L’exaspération des médecins généralistes semble avoir atteint un niveau tel que des appels à la grève des gardes entre les fêtes viennent se surajouter au mouvement de cessation d’activité lancé par l’UNOF-CSMF, entre Noël et le 31 décembre. La profession semble très déterminée…

Dr. Luc Duquesnel : Je viens de faire une dizaine de réunions départementales et j’ai pu constater qu’une fois les médecins généralistes informés de tout ce qui se prépare au travers de la loi de santé, l’exaspération est énorme. Cela touche en effet aux contours de leur métier, il suffit de rappeler la vaccination dans les pharmacies ou par les sages-femmes ou encore la création du métier d’infirmière clinicienne. Et j’ai effectivement entendu dans plusieurs réunions départementales, où il était prévu de mettre place une organisation de permanence des soins durant la grève, des confrères affirmer qu’il fallait faire la grève de tout. Or, cela risque d’être pénalisant pour eux, car il y aura des réquisitions alors que les médecins généralistes consacrent très souvent les fêtes de fin d’années aux parents et aux enfants. Nous sommes à un petit mois du 24 décembre et cela ne va aller qu’en grandissant. Les remontées qu’ont les préfets, par les Agences Régionales de Santé (ARS), montrent que la mobilisation risque d’être massive.

 

On a le sentiment qu’il faut remonter loin dans le passé pour retrouver un tel climat de tension …

Dans les réunions départementales auxquelles j’assiste, je suis étonné du taux de participation et du ton des participants. Réussir à réunir entre 40 et 60 médecins généralistes d’un département rural, pour une réunion départementale, je n’ai pas souvenir de cela depuis les grandes grèves des gardes de 2002, pour le C à 20 euros et le V à 30 euros, et pour le volontariat de la PDS. Les trois quarts des participants à ces réunions ne sont pas syndiqués et il y a beaucoup de jeunes installés aussi. Ce qui est rassurant.

 

Marisol Touraine vient de déclarer, dans Le Figaro, que le véritable coût de l’acte de consultation était 31,40 euros si l’on y ajoute les forfaits et la rémunération ROSP. De quoi jeter de l’huile sur le feu…

Il ne faut pas confondre. La Ministre ajoute des forfaits déjà anciens au coût de l’acte. Et il y a une partie de la ROSP qui a été consacrée à payer des abonnements plus onéreux vu le service rendu par les éditeurs de logiciels pour des travaux supplémentaires. On doit tous garder en tête le chiffre de 26,60 euros net de l’heure, donné par l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué dans son dernier ouvrage sur les professions de santé. Voilà le revenu net du généraliste de secteur 1, forfaits compris. Les revendications tarifaires sont donc tout à fait fondées.

 

Comment jugez-vous la constitution d’un front généraliste dans lequel l’UNOF-CSMF n’est pas représenté ? Vous avez parlé d’un ensemble hétéroclite, défendant des thèses que l’UNOF-CSMF ne peut pas soutenir.

On voit qu’il y a plusieurs niveaux d’attaques lancées contre les généralistes libéraux. Et à partir de là, on comprend que la mobilisation doit se tenir sur deux niveaux. Je pense qu’en effet le front commet une erreur. Le premier niveau concerne la technique, les aspects scientifiques et plus particulièrement le contenu du métier. Ensuite, il y a un deuxième niveau qui est celui de la défense des médecins généralistes libéraux. C’est le mouvement de grève du 24 au 31 décembre. Or, le front généraliste mélange ces deux niveaux. Il ne s’est d’ailleurs pas constitué à cette occasion mais bien avant, à l’automne 2013, et il est d’obédience mono-syndical.

Je pense que les syndicats représentatifs de la médecine générale n’ont pas le droit, pour des intérêts personnels, de prendre le risque de faire échouer le mouvement. Aujourd’hui, c’est la première fois que l’ensemble des syndicats de médecins généralistes libéraux s’associent à un mouvement de revendications avec des actions. Car, la grève de fin d’année n’est qu’une étape, nous partons pour une action de plusieurs mois ! Afficher un front généraliste qui divise, c’est le meilleur moyen pour que nos revendications n’aboutissent pas.

Je pense que tout ce qui relève des aspects scientifiques et du contour du métier doit être du ressort du Collège de Médecine Générale (CMG). Cela fait partie de ses missions. Le deuxième niveau, qui est plus politique et qui concerne la représentation des médecins généralistes libéraux, doit être défendu par les quatre syndicats représentatifs. Il ne faut pas mélanger les genres et je pense que ce front généraliste fait fausse piste car il génère des divisions. En revanche, je crois qu’il y a une volonté des présidents des syndicats représentatifs de pouvoir se retrouver de façon informelle pour tenter de dégager une plateforme de revendications communes qui débouchera sur des actions communes. Et tout ceci sans que quiconque essaie de tirer la couverture à lui.

 

La quadrature du cercle, dans un contexte pré-électoral ?

Les élections aux unions professionnelles seront repoussées du fait de la mise en place de la réforme territoriale qui redécoupe les régions. En théorie, les élections devraient se mettre en place au 1er semestre 2016 et il s’ouvre, en conséquence, une période profitable pour éviter les chausse-trappes qui peuvent naître ici ou là… Et le front généraliste, tant dans sa genèse que dans les missions qu’il s’est donné, relève un peu d’une chausse-trappe.

Ce nouveau calendrier des élections sous-entend une prolongation d’un an de la convention médicale, une nouvelle enquête de représentativité après les élections, des négociations pour une nouvelle convention et un calendrier tarifaire qui ne pourrait pas être applicable avant 2017-2018, du fait des 9 mois de carences réglementaires. Ce calendrier n’est pas tenable. Le C à 23 euros a été décidé en 2007, mais il n’a été appliqué qu’au 1er janvier 2011, du fait des multiples retards de l’assurance maladie.
Etant donné le niveau de mobilisation, les quatre syndicats représentatifs ne peuvent pas se permettre de ne pas travailler sur des revendications communes, sinon ils seront sanctionnés par le terrain. Nous allons partir sur des actions dures tout au long du 1er semestre 2015 et je suis persuadé que nous allons aboutir, tant pour la réforme de la loi de santé que pour l’ouverture de négociations conventionnelles. Il faut qu’elles aboutissent à une application tarifaire en 2015.