Projet de loi de santé, budget de la Sécurité sociale 2015… Le gouvernement affirme son intention d’aider les associations de patients à gagner du terrain. Et si elles devenaient un contre-pouvoir suffisamment puissant pour faire plier d’autres lobbies de la santé ? L’objectif est affiché. Reste à en avoir les moyens.

 

Les associations de patients viennent de gagner une bataille et non des moindres. Faire baisser le très controversé prix de Sovaldi, médicament contre l’hépatite C, commercialisé par le laboratoire Gilead. “Au terme de négociations avec le premier laboratoire qui commercialise ces produits, le Comité économique des produits de santé [Ceps] a fixé le prix du médicament Sovaldi à 13667 euros hors taxes par boîte de vingt-huit comprimés. Il s’agit du prix public le plus bas d’Europe. Compte tenu du nombre de patients pris en charge, des réductions supplémentaires liées aux volumes de ventes prévisionnels ont été obtenues”, s’est réjoui Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, dans un communiqué.

 

“Pour la première fois, des patients ont été reçus au comité économique des produits de santé”

Au début du mois de novembre, plusieurs associations et collectifs* se sont mobilisés pour alerter les autorités des enjeux autour de ce nouveau traitement très efficace contre l’hépatite C. “Nous devrions donc accepter un prix aussi exorbitant qu’injustifié destiné à rentabiliser une opération financière privée alors que l’ensemble des conditions pour autoriser la production immédiate d’un générique par l’émission d’une licence d’office sont aujourd’hui réunies”, s’indignaient-ils.

La mobilisation aura fini par payer. “Notre indignation a amené le Ceps à se poser des questions. Le Pr Jean- Yves Fagon, vice-président du Ceps, m’a appelé en me disant qu’il fallait faire quelque chose. Pour la première fois, des patients ont été reçus au Comité économique des produits de santé. Nous avons aussi été conviés au cabinet de la ministre”, s’est félicité Michel Bonjour, président de la Fédération SOS Hépatites.

L’année 2015 sera-t-elle décisive pour les associations de patients ? Sur cette question, les avis divergent, mais il est certain qu’une nouvelle étape s’apprête à être franchie. Marisol Touraine a fait le choix de glisser dans sa loi de santé plusieurs mesures leur étant favorables. Elle souhaite ainsi “rendre obligatoire la représentation des usagers dans les instances de gouvernance de toute agence sanitaire nationale”, “renforcer la participation des usagers aux décisions prises dans les établissements de santé” ou encore “permettre aux victimes de mieux se défendre à travers des actions de groupe (class actions)”.

Les associations de patients n’ont pas non plus été oubliées dans la loi de financement de la Sécurité sociale (Lfss) 2015. L’article 35 stipule que : “Les actions des associations d’usagers du système de santé ayant reçu l’agrément prévu […] peuvent bénéficier de financements de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés.”

 

“Nous avons la volonté d’être de vrais acteurs de santé”

“Il est évident que nous sommes en train de nous transformer. L’évolution dure depuis dix ans, constate Gérard Raymond, président de l’Association française des diabétiques (AFD). Nous avons la volonté d’être de vrais acteurs de santé. Une force d’opposition pour faire progresser le système. Ces projets de loi démontrent la volonté du gouvernement de nous donner une place de plus en plus importante. Les lignes sont en train de bouger. Tout cela n’aurait pas été possible il y a quelques années”, ajoute-t-il.

Il attend néanmoins que les paroles du gouvernement soient accompagnées d’actes. À savoir, plus de moyens afin de pouvoir recruter des usagers et les former. “On demande à voir”, lance Gérard Raymond, circonspect, notamment au sujet de la formation des bénévoles. “Les ARS veulent les former. C’est comme si le Medef demandait à former la CGT ! Chacun son rôle, chacun sa place”, s’agace-t-il. “Le plus simple et le plus logique serait de donner aux associations les moyens de financer elles-mêmes les formations qu’elles souhaitent pour leurs membres”, estime aussi Didier Tabuteau, chargé de la préparation en 2000 de la loi sur le droit des malades.

L’ancien directeur adjoint de cabinet de Claude Évin et de Martine Aubry et directeur de cabinet de Bernard Kouchner reconnaît l’importance des associations de patients, notamment dans le domaine des pathologies chroniques, mais il estime néanmoins que “leur rôle pourrait être encore accru. En revanche, sur toute une partie de gestion du système de santé, sur les autres modes de prise en charge, les séjours hospitaliers courts ou encore la prévention, c’est beaucoup plus difficile et elles ont beaucoup plus de mal à trouver leur place”, note-t-il.

“Les associations de patients ont la place que l’on veut bien leur donner, estime pour sa part Christian Saout, ancien président et secrétaire général délégué du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). Elles ont envie de prendre une place de plus en plus importante, mais elles rencontrent des difficultés pour le faire”, analyse-t-il. Contrairement aux associations du monde du handicap qui sont reconnues pour gérer les dispositifs publics, les associations de patients n’ont pas le même pouvoir.

 

“Les associations de patients ont la place qu’on veut bien leur donner”

Si les annonces du projet de loi santé semblent séduisantes, il en faut plus pour convaincre Christian Saout. “C’est un simulacre ! Tous les mots qui font plaisir aux âmes de gauche ont été placés, mais ça ne va rien changer”, juge-t-il. Selon lui, c’est aux associations de s’organiser et de faire porter leurs voix. “Pour être entendu, il faut s’unir plus. Il y a parfois une vingtaine d’associations par pathologie. Ce n’est pas comme cela que l’on gagne. Il faut qu’elles sachent parler d’une seule et même voix et qu’elles soient capables de se mettre vraiment en colère. Les associations doivent apprendre les nouveaux modes d’interpellation du public. À notre indignation, il faut joindre la photo parlante. Il y a des images symboles à fabriquer, comme les parapluies à Hong Kong. Nous ne sommes pas doués pour ça”, clame-t-il.

Des propos soutenus par Didier Tabuteau (voir interview), qui estime également qu’il faut que “les associations soient les contre-pouvoirs actifs et éventuellement en colère qu’elles ont su être par le passé. C’est ce qui leur a permis de trouver leur place et d’être si déterminantes pour les évolutions de certaines politiques de santé. Il faut quand même se souvenir de l’apport crucial des associations dans la politique de lutte contre le sida. On peut également citer l’AFM et le Téléthon, pour les maladies rares. C’est ça le rôle des associations. Elles doivent bousculer l’ensemble des acteurs du système de santé pour faire avancer, dans l’intérêt des patients, les conditions de prise en charge. Oui, elles peuvent se mettre en colère. Oui, il faut qu’elles soient actives et présentes. Et oui, elles ont tout intérêt, chaque fois qu’elles le peuvent, à s’exprimer d’une seule et même voix”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

 

* Actions Traitements, Act Up-Paris, Act Up Sud-Ouest, Aides, ASUD, CHV, Ciss (Collectif interassociatif sur la santé), Comede, Médecins du Monde, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, SIS Association, Sol En Si, SOS Hépatites Fédération, TRT-5.