D’après l’Organisation mondiale de la santé, en 2020, pour la première fois dans l’histoire, le nombre des personnes âgées de 60 ans et plus dans le monde dépassera le nombre des enfants de moins de 5 ans. Notre système social et sanitaire est-il prêt à prendre en charge les “seniors” ? Le sociologue Serge Guérin, spécialiste des questions liées au vieillissement, apporte son éclairage sur cette problématique.
 

 

Egora.fr : Quels sont les défis auxquels la société française est actuellement confrontée en termes de vieillissement de la population ?

Serge Guérin : Il va y avoir une augmentation mécanique du nombre de personnes âgées. De 600 000 en 1980, les plus de 85 ans vont atteindre 4,8 millions en 2050. La croissance est énorme, mais il faut se garder d’une vision où tous les plus de 85 ans seront en fauteuil roulant avec les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. La réalité est moins dramatique, même si elle va demander un accompagnement. Aussi plus nous travaillerons sur la prévention plus nous pourrons prévenir la grande fragilité et favoriser l’autonomie.

L’un des enjeux est de le comprendre et de s’y préparer. Et les structures médicalisées ne sont pas nécessairement la solution. C’est d’abord dans les têtes que cela se passe ! Il faut permettre aux personnes âgées de créer des possibilités pour améliorer leur situation, valoriser leurs capacités d’autonomie autrement qu’avec des médicaments et de la surveillance. Mais cela demande du temps, et des personnes formées pour permettre à ces patients d’avoir une vie qui se rapproche de la normalité.

En France, nous avons une médecine de grande qualité mais très hiérarchisée, qui repose sur un savoir technique. Or, soigner, ce n’est pas juste trouver la bonne molécule. Il faut écouter, échanger, prévenir. Soigner, ce n’est pas aider le patient à retrouver toutes ses capacités d’avant, mais c’est parvenir à l’adapter aux capacités qui lui manquent aujourd’hui. C’est la question de la compensation. Avec ses groupements de médecins de famille, dans lesquels plusieurs savoir-faire sont regroupés, le système canadien offre des modèles intéressants, car l’idée est de réduire les coûts et d’améliorer le service par le biais d’une coordination mieux organisée et d’une délégation de tâches.

En France, les maisons de santé sont déjà une bonne dynamique. Mais il faut aller plus loin, avec la mutualisation des tâches, la délégation, l’appui sur d’autres compétences. Dans le soin, il y a trois acteurs : le professionnel, le malade et l’aidant. Il faut se demander comment améliorer le relationnel et la responsabilisation entre les trois.

 

Notre système de santé est-il prêt à faire face à la prise en charge d’un si grand nombre de personnes âgées ?

Le gros problème de notre système de santé d’aujourd’hui est qu’il est fait pour le cure, pour de graves problèmes de santé, et non pour le care. On en est même très loin culturellement. Nous pouvons être fiers de ce système, il ne faut pas toujours dire que cela ne va pas, car nous avons des soins compétents.

Mais même dans la tête des décideurs politiques et des médecins, on en est encore à une vision de l’acte chirurgical, de l’intervention, de l’urgence, de la grande technique plutôt que du suivi des personnes et de la prévention. Il faut inverser les priorités, se concentrer sur la nutrition, la prévention, le suivi des personnes qui peut se faire en délégation de tâches avec des infirmières.

Dans une période de vaches maigres budgétaires, il y a des organisations à inventer qui correspondent aux situations des patients et à celles des professionnels du soin. Il y a une féminisation de la profession et plus généralement la perspective d’une vie des médecins qui n’est plus un sacerdoce. La situation des personnes elles-mêmes et la situation des soignants devraient donc converger. Or, ce n’est pas le cas.

 

Les mesures de prévention sont-elles suffisantes en France ?

Pas du tout, la prévention ne représente que 2% des dépenses de santé. On sait que l’activité physique adaptée permet de retrouver beaucoup plus vite des capacités de résilience. Il faut dire aux personnes âgées qu’elles sont en capacité de faire des choses et ne pas les victimiser. Plus on en parlera, plus on fera avancer la situation. Mais cela reste pour le moment anecdotique. La future loi d’adaptation de la société au vieillissement va certainement aborder cette problématique qui avance trop lentement et qui devrait commencer dès l’école.

Concernant les campagnes nationales de prévention, par exemple contre le tabac, elles ont tendance à créer des inégalités sociales car nous ne sommes pas à égalité face aux slogans. Il faudrait adapter le message au type de public. Par exemple, pour l’obésité, la situation est différente selon l’origine sociale et les revenus des personnes. Dans le nord de la France, un travail a permis d’accompagner des personnes et de leur apprendre à mieux manger à partir d’un pouvoir d’achat restreint. Il faut territorialiser et socialiser les campagnes, car ce sont uniquement ceux qui sont les plus proches sociologiquement du discours qui vont être touchés.

 

En France, les politiques de santé mettent en place des parcours de soins propres aux personnes âgées comme le dernier en date, le Paerpa ou encore les Maia. Que pensez-vous de ces mesures visant à garantir l’autonomisation des personnes âgées, et de l’implication des médecins traitants ?

Cela va dans le bon sens, et je ne pense pas que nous puissions faire autrement. Il me semble que cela contribue à faire bouger les lignes malgré les limites budgétaires. Le problème pour le médecin traitant, c’est qu’il y a trop de pathologies, trop d’histoire. Il faudrait être dans une logique qui lui permette de valoriser sa capacité à écouter une personne âgée, son mode de vie, ses attentes. Là encore, il y a davantage des besoins d’écoute, d’accompagnement que des besoins réellement médicaux. Il ne faut pas faire du médecin un distributeur de médicaments.

La personne n’a pas besoin qu’on change son ordonnance tous les trois jours. Il faut redonner ce rôle d’écoute au médecin, il a un rôle à jouer dans l’éducation thérapeutique du patient, et cela va fonctionner en passant par le forfait. Cela veut aussi dire sensibiliser le médecin à la situation de l’aidant. L’avenir des médecins traitants sera dans cette capacité d’écoute, car pour le reste il faut des experts. La vision globale de la médecine doit être valorisée. C’est dans le sens de l’histoire d’évoluer de cette manière, et je pense que les médecins l’ont compris bien avant les organisations qui sont censées les représenter. Au vu de l’évolution sociologique des médecins, des maladies et des difficultés économiques, la dynamique va dans ce sens-là.

 

Le texte de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement propose d’aborder la double dimension du bien vieillir et de la protection des plus vulnérables. Il se donne l’ambition d’inscrire cette période de vie dans un parcours répondant le plus possible aux attentes des personnes en matière de logement, de transports, d’accompagnement et de soins en cas de perte d’autonomie, de vie sociale et citoyenne… Est-ce que jusqu’à présent notre approche était trop médicalisée ?

Très clairement, même avec les mots d’ailleurs ! On peut faire avancer les choses en changeant les mots. Dans notre société, vieillir c’est être malade. Donc la réponse à ce problème, c’est la santé. Or, c’est faux, 93% des plus de 60 ans sont en forme. Certes, plus on avance en âge,plus les personnes ont des déficits qui augmentent. Mais même au delà de 80 ans les deux tiers des personnes sont en autonomie.

On a toujours associé vieillir et maladie. Pour la première fois, avec le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, le décideur politique intègre, comprend et développe une approche qui s’appuie sur l’ensemble des piliers : transport, logement, mobilité. Il faut que ce soit pris en compte car cela correspond à la vraie vie des vrais gens et en plus cela a des effets sur la santé. Comme ils sont mieux chez eux, ils sont moins malheureux. La communauté médicale doit être formée et sensibilisée à ces questions.

 

Les trois axes du texte de loi sont anticiper, adapter et accompagner les problèmes des personnes âgées. Est-ce que dans la société actuelle nous sommes loin de ces objectifs ?

Oui, nous en sommes encore très loin. Mais moins loin qu’il y a cinq ou dix ans, car les mentalités évoluent. La prévention, avec l’activité physique adaptée par exemple, commence à se développer. Il y a également des acteurs qui s’orientent dans ce secteur, des mutuelles, des entreprises. C’est encore trop minoritaire, mais cela va dans le bon sens. Il y a des moyens limités, et il faut que les mentalités changent. Mais il y a des structures qui se mettent en place, comme les gérontopôles. On touche à la question plus large de la silver economy : il y a un marché et un business, donc de plus en plus de gens s’y intéressent. Montrer que ce secteur est porteur de développement économique, c’est positif dès lors qu’on respecte les personnes âgées et qu’on prend en compte leurs besoins et leurs attentes.

Pendant longtemps, les proches aidants des personnes âgées n’ont pas été pris en considération. Où en sommes-nous ?

La situation évolue. Le mot “aidant”, il y a encore dix ans, voire moins, n’existait pas. Les aidants étaient invisibles. Le pire, ce sont les mots “naturel” ou “familial” qui étaient accolés au mot “aidant” car c’est tout sauf naturel de s’occuper autant de quelqu’un, et parfois c’est un voisin qui intervient. Aujourd’hui, deux tiers des Français connaissent le mot. C’est beaucoup plus présent dans l’espace public. La future loi sur le vieillissement contribue également à cette reconnaissance. C’est le coeur du care.

 

Entre nous… Serge Guérin

Quelle est la qualité que vous préférez ? La curiosité
Votre principal défaut ? La naïveté
Quel serait votre plus grand bonheur ? Prendre un bain de mousse au chocolat en écoutant Miles Davis
Votre plus grand malheur ? La disparition de l’un de mes proches
Qu’est-ce que vous voudriez être ? Un chanteur avec des cheveux
Qu’est-ce que vous détestez par-dessus tout ? Le chocolat blanc
Le don de la nature que vous voudriez avoir ? Être polyglotte
Comment aimeriez-vous mourir ? Sans déranger personne, sans souffrir et en ayant passé un bon moment avant
Quelles sont les fautes qui vous inspirent le plus d’indulgence ? La gourmandise

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin