Neurologue hospitalier et député de l’Isère, le Dr Olivier Véran est co-rapporteur du projet de loi santé. Il comprend les réticences des médecins au sujet du tiers-payant et propose de pénaliser l’Assurance maladie en cas de retard de paiement.

 

Egora.fr : En tant que médecin et co-rapporteur du projet de loi de santé, comment réagissez-vous à cette fronde des médecins libéraux qui s’organise pour cette fin d’année ?

Olivier Véran : Il n’y a pas une loi santé au cours des 30 dernières années qui n’ait pas soulevé de l’inquiétude, le mot étant faible, de la part des professionnels de santé. Chaque annonce de réforme s’accompagne d’un mouvement des syndicats et des acteurs de terrain. C’est aussi l’occasion pour les professionnels de manifester un ras le bol ou témoigner des difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur exercice quotidien. Cette loi vient allumer la mèche d’un conflit plutôt lié à l’exercice de la médecine qu’au texte. C’est l’occasion de faire un peu sauter le couvercle pour les professionnels de santé.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des choses dans la loi qui inquiètent les professionnels de santé. Des gouvernements de gauche et de droite ont déjà essuyé la colère des médecins et notamment des libéraux. La dernière fois c’était la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires. Ndlr). Il y a eu une grève en 2002. Il y a eu aussi un mouvement social de plus grande ampleur en 1995, en 1983… On sait que lorsqu’il y a une loi santé, cela provoque systématiquement un mouvement social.

Dans ce texte, il y a des choses qui entraînent la désapprobation des médecins avec en premier lieu la question du tiers-payant généralisé.

 

Comprenez-vous leur crainte sur ce sujet en particulier ?

L’idée du tiers-payant généralisé, à l’instar de ce qui s’est passé dans plusieurs pays européens, permet de dispenser d’avance de frais tous les patients afin d’ être sûrs que les gens qui ont le plus de difficultés pour payer leurs frais de santé seront concernés. En ce qui concerne les soins onéreux, il y a un renoncement aux soinsqui est palpable, notamment chez les plus pauvres. Evidement dans ces cas-là, les médecins sont amenés à proposer de différer l’encaissement d’un chèque par exemple. Je sais qu’ils ne le refusent jamais. Il y aussi le tiers-payant pour les bénéficiaires de la CMU ou de l’aide à la complémentaire santé… Mais il y a des gens qui sont au-dessus de ce niveau de vie et pour qui les soins au-delà de 50 euros sont un facteur de renoncement. Cela a été démontré par des études sociologiques. C’est un fait, que cela soit en France ou en Europe. Ce renoncement aux soins est parfois caché. Les gens préfèrent ne pas aller consommer des soins, plutôt que d’aller demander au médecin de différer l’encaissement d’un chèque. Ce n’est pas forcément évident. Ce problème est créateur d’inégalités de santé.

Le tiers-payant généralisé est un moyen d’éviter ces renoncements aux soins. Est-ce le seul moyen? Je n’en sais rien, mais c’est ce qui a été proposé à la suite d’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales. Les syndicats de médecins eux-mêmes, dans le cadre de la convention médicale, de mémoire en 2010, avaient demandé à ce qu’on mette en place le tiers-payant pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé. Ils avaient fait le constat que dans 77% des cas, il y avait une dispense d’avance de frais qui se faisait spontanément chez le médecin et ils avaient demandé à la généraliser. Je sais que les médecins ne sont pas contre l’idée du tiers-payant.

 

Ce qui leur pose problème est le fait de le rendre obligatoire et généralisé…

Ils refusent le côté obligatoire et systématisé. Ils disent que cela va leur prendre beaucoup plus de temps. Ils perdent la possibilité de choisir d’appliquer un tiers-payant ou non. Je suis plus sensible au premier argument qui est d’assurer que le tiers-payant ne va pas bouffer du temps médical aux médecins. Il ne faut pas que sur une consultation de 10 à 15 minutes, les praticiens perdent deux minutes à regarder si leur patient a une mutuelle ou non. Ce n’est pas possible et cela serait trop compliqué. Je pense qu’il faut qu’il y ait un interlocuteur unique. La démarche doit être simple, un peu comme lorsqu’ils passent la carte vitale aujourd’hui. Lorsque la carte vitale avait été mise en place, cela avait soulevé beaucoup d’inquiétude de la part des professionnels qui disaient que ce serait trop compliqué.

Les médecins craignent aussi les retards de paiement. Je pense qu’une réponse à cette crainte est de dire que l’assurance maladie paierait des pénalités en cas de retard.

 

Concrètement, comment cela fonctionnerait-il ?

En cas de non-respect d’un délai de paiement, je ne suis pas contre le fait que l’assurance maladie paye des pénalités. Il faut s’assurer que le paiement se passe bien. S’il y a des bugs, ils ne doivent pas être à la charge du médecin, ni du patient évidemment !

Si on arrive à mettre en place un système de confiance, on arrivera à régler ce problème purement pratique de “ça va nous coûter du temps et de l’argent”. La loi désigne un principe qui est le tiers-payant généralisé, mais son organisation, sa mise en place et ses conditions d’application sont décidées dans le cadre de la rédaction du décret et de la mise en place du dispositif. Si l’on peut éviter que le tiers payant généralisé soit mis en application d’un coup, pour tout le monde, cela ne sera pas mal. Il faudrait plutôt un système d’expérimentation ou une mise en place progressive par étape. L’idée est que le tiers-payant est tellement attractif et fonctionne tellement bien que, de fait, les médecins vont souhaiter l’appliquer pour tous leurs malades.

 

Au-delà des soucis rencontrés avec l’Assurance maladie, les médecins subissent aussi de nombreux problèmes avec les organismes complémentaires. Comment les rassurer sur ce point ?

Il faut absolument qu’il y ait un interlocuteur unique. Il ne faut pas que les médecins aient affaire aux complémentaires. Le médecin n’a pas vocation à passer du temps à regarder si son patient à une complémentaire et chercher à savoir laquelle. Ce n’est pas son job, je suis complétement d’accord.

Si l’on se dit qu’on est d’accord sur le principe d’un tiers-payant qui bénéficie au plus grand nombre et que l’on s’entend sur les conditions d’application, ça serait déjà une étape intéressante. Je ne sais pas quelle est la part de rejet du principe du tiers payant, et celle de sa pratique. MG France avait accueilli d’un œil plutôt favorable le tiers-payant. Aujourd’hui, le syndicat remet en question le dispositif parce qu’il a des doutes sur sa mise en application. Il n’y a pas forcement de rejet idéologique mais les médecins veulent en maîtriser les conditions d’application et la technique. Ca je le comprends.

Ma femme qui est médecin gynécologue, travaille dans deux établissements, l’un appliquant le tiers-payant et l’autre non. Elle me dit que le tiers-payant, lorsqu’il fonctionne, est beaucoup plus confortable pour elle. Je considère que si on arrive à faire quelque chose qui n’est pas chronophage, qui ne prend pas de temps médical et qui n’est pas source de problèmes administratifs, le concept du tiers-payant peut être bénéfique pour les médecins.

 

Le projet de loi redéfinit les rôles entre l’Etat et l’Assurance maladie. Les médecins refusent que l’organisation des soins soit dictée par l’ARS. Comment les rassurez-vous?

L’organisation des soins n’est pas dictée par l’ARS et elle ne le sera pas plus demain. L’idée de ce service territorial, qui va peut-être changer de nom, c’est de faire vivre des initiatives dans les territoires. L’ARS va jouer un rôle important de dépistage des problèmes de santé majeurs qui présentent une particularité sur certains territoires. Elle pourra réunir les acteurs de santé pour voir quelles sont leurs initiatives et leurs propositions pour essayer d’améliorer les prises en charge. Dans ce cadre, l’ARS intervient en tant que liant, facilitateur, financeur pour lancer des expérimentations. Trop souvent des projets sont lancés par les acteurs de terrain et s’arrêtent faute de financements pérennes. Voilà l’objectif de ce service territorial. Il faut qu’on arrive à mieux l’expliquer parce que c’est beaucoup plus attractif que ce que certains veulent bien le dire. S’il faut changer la sémantique pour que cela soit plus compréhensible, nous le ferons. Ce n’est vraiment pas un concept d’étatisation. Le maître mot est plutôt l’initiative des acteurs de terrain.

 

Un mouvement de généralistes s’organise pour réclamer le C à 25 euros. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas d’avis à donner là-dessus parce que ce n’est pas moi qui suis décideur. C’est un mouvement qui s’organise dans le cadre de la convention médicale, c’est donc le dialogue social qui doit redéfinir le tarif de tel ou tel acte. Je sortirai de mon rôle de parlementaire en répondant à cette question. S’il y avait de l’argent, il faudrait peut-être rééquilibrer certains actes. Tout cela relève du dialogue social.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin