du 6 janvier. Sur le fond, je suis persuadé que ce mouvement va aboutir, la population nous soutient, le démantèlement du métier mobilise énormément les confrères. On nous a beaucoup menti sur le tiers-payant généralisé, sur ce qui se passe en Europe, et l’UNOF-CSMF va le démontrer avec Bertrand Legrand, le créateur de l’observatoire du tiers-payant. Mais si la cacophonie continuait entre les syndicats médicaux, le principal risque serait que les médecins de terrain ne sachent plus à quel saint se vouer. Il appartient donc aux responsables nationaux de coordonner tout cela. Et alors, on verra se dérouler des actions locales, régionales et surement une journée nationale, dans les prochaines semaines ou prochains mois.

On verra aussi certainement des mouvements locaux de grève de la permanence des soins, mais pas aussi massives que durant la semaine de décembre car cela pose des problèmes, y compris de rémunération des médecins. Il y aura des actions coup de poing, une forme de harcèlement du gouvernement, des ARS et de l’assurance maladie jusqu’à ce que l’on obtienne la réécriture de cette loi si toxique pour la médecine générale et le C à 25 euros.

 

Vous demandez donc l’ouverture, en urgence, des négociations conventionnelles. De son côté, MG France agite la menace d’un mouvement de contestation tarifaire permettant d’obtenir également le C à 25 euros (C + MPC). Divergence de stratégie ?

Oui, nous voulons l’ouverture de négociations conventionnelles au plus tôt. On ne peut écarter l’hypothèse d’un mouvement tarifaire comme on a pu le voir en 2002, mais je pense que le moment n’est pas venu pour une telle action. C’est trop tôt. Ce mouvement doit s’installer dans le temps, pour ne jamais relâcher la pression. Il faut que le rapport de force soit de plus en plus intense sur la Ministre de la Santé et le directeur de la CNAM.