La cour d’appel d’Aix-en-Provence a accordé, lundi, une indemnité de onze millions d’euros à la famille d’un enfant handicapé à 100% en raison d’une erreur médicale commise par un obstétricien lors de l’accouchement. Agé de 14 ans, Philippe Giardina ne marche pas, il est incontinent et alimenté par une sonde. Il restera ainsi toute sa vie. Secrétaire général de l’Association nationale des médecins-conseils de victimes d’accident avec dommage corporel (ANAMEVA) Le Dr Michel Naudascher commente l’impact de cette décision de justice.

 

Egora.fr : Comment réagissez-vous à cette décision de justice ?

Michel Naudascher : Ma réaction est relativement modérée. J’ai lu dans la presse grand public des réactions indignées du côté excessif de cette indemnisation. Moi qui ai malheureusement l’habitude de ce genre de situation, je dis qu’il ne s’agit pas une indemnisation record. C’est un montant qui indemnise justement les besoins que cet enfant va avoir tout au long de sa vie pour assumer son handicap, tant que ses parents seront en vie et surtout le jour où ils ne le seront plus. J’estime que cette réparation est dans les normes de ce qui est utile, par rapport à ce que les avocats demandent. Des calculs sont faits de façon très précise, le gros poste étant le besoin en aide humaine 24 heures sur 24. Ce sont des montants tout à fait cohérents avec la réalité économique.

 

Y-a-t-il beaucoup d’indemnisations de ce type chaque année ?

Des indemnisations qui ont un tel retentissement dans la presse, non. Il s’agit en général de dossier néonataux, de souffrance fœtale ou d’accouchements qui se sont mal passés. Il y a alors une vie entière à prendre en charge. Il s’agit toujours de dossiers très longs. L’affaire de cet enfant a duré 14 ans. J’ai personnellement deux dossiers en cours depuis 7 et 8 ans dont le montant de l’indemnisation devrait s’approcher de ce type de montant. C’est toujours très long et judiciairement très compliqué. Les expertises contradictoires sont souvent renouvelées à cause d’appels ou de protestations d’expertises. Ça n’est jamais simple.

Autre aspect important, cette affaire a été jugée devant une cour d’appel et non devant le tribunal administratif. Lorsque les situations se déroulent dans le milieu hospitalier public, c’est le tribunal administratif qui intervient et les montants d’indemnisation ne sont pas comparables. La justice administrative est beaucoup moins réaliste quant au coût réel des indemnisations. Les écarts vont de 1 à 10, voire plus, pour des situations identiques.

 

Comment sont calculées les indemnités ?

C’est très simple. Il y a différents postes de préjudice selon la nomenclature, le plus important étant ce qu’on appelle les aides humaines. Lorsqu’il s’agit d’une aide humaine 24 heures sur 24 au coût réel de 21 euros de l’heure sur 58 semaines avec les congés payés, le calcul est donc de 24 heures par jour multipliées par 21 euros multipliés par 373 jours multipliés par 82 années. A cela s’ajoute un calcul pour les rentes avec des tables de mortalité. Il faut ensuite calculer tous les besoins d’aménagement du domicile pour qu’un handicapé puisse vivre avec une tierce personne à ses côtés. Il faut aussi calculer les 100% de déficit permanent, la souffrance endurée, le préjudice esthétique… Avec tout cela on arrive à des sommes aussi importantes.

 

Quelles sont les conséquences pour le médecin fautif ?

Il va avoir un problème d’image puisque le nom du praticien a circulé dans la presse. Il peut y avoir d’autre procédures engagées par les parents (ordinales, disciplinaires…). Enfin, en ce qui concerne le versement de l’indemnisation, son assurance peut prévoir un plafond. Néanmoins, normalement, c’est l’assurance qui paye. Son assureur peut aussi le déclarer indésirable.

 

La prochaine loi de santé devrait offrir aux patients la possibilité d’intenter des class actions. Le nombre de procédure risque-t-il d’augmenter ?

C’est un risque, notamment sous l’impulsion des avocats qui arriveront à regrouper un nombre de dossiers plus ou moins importants et avoir ainsi un moyen de levier plus fort sur le plan économique pour engager des procédure lourdes et coûteuses pour les demandeurs. En mutualisant les moyens, ils arriveront sûrement à déboucher sur plus de mises en cause.

Avec des procédures qui s’engagent de plus en plus facilement, cela risque d’induire une inquiétude supplémentaire et donc nuire à la sérénité du travail des médecins.

 

Le constatez-vous déjà ?

Le problème c’est que moi je ne vois que les trains qui déraillent. Je ne vois pas tout ce qui va bien. Je n’ai que des dossiers de problèmes, d’erreurs et de manquements dans les prises en charge.

Je pense qu’internet a contribué à ce qu’il y ait une grosse information sur la possibilité de lancer des procédures. Des associations comme la mienne, l’ANAMEVA, ou d’autres informent les patients. Cela ne signifie pas qu’on les engage à partir tête baissée dans des procès. Il faut aussi parfois expliquer certains dossiers dans lesquels les patients sont convaincus qu’il y a eu un manquement. Mais de manière générale j’ai l’impression qu’il y a une augmentation des procédures. Les gens ont beaucoup plus tendance à demander des comptes.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin