Nés dans la douleur, après de longues négociations entre l’Etat, l’assurance maladie et les organismes de protection complémentaires (Mutualité, Assurances privées et organismes de prévoyances regroupés dans l’UNOCAM), les décrets sur les nouveaux contrats responsables ont été publiés au journal officiel du 19 novembre dernier. Mis à part au gouvernement, ils ne plaisent à personne.
 

 

Ces contrats, qui bénéficient d’une fiscalité allégée, représentent 94 % du marché des mutuelles et assurances privées. Selon l’engagement de François Hollande pris en octobre 2012, ils ont vocation à se généraliser à toute la population active “à l’horizon 2017”, alors que 4 millions de Français n’en bénéficient toujours pas.

 

Tout le monde doute de leur efficacité

L’innovation tient à ce que le cahier des charges de ces nouveaux contrats, applicables au 15 avril prochain, fixe aux organismes de protection complémentaires un plancher et un plafond de prise en charge obligatoire pour bénéficier de la réduction fiscale (7 % contre 20 % pour les autres contrats). Si le forfait hospitalier de 18 euros doit être intégralement pris en charge, sans limite de durée, les dépassements d’honoraires, pour les actes des praticiens qui n’ont pas souscrit le contrat d’accès aux soins (CAS), doivent se limiter à 125 % du tarif sécurité sociale, puis 100 % en 2017. S’agissant de l’optique, six niveaux de planchers et de plafonds ont été fixés selon les degrés de correction, oscillant de 470 euros maximum pour des lunettes à simples foyers à 850 euros au maximum pour des verres multifocaux.

Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette innovation souhaitée par le gouvernement dès son arrivée au pouvoir, n’enchante pas les principaux intéressés. Tout le monde doute de l’efficacité de ces contrats pour solvabiliser l’accès aux soins et faire baisser le niveau des dépassements d’honoraires et les prix de l’optique. Médecins, patients et enfin, mutuelles et assurances font la grimace, voire fulminent, lorsqu’on évoque ces nouveaux contrats qui devraient se généraliser à toute la population active.

“Qui parle de simplification administrative ? C’est une complexification que l’on nous propose, les patients ne vont pas s’y retrouver, et c’est sur nous, les médecins, que cela va retomber. Les médecins seront des boucs émissaires, et les mutuelles vont s’engraisser”, s’énerve le Dr Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Selon la Mutualité, cette généralisation devrait entraîner un surcoût de 1 % des contrats (170 à 190 millions d’euros), alors que le gouvernement évalue la charge à 0,3 % (30 à 65 millions d’euros).

 

Des conditions d’extrême opacité

Pour une fois d’accord entre elles, les trois branches de l’UNOCAM ont signé un communiqué où elles ont déploré “l’instauration de multiples niveaux de plafond et de planchers de remboursement prestations santé”. Elles regrettent que le patient soit mis en situation de supporter une évolution de son contrat “dans des conditions d’extrême opacité et d’extrême difficulté de compréhension des garanties offertes. Ce choix va à l’encontre d’une amélioration de l’accès aux soins des Français souhaitée par les complémentaires.” On en peut pas mieux dire.

“Au final, ce dispositif complète la chasse au secteur 2, initiée depuis deux ans. Le mécanisme du contrat d’accès aux soins est un leurre”, ajoute Jean-Paul Hamon. Il est sur ce point, à l’unisson de la CSMF. La Confédération elle aussi, déplore que le gouvernement n’ait pas “imposé la solvabilisation généralisée des compléments d’honoraires maîtrisés des médecins signataires du CAS”, contrairement à ses engagements. “Alors qu’il prétend faire de l’accès aux soins sa principale priorité, il fait obstacle au développement du principal outil à sa disposition, le CAS, au moment précis où celui-ci commençait à apporter des premiers résultats prometteurs”, s’agace la CSMF en pointant une légère décélération du niveau des compléments d’honoraires et du reste à charge des patients.

 

“Une façon de mettre le secteur 2 hors jeu”

“Le gouvernement est en train d’écrire une médecine à deux vitesse”, surenchérit le Dr William Joubert, tout nouveau secrétaire général du SML. “C’est de la pure démagogie, les salariés vont devoir se payer une surcomplémentaire s’ils veulent avoir le même remboursement qu’avant. Le CAS est un marché de dupes, une prison tarifaire. Il y eu mensonge, lorsqu’on a dit que les dépassements seraient pris à 100 %”, s’agace-t-il. Et Eric Henry, le nouveau président du SML d’ajouter, en grinçant, que certaines mutuelles continuent à prendre en charge des actes d’ostéopathie, réalisés par des non professionnels de santé… “Ces contrats, c’est une façon de se débarrasser du secteur 2, de le mettre hors du jeu”, jette-t-il.

Les praticiens à plateau technique lourds du BLOC, ont également donné la charge pour dénoncer l’obligation qui sera bientôt faite aux patients, de souscrire une assurance sur-complémentaire – sans que leurs cotisations du contrat principal diminuent – s’ils veulent être remboursés des frais de santé engagés. Car, selon le BLOC, il est illusoire de penser que les dépassements d’honoraires vont baisser de manière magique, puisque le coût de la pratique, celui des charges professionnelles, de l’assurance RCP, les contraintes de qualité et de sécurité couplés au blocage des honoraires restent les mêmes pour ces spécialités. Cet élément sera l’un des moteurs des praticiens de bloc, lors de la grève qu’ils observeront avec les cliniques de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), à partir du 5 janvier.

 

Surcomplémentaires beaucoup plus chères

Obligation de souscrire une surcomplémentaire ? C’est en tout cas la conclusion des assurances privées, qui se livrent depuis quelques mois à une véritable bataille médiatique, particulièrement sur les ondes, pour capter une clientèle de classe moyenne sensible, dans les grandes villes et les régions à forte proportion de praticiens en honoraires libres, comme l’Ile de France, Rhône-Alpes ou PACA. Car les surcomplémentaires, qui ne bénéficient pas de l’allègement fiscal seront beaucoup chères et pèseront sur le budget des ménages.

Mais à la Mutualité Française, on réfute ces arguments et le lobbying qui va avec. A l’inverse, Etienne Caniard, le président de la FNMF, considère que les plafonds de prise en charge sont bien trop élevés. “Nous sommes satisfaits que les pouvoirs publics aient fixé un plafond maximum, explique-t-on dans l’entourage du président. Mais nous regrettons qu’il soit aussi élevé ! Il peut y avoir un effet inflationniste sur les cotisations, au lieu d’une régulation des prix”.

La Mutualité s’appuie sur des statistiques démontrant que le seuil fixé par le décret, (125 % du tarif sécu pendant 2 ans, puis 100 %), est “largement supérieur à la moyenne des dépassements pratiqués par les médecins (80 %, pour les actes en secteur 2), ce qui risque de les tirer à la hausse”. Cette analyse est partagée par Evelyne Guillet, directrice santé au CTIP, qui, sur Mediapart, estime qu’ “afficher réglementairement un plafond de dépassement de 100 % est un mauvais signe donné à de nombreux médecins, qui sont aujourd’hui en dessous”.

Etienne Caniard a déclaré que la Mutualité serait très vigilante, sur le recours aux surcomplémentaires. A défaut de certitudes sur l’avenir, il “observe”.

 

“Les usagers auront tout perdu !”

Du côté des patients ? Mêmes doutes et points-de vue mitigés. Magalie Léo, du CISS (Collectif interassociatif sur la santé), note une “démarche a priori positive, car plus les complémentaires remboursent, plus les prix sont élevés, pour l’optique particulièrement”. Mais elle regrette que le gouvernement ait pris l’option de jouer sur le niveau des garanties pour faire baisser les prix, et non sur les prix eux-mêmes. “En ne prévoyant pas de réguler les prix, on pousse le marché à s’adapter. Il est constitué de libéraux, de commerçants. Il s’adapte déjà en proposant des surcomplémentaires, les offres foisonnent et il n’y a pas de raisons que les pratiques de opticiens changent. Si les contrats responsables se traduisent par une perte de garanties ou une augmentation des prix, les usagers auront tout perdu !”

Le CISS rappelle qu’il nourrit, avec Santé Claire et 60 millions de consommateurs, un observatoire du reste à charge en santé. Et que l’impact des contrats responsables sur l’accès aux soins fera très certainement l’objet d’une enquête dans ce cadre. Dès qu’ils seront mis en place sur le terrain.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne