Dans son dernier livre, le Dr Nicole Delépine, ancienne chef de service emblématique de l’unité d’oncologie pédiatrique de l’hôpital de Garches revient sur la fermeture controversée de son service. Intitulé, Neuf petits lits sur le trottoir, le châtiment des lanceurs d’alerte (éditions Fauves), l’ouvrage de la praticienne aujourd’hui retraitée nous donne sa version des faits… Aux antipodes des communiqués de l’AP-HP.
Egora.fr : En 2000, vous avez publié Neuf petits lits au fond du couloir, ou le combat d’un médecin hospitalier. Votre dernier livre a-t-il pour but de clore cette histoire ?
Nicole Delépine : Oh non, elle ne la clôt pas mais c’est une étape. Le titre du livre est bien évidement en rapport avec l’ancien puisqu’on avait conquis de haute lutte, grâce à un accord ministériel en 2004, une petite unité d’oncologie pédiatrique à Garches. Comme j’ai pris ma retraite, l’AP-HP en a profité pour la fermer alors que cette unité n’était pas un cadeau à mon attention. C’était pour donner une offre de soin, de libre choix thérapeutique, de possibilité de traitement individualisé et de non intégration d’office dans les essais thérapeutique pour les enfants atteints de cancer.
Je titre le livre Neuf petits lits sur le trottoir car nous sommes SDF. Nos patients ont été chassés de façon absolument indigne avec des CRS et tout cela en tout illégalité. Cela a été une souffrance invraisemblable pour eux. J’ai encore reçu un mail ce matin d’une patiente qui a envoyé son dossier en Belgique et qui m’a mis en copie. Ils cherchent tous à aller ailleurs parce que cette offre de soin était nécessaire. Le ministère de M. Douste-Blazy en 2004 l’avait compris. On est officiellement dans une démocratie et on envoie des CRS pour évacuer quatre grévistes de la faim qui ont entre 50 et 70 ans. Ils ont empêché les enfants de l’unité de recevoir des visites. Ils ont mis des vigiles devant. Ils ont mis en place des listes de personnes autorisées à entrer dans le service. De quel droit ont-ils pu faire des horreurs pareilles ? C’est un service public payé par la sécurité sociale. C’est totalement invraisemblable. Ce n’est pas dans les prérogatives des médecins ni des directeurs d’hôpitaux de faire la police et d’imposer que des milices privées demandent les cartes d’identités aux entrants.
Qui est responsable ?
[Soupir] En tous cas ce qu’on peut dire c’est que ça a été fait avec la complicité de la ministre de la Santé. Fin juin à la sortie du conseil des ministres, elle avait confirmé la fermeture de Garches expliquant qu’il n’y avait pas d’histoires à faire puisque les patients iraient à cinq kilomètres de là. C’était un nuage de fumée car elle parlait du service de pédiatrie d’Amboise Paré alors qu’il n’y avait rien qui permettait de prendre ces patients en charge. Quand les parents ont voulu mettre leurs enfants à Paré, ils ont reçu une lettre de Curie leur disant qu’Ambroise Paré n’avait pas l’accréditation pour faire les chimiothérapies. Ils ne pouvaient même pas les appliquer sur les ordres de Curie.
Les responsables sont évidemment sont qui ne veulent pas qu’il y ait de liberté de soigner en France… A savoir le ministère de la santé. Ils nous ont détruits mais ils sont quand même en train de détruire la santé en général. La future loi sur la santé est quand même très autoritaire et anti-démocratique. Il faut tout de même donner aux responsables politiques leurs responsabilités.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Il fallait dire les choses. Il y a eu tellement de mensonges à la radio et dans les médias. Les communiqués de presse de l’AP-HP étaient beaucoup repris. J’ai écrit pour raconter ce qui s’était passé. J’ai essayé de le dire de façon pas trop violente. Je sais que les gens qui ont vécu cette situation ont trouvé l’ouvrage trop doux. J’ai été à la retraite le 18 juillet. Après cette date, le directeur de l’hôpital m’a interdit de remettre les pieds dans le service, même bénévolement. L’unité a fermé le 7 aout. Mes collègues qui sont restées jusqu’au bout me disent que ça a été encore beaucoup plus violent après.
Je suis à l’âge de la retraite, je n’ai rien à gagner de personnel dans cette histoire, par contre, on est citoyen du monde, citoyen français, on vote… On ne peut pas continuer dans une démocratie à traiter les patients, les associations ou même les soignants avec tant de mépris. Le combat pour la liberté de prescription et la liberté thérapeutique doit être gagné.
J’ai aussi écrit ce livre pour ne pas oublier et apporter ma petite pierre au combat. Pour que la parole des malades et des médecins du service soit entendue et non truquée à travers les communiqués de presse de l’AP-HP. Quand on lit qu’ils ont négocié avec les parents et casé tous les patients alors que les parents appellent plusieurs fois par jour et pleurent au téléphone en disant qu’ils ne savent pas où aller, ce n’est pas possible. Les parents ont fait 20 référés. Ils ont espéré en la justice mais elle ne les entend pas.
Qu’attendez-vous ?
Il faut obtenir que les parents aient le droit de refuser d’inclure leurs enfants dans les essais thérapeutiques sans être menacés d’être envoyés au juge des tutelles. On doit aussi leur proposer tous les traitements connus à savoir les anciens traitements publiés dans la littérature internationale. Il faut que les patients aient le droit au libre choix.
Que deviennent les malades et les médecins du service ?
Les malades nous donnent beaucoup de nouvelles parce qu’ils sont complétement perdus. Sur Paris ils errent de service en service entre Trousseau, Curie et Roussy. C’est invivable. J’ai des parents qui m’inquiètent beaucoup d’un point de vue psychologique tant ils sont mal dans cette situation.
Quant aux médecins, deux d’entre eux ont été en arrêt de travail fin juillet pour épuisement suite aux harcèlements et deux autres qui ont tenu le coup tout en étant épuisées ont été suspendues le 6 aout sous prétexte de faute professionnelle parce qu’elles n’avaient pas obéit au chef de pôle qui demandait qu’on lui montre les dossiers alors que les parents refusaient. Le code de déontologie spécifie bien que l’on ne peut partager le secret médical qu’avec l’accord du patient.
Les suspensions ont été levées aux alentours de fin septembre. Elles n’ont toujours pas de poste. Toute les deux avaient une petite activité à côté qu’elles ont repris (l’une avait une crèche, l’autre faisait de la médecine légale).
Ce qui s’est passé est monstrueux et bien au-delà de la médecine oncologique.
Vous dédiez entre-autres votre livre aux lanceurs d’alerte. Vous parlez même de châtiment…
Notre service a été fermé parce que cela fait des années qu’on lance l’alerte du danger du monopole du traitement en cancérologie pédiatrique. C’est une forme de châtiment. Mes collègues sont très mal. Elles sont à hauts risques de suicide. L’une ne donne plus aucune nouvelle, l’autre ne va pas très bien. Elle a été arrêtée trois mois et elle a dormi 20 heures par jour les dix premiers jours tellement elle était épuisée. Il s’agit de gens en grande souffrance. Nous avons été punis de résister parce qu’on démontrait qu’on donnait plus de chance aux enfants en leur donnant des traitements individualisés qu’en leur donnant le traitement de tout le monde, puisque dans les essais tout le monde doit faire forcement la même chose pour pouvoir comparer.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin