“Médecins, ouvrez l’œil. Vos patients ou vos confrères font peut-être partie d’une secte”. Voilà la teneur de la nouvelle campagne du Centre contre les manipulations mentales. Les dérives sectaires en santé étant en augmentation, cette association de lutte contre les sectes appelle les professionnels de santé à la plus grande vigilance.

“On observe de plus en plus de dérives sectaires en santé. Chez les grandes sectes que nous connaissons, mais aussi de plus en plus dans de petites structures, avec des gourous isolés”, alerte Laure Telo, présidente de la section Ile-de-France du Centre contre les manipulations mentales (CCMM). Près de 25% des signalements sectaires concernent le domaine de la santé, précise même le Centre qui lance une campagne de sensibilisation des professionnels de santé : “Danger ! Attention aux traitements médicaux et aux faux thérapeutes”. Une opération en partenariat avec la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et le ministère de la Santé.

“Les patients n’osent pas en parler, ils culpabilisent”

“Nous voulons sensibiliser les professionnels de santé. Je suis encore étonnée du nombre de personnes qui ne sont pas informées, qui ne savent pas comment procèdent les sectes. Même chez les médecins”, explique Laure Telo. Alors même que les professionnels de santé sont des acteurs de premier plan, très susceptibles d’être en contact avec des patients séduits par une dérive sectaire. “Il faut mettre des affiches dans les salles d’attente, pour inciter les patients à parler. Vous savez, c’est un peu comme pour un viol. Les patients n’osent pas en parler, ils culpabilisent”, ajoute la présidente du CCMM d’Ile-de-France.

“L’Ordre est très attentif à ces questions”, assure le Dr Patrick Romestaing, vice-président du CNOM. “Nous avons mis en place des médecins référents dérives sectaires dans les conseils départementaux”, qui travaillent en lien avec le CNOM et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes, explique le Dr Romestaing. “Un médecin peut donc interpeller son conseil départemental dès qu’il pense qu’un patient est enrôlé dans un groupe sectaire. Mais ce sont toujours des situations compliquées”, concède le vice-président du CNOM.

Comment un médecin peut-il repérer un patient qui a été approché par un groupe sectaire ? Toutes les méthodes thérapeutiques non-conventionnelles ne relèvent pas de la dérive sectaire. Le premier des signaux est naturellement l’arrêt brutal d’un traitement. Mais pas seulement : “Trois voyants doivent s’allumer dès que le patient en parle : les gourous cherchent pouvoir, sexe et argent”, alerte Laure Telo. “Le signal essentiel qui doit absolument attirer l’attention des professionnels de santé, c’est quand la structure demande à un patient d’arrêter la thérapie en cours, et de la remplacer par une autre soi-disant plus efficace. Si en plus on lui demande d’assister à des séminaires payants, de reverser une partie de son salaire à la structure, c’est qu’il s’agit très sûrement d’un groupe sectaire”, résume le Dr Patrick Romestaing.

“Le gourou thérapeutique propose non seulement de soigner, mais aussi de vivre autrement. Il se présente comme le détenteur d’une vérité. Tous ceux qui se mettent en travers de son chemin sont accusés soit de retarder la guérison, soit même d’être à l’origine de la maladie”, ajoute la Miviludes, d’où une rupture fréquente, voire systématique du patient avec sa famille, ses proches, ses habitudes.

Des charlatans font miroiter une guérison sans médicaments

“Ma sœur Nicole S. a croisé des charlatans qui lui ont fait miroiter une guérison sans médicaments (…) Deux ans plus tard, en août 2005, Nicole m’annonce qu’elle a toujours son cancer du sein, et que les os sont touchés, mais le disciple de la médecine nouvelle continue à lui expliquer que son cancer des os est normal : “ce sont les trous qui se referment”. (…) Mais l’état de ma sœur ne fait que s’aggraver. Deux mois plus tard, le 23 novembre 2005, Nicole décède.” Des témoignages comme celui-là, publié dans le dernier rapport de la Miviludes consacré aux dérives sectaires en santé, remontent aussi fréquemment au Centre contre les manipulations mentales. “Il n’y a pas de profil type de patients, pas d’âges, pas de catégories sociales parmi les victimes des sectes, souligne Laure Telo. Mais il y a des moments de la vie où vous êtes plus vulnérable, plus fragile. On trouve beaucoup de cas chez les personnes atteintes de maladies graves et chez les personnes âgées.”

Pour entrer en contact avec les patients, les gourous privilégient le bouche-à-oreille. “Ca commence souvent par : une amie m’a conseillé d’aller voir…”, explique la présidente Ile-de-France du CCMM. Il peut arriver que des gourous prennent contact avec des patients parce qu’ils ont fait des recherches sur Internet, laissé des messages sur des forums. “Mais le plus souvent ces méthodes sont celles des groupes radicaux religieux”, détaille Laure Telo.

4 000 psychothérapeutes exercent sans aucune formation

Selon le dernier rapport de la Miviludes, plus de 4 000 psychothérapeutes autoproclamés exercent sans avoir reçu aucune formation, sans être inscrit sur un quelconque registre, et 3 000 médecins “seraient en lien avec la mouvance sectaire”, assure la Miviludes. Des données qui restent toutefois très difficiles à chiffrer. Ce qui est avéré c’est que”certains mouvements ont dans leurs rangs un médecin. Il vient apporter une caution scientifique”, souligne le Dr Romestaing. Si le praticien est inscrit à l’Ordre et que ces pratiques sont avérées, il est radié “et nous avons obtenu qu’il ne puisse plus utiliser son titre de docteur en médecine”, poursuit Patrick Romestaing.

Enfin, “il arrive aussi que les faux praticiens parviennent à passer les portes de l’hôpital”, assure Laure Telo, du CCMM. “Certains peuvent intégrer les services hospitaliers, mais cela reste très marginal, tempère le Dr Patrick Romestaing. Ce qui est difficile dans ce cas de figure, c’est d’avoir des preuves. Ces médecins restent masqués.”

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier