Fin octobre, le gouvernement a présenté 50 nouvelles mesures destinées à simplifier l’activité des entreprises face à la lourdeur administrative. Les mesures 21 et 22 entendent revoir la notion d’inaptitude et simplifier les règles sur les visites médicales des salariés qui pourraient être pratiquée par des médecins généralistes. Le Dr Mélissa Ménétrier, jeune médecin du travail de 28 ans est passionnée par son métier. Inquiète pour son avenir, elle aimerait que les contours du métier soient redéfinis pour le rendre plus attractif.

 

Egora.fr : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous spécialiser en médecine du travail ?

Mélissa Ménétrier : Je me suis un peu retrouvée dans cette filière par hasard. C’est là que j’ai vraiment compris ce qu’était cette spécialité et quels étaient les enjeux. Là ça m’a vraiment plu.

 

C’est-à-dire ?

J’ai aimé le fait de sortir du cabinet, d’aller sur le terrain pour voir ce que font les gens. C’est agréable de sentir que l’on apporte une aide aux salariés.

La médecine du travail est très peu enseignée. Dans ma fac elle ne l’était pas du tout. Du coup j’avais en tête le cliché du médecin du travail qui fait des consultations et prend la tension. Bref qui ne fait pas grand-chose. Or, ce n’est pas du tout le cas.

 

Pourquoi cette spécialité est si peu valorisée ?

C’est complexe. Pendant nos études, nous sommes plutôt en stage auprès de médecins hospitaliers qui ne connaissent pas du tout la médecine du travail. On en entend très peu parler et lorsque c’est le cas, c’est surtout cette vieille image du médecin du travail qui circule. Mais la spécialité a beaucoup changé. Cette méconnaissance de la médecine du travail fait que la spécialité n’attire pas.

 

En tant que jeune médecin du travail fraîchement diplômée, comment avez-vous vécu l’annonce des mesures de simplification du gouvernement qui, d’une certaine façon, remettent en cause la médecine du travail ?

Sur le moment ça a été un choc. On s’est demandé ce qui nous tombait sur la tête. Puis nous avons très vite réagi avec l’association des internes puisque nous avons demandé un rendez-vous au ministère pour avoir des explications. Pour nous il était hors de question que l’on soit remplacé par des médecins généralistes.

Je pense que les généralistes sont très occupés et qu’ils ont bien d’autres choses à faire. Rédiger des certificats sans aller sur les lieux de travail ne sert à rien et ne veut rien dire. Ce n’est pas cela qui va protéger les gens. C’est comme les certificats d’aptitude au sport, les généralistes n’en peuvent déjà plus. C’est du temps pris sur la consultation, cela rend leur exercice administratif alors qu’ils ont des soins à faire. Ce n’est pas à eux de le faire, cela n’apporte rien à personne.

 

Le rendez-vous au ministère vous a-t-il rassuré ?

Ils nous ont dit qu’a priori il n’était pas question que les visites d’embauche soient faites par les médecins généralistes. En revanche, ils nous ont dit qu’il y aurait probablement une disparition de l’aptitude telle qu’on la connait aujourd’hui. Sur cette question, nous les jeunes ne sommes pas fermés. L’aptitude, c’est ce qui donne ce côté administratif à la médecine du travail, du coup nous n’y sommes pas très attachés. Notre cœur de métier c’est plutôt de faire de la prévention, du maintien dans l’emploi, de la veille sanitaire collective…

 

Du coup, votre avenir ne vous inquiète plus ?

Ce qui m’embête le plus, c’est la mesure 22 qui remet en cause les restrictions posées par le médecin du travail. Or dans notre quotidien, il faut que l’on puisse prescrire des aménagements de poste pour le maintien dans l’emploi. L’employeur doit avoir l’obligation d’y répondre ou au moins de justifier pourquoi il ne peut pas. Tout cela est remis en cause et cela me fait peur.

Tous ces effets d’annonce sont mauvais pour l’image du médecin du travail. Les jeunes qui aimeraient choisir cette spécialité hésitent à le faire car ils craignent la disparition de la spécialité.

Selon vous, dans 10 ans, cette spécialité existera-t-elle encore ?

Je ne pense pas qu’elle va disparaitre, elle va certainement se modifier. Le mode d’exercice va changer. Je pense que c’est un levier qu’il faut que l’on s’approprie pour modifier notre métier dans le bon sens. Il faut recentrer le médecin sur les missions importantes de maintien dans l’emploi, d’accompagnement et enlever tout ce côté administratif qui n’est pas vraiment essentiel.

 

Que faire pour donner envie aux jeunes d’embrasser la carrière ?

On essaye de s’organiser. L’an dernier nous avons créé notre association d’internes pour promouvoir notre spécialité en commençant par expliquer clairement ce que l’on fait. Nous avons mené un gros de travail de communication et nous avons pu constater que cette année, il y a eu plus de postes pourvus. Il y a encore beaucoup à faire. Il faudrait des stages pendant l’externat pour que les jeunes puissent découvrir la médecine du travail.

Il faudrait aussi que la spécialité soit un peu plus enseignée. Car le problème vient aussi de là. Il y a 170 postes de médecine du travail, mais on comprend que tous ne soient pas pris : dans certaines villes, il y a des postes, mais personne pour former les gens.

Récemment, un poste s’est ouvert aux Antilles/Guyane. Il a été pris mais sur place, il n’y a aucun enseignant en médecine du travail. Je ne sais pas trop ce que va devenir l’étudiant, il va surement être obligé de faire une partie de son cursus en métropole. A Nice, c’est pareil. Il n’y a pas d’enseignant. Les internes sont obligés d’aller à Marseille. Ce sont des aberrations.

Nous aimerions qu’il y ait une redistribution des postes sur les villes qui sont en capacité de former. Et qu’il y ait des stages pour que la formation soit de qualité, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. Nous voulons de la qualité plutôt que de la quantité.

 

Si dans quelques années vous réalisez que la médecine du travail est de plus en plus sinistrée, pourrez-vous vous reconvertir dans une autre spécialité ?

Pour le moment les passerelles entre les spécialités sont très compliquées. C’est un peu le parcours du combattant! Mais une réforme de l’internat est en cours, et elle devrait prévoir de faciliter les passerelles entre les spécialités. Cela devrait entrer en vigueur en 2016.

 

Selon vous les syndicats de médecins du travail en font-ils assez contre ces mesures de simplification ? Ils proposent une pétition…

Je pense qu’il faut sortir de ce débat entre médecins. Il faut plus impliquer les organisations salariées pour que l’on redéfinisse le métier en fonction des attentes des gens. Il serait intéressant de savoir de quelle manière les salariés souhaitent que le système évolue. Il faut sortir de ce débat d’experts et que la question devienne un débat de société.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin