Les médecins du 93 en ont ras-le-bol ! La semaine dernière, un urgentiste de la permanence des soins s’est fait gazer et frapper en sortant de chez une patiente. C’est la deuxième agression de ce type en seulement deux semaines, et la dernière en date d’une trop longue série. Lassés, les médecins du département ont décidé de tirer la sonnette d’alarme et en appellent au Préfet pour mettre en place des mesures de sécurité plus radicales.

 

Il était un peu plus de 23h jeudi soir dernier quand Eric*, médecin urgentiste pour le SUR 93, sort de chez sa patiente, dans un quartier d’Epinay-sur-Seine qu’il connaît bien. “Je fais quelques pas vers ma voiture, quand je tombe sur quatre individus encagoulés qui se dirigent vers moi et m’aspergent avec une bombe lacrymogène. Pas une petite bombe qu’on tient dans la main, mais une grosse avec un manche de pistolet comme celles qu’utilisent les policiers.”

Le praticien est déséquilibré, tombe à terre et est roué de coups de pieds. “J’ai tenté de me relever, ils m’ont frappé et ils m’ont aspergé encore, puis une troisième fois. Au bout de la quatrième, je me suis relevé, les yeux aveuglés et je leur ai fait face. Ils voulaient que je leur donne mon téléphone. Je me suis un peu bagarré et j’ai réussi à sauter sur la bombe lacrymo qui était tombée par terre et à la récupérer. Du coup, les agresseurs ont pris la fuite, avec ma sacoche de travail.” Abasourdi, le médecin regagne l’appartement de sa patiente, pour appeler les secours.

 

“C’est si fréquent qu’on ne le déclare même plus”

Dans ce département de la région parisienne, les agressions de médecins sont presque devenues une banalité. Moins de quinze jours avant Epinay-sur-Seine, un autre médecin urgentiste a été violenté en pleine nuit par un groupe, toujours en bas d’un immeuble, à Aulnay-sous-Bois. En juin dernier, c’est un généraliste du Blanc-Mesnil qui a été molesté et volé par des agresseurs qui se sont introduits dans son cabinet, pistolets et couteaux à la main. Au total, chaque année, une cinquantaine de médecins libéraux sont victimes de violences verbales ou physiques dans le département de Seine-Saint-Denis. “C’est un chiffre qui n’augmente pas, on constate une stabilité, précise le docteur Edgar Fellous, président du Cdom 93. Mais à chaque fois qu’il y a une agression, cela nous interpelle.”

Au-delà des agressions physiques, plus rares, ce sont toutes sortes d’incivilités auxquelles sont confrontés, quotidiennement, les médecins du département. Des insultes, des actes de vandalisme, des pare-brise brisés… “C’est si fréquent qu’on ne le déclare même plus”, remarque Éric.

 

“Le préfet n’a jamais rencontré les médecins”

“On a le sentiment d’être les derniers mohicans de la médecine sociale !”, s’insurge Dr Georges Siavellis, trésorier de l’Union régionale des professionnels de santé d’Ile-de-France. Après les deux dernières agressions, il en a appelé au Préfet, demandant la mise en place urgente d’une réunion de crise. “Cela fait cinq jours, et nous n’avons toujours pas eu de réponse. Depuis sa nomination, le Préfet n’a jamais rencontré les médecins pour évoquer ces questions d’insécurité. Nous avons la sensation d’être abandonnés par l’Etat, et c’est très regrettable. Ce silence est assourdissant.”

L’Union régionale, demande aux pouvoirs publics de prendre des mesures fortes pour assurer la sécurité des médecins sur le terrain. “Il faudrait par exemple qu’il y ait un travail avec les services de police, pour s’assurer que les interventions soient plus rapides.”

Le praticien agressé la semaine dernière à Epinay a quant à lui une requête beaucoup plus radicale. “Moi, je demande qu’à chaque visite nous soyons en permanence accompagnés par quelqu’un. Ce serait une présence dissuasive pour les agresseurs. On ne peut pas demander à chaque patient de nous attendre en bas de l’immeuble. C’est à l’Etat de payer pour notre sécurité. En Seine-Saint-Denis, nous avons un taux d’insécurité que nous n’avons nulle part ailleurs. La situation est exceptionnelle, il nous faut des mesures exceptionnelles.”

 

“Une liste noire de lieux où on ne peut plus aller”

De fait, le département a déjà mis en place des mesures pour améliorer la sécurité de ses médecins. Le président du Conseil départemental de l’Ordre rappelle qu’une ligne téléphonique dédiée a été mise en place il y a plusieurs années. “Il s’agit d’un numéro direct qui permet au chef d’Etat-major d’envoyer un équipe de la Bac très rapidement sur le lieu de l’agression.” Et, dans les prochaines semaines, les médecins urgentistes du SUR devraient également être équipés de boitiers de géolocalisation. “Dès qu’une agression se produit, on se doit de réagir. On travaille beaucoup sur ce sujet de la sécurité, on réfléchit à ce qui peut être fait. Mais cela prend du temps”, relativise de Dr Fellous qui doit rencontrer le Préfet ce mercredi et ne manquera pas d’aborder le sujet.

Mais si l’Urps s’inquiète, c’est aussi parce qu’à chaque nouvelle agression, la démotivation s’installe chez les praticiens. “Si les jeunes ne s’installent pas dans le 93, c’est surtout à cause de l’insécurité”, clame le docteur Georges Siavellis.”Pour l’instant, nous n’avons pas de problème pour la permanence des soins, nous sommes bien organisés. Mais si on ne trouve pas un moyen d’assurer notre sécurité, il y aura des endroits où nous n’irons plus. On pourrait établir une liste noire de lieux où on ne peut plus aller. Ce serait très pénalisant. On ne veut pas en arriver là.”

Deux jours après son agression, l’urgentiste d’Epinay, lui, avait déjà repris les gardes. Pourtant, les séquelles sont là : une entorse du genou, une plaie et surtout un grand choc psychologique. “Dès que je sors, je regarde partout autour de moi, dans tous les recoins.” Mais, confie-t-il, “il ne fallait pas que je me laisse abattre.” C’est la deuxième fois que le médecin est confronté à une agression. La première fois, c’était à Pierrefite en 2012, deux individus l’ont menacé au couteau. “Qu’est-ce qu’il peut m’arriver la prochaine fois ? Une blessure à l’arme blanche ? Là, j’ai eu le courage de reprendre le travail très vite, mais je ne suis pas sûr qu’après une prochaine agression je continue à faire des visites de nuit. Je n’ai pas fait 9 ans d’études pour me faire taper dessus.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu