Les blouses blanches sont-elles devenues « bankables » ? Pas une seule chaîne de télévision aujourd’hui qui ne propose de programme sur le milieu médical. Qu’il s’agisse de séries plus ou moins documentaires, de fictions américaines ou tout simplement de talk-shows sur le bien-être, les docteurs sont partout. Pourtant, la médecine pure, elle, semble être passée à la trappe de l’audimat, au profit du médecin super-héros.

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“Nous sommes médecins, infirmiers, aides-soignants ou ambulanciers. Nous avons choisi de consacrer notre vie à soigner celle des autres.” Ça se passe le mercredi soir, à 20h50 sur la chaîne de la TNT NT1. À l’écran, des médecins courent, des brancards défilent, des électrocardiogrammes clignotent. Encore une énième série télé hospitalière ? Non, car cette fois-ci, ce n’est pas de la fiction. Le décor est en fait le vrai service des urgences du CHU de Poitiers dans lequel une équipe de télévision a posé pas moins de soixante-dix caméras en marche 24 heures sur 24. Plus qu’un documentaire, c’est une véritable émission qui a été tournée ici avec six épisodes de soixante-dix minutes, censés nous montrer l’envers du décor d’un service d’urgence. Ils ont été diffusés en début d’année en deuxième partie de soirée sur TF1, puis actuellement en prime time sur NT1.

Mais qu’est-ce qui a donc poussé tout un service à participer à ce projet complètement fou ? “Il y a eu une importante réflexion de la part de tout l’hôpital, car on savait que cela aurait un impact non négligeable”, reconnaît le Dr Jean-Yves Lardeur, chef du service au CHU de Poitiers. Finalement, à force de réunions et de garanties de la part des producteurs, le médecin a donné son accord. “On est souvent décrié. Et j’ai pensé que c’était une bonne chose de montrer le service de l’intérieur, de montrer ce qu’on faisait réellement.” Pendant dix jours, une équipe de production a vécu aux côtés des soignants. “Nous, on travaillait comme d’habitude. C’est la production qui allait voir les patients pour leur demander s’ils souhaitaient participer. Et leur choix était toujours respecté.” Et à la surprise générale, en dix jours, plus de deux mille patients ont accepté que leur passage aux urgences soit filmé et diffusé sur TF1.

“On n’a pas été trahi”, affirme le chef de service. Même s’il reconnaît que le résultat final est un peu plus romancé que ce qu’il vit au quotidien. “On ne peut pas tout montrer à la télévision. Et puis il y a forcément un parti pris journalistique sur la forme. Mais sur le fond, le résultat correspond à ce qui nous avait été annoncé”, conclut le Dr Lardeur.

 

Super-héros télévisuel

Avec “24 heures aux urgences”, comme avec “Baby Boom”, émission fondée sur le même concept, mais dans une maternité cette fois, la société de production Shine surfe sur un succès qui a fait ses preuves : les séries télévisées médicales. “On nous présente ce type d’émission comme un reportage, comme de la réalité. Mais au fond, il y a quand même un montage, et une scénarisation, remarque Martin Winckler, médecin, écrivain, et spécialiste des séries télévisées. En fait, on fait ce type de séries documentaires parce que c’est beaucoup plus facile à produire qu’une fiction. Et ça coûte beaucoup moins cher.” Il est vrai qu’avec ses 7 millions de téléspectateurs chaque saison en prime time sur TF1, les docteurs House et ceux de Grey’s Anatomy ont propulsé le médecin au rang de super-héros télévisuel, au même titre que le flic. “Tout ce qui concerne la vie et la mort intéresse tout le monde. Tout ce qui concerne le métier de soignant intéresse beaucoup de gens. Nous mettons tous beaucoup d’espoir dans le fait que les médecins aient des capacités importantes à nous soigner, explique Martin Winckler. On recherche dans les fictions des réponses à nos questions, et des modèles. Ces modèles peuvent être des soignants.”

 

De moins en moins de science

Et en effet les chaînes ont bien compris le filon. Après TF1, M6 a elle aussi lancé sa “série documentaire” avec quatre internes pendant l’année de leur thèse. Arte a, pour sa part, choisi de suivre un urgentiste lors d’un tour du monde à la découverte des “Médecines d’ailleurs”. Enfin, sur le service public, c’est l’indéboulonnable Dr Michel Cymes qui jongle avec pas moins de trois émissions : “Les pouvoirs extraordinaires du corps humain”, les “Aventures de médecine” et le fameux “Magazine de la santé”.

Pourtant, si les médecins occupent le devant de la scène médiatique, la médecine a, elle, presque totalement disparu des écrans. C’est le constat que fait la chercheuse Hélène Romeyer qui a travaillé sur la place de la médecine dans les médias. “Le médecin à la télévision est humanisé et banalisé, notamment par les séries. Par contre, le médecin expert, celui qui vient pour expliquer un fait scientifique, n’existe presque plus. C’est dû à un phénomène général lié à la remise en cause des experts et de la science.”

Sur les plateaux télé, le médecin a en effet cédé la place au patient, qui vient témoigner de sa maladie. À l’exception peut-être d’un seul : le fameux Michel Cymes, constate Hélène Romeyer. “C’est l’archétype de la médiatisation. Il fait des émissions depuis 1994. Au début, il était très pédagogique, c’était le scientifique qui expliquait la science. À l’heure actuelle, il est plus proche d’un animateur. Il a très bien su s’adapter aux évolutions de la télé et créer un type de programme hybride entre l’émission scientifique et le divertissement. Et aujourd’hui, en ce qui concerne les émissions de santé, il n’y a presque personne d’autre à part lui.”

 

“On me disait qu’un film sur l’hôpital n’intéresserait pas les gens” Thomas Lilti, réalisateur d’”Hippocrate”

C’est la révélation cinématographique de cette rentrée. Hippocrate, c’est une histoire d’amitié entre Benjamin, interne qui fait son premier stage, et son co-interne, Abdel, un médecin étranger plus expérimenté. Le film, réalisé par un médecin, Thomas Lilti, nous plonge dans les coulisses de l’hôpital public de façon quasi “documentaire”. Un univers à mille lieues de celui des séries américaines. “Je voulais raconter l’envers du décor de l’hôpital public français, explique Thomas Lilti. Donc forcément les séries américaines ne racontent pas ça, parce que dans ces séries le milieu hospitalier est plus un prétexte pour faire du divertissement.”

Avec près de 900000 entrées en France, le film est un vrai succès. Mais le réalisateur confie qu’au début peu ont cru au projet.”Au début, on m’a fait très peu confiance. On me disait que ce serait un film qui n’allait pas intéresser les gens, que ce serait anxiogène. Et puis, c’est sûr, le milieu médical est assez fermé à la critique. D’ailleurs, le peu de critiques que j’ai eues sur le film venaient desmédecins, jamais des infirmières ni des malades.”

Aujourd’hui, le médecin-cinéaste planche sur un tout nouveau projet, le quotidien d’un médecin de campagne. Et, pourquoi pas, une série télévisée sur l’hôpital, dans la veine d’Hippocrate. “Avec une comédie humaine dans les coulisses de l’hôpital, il y aurait des milliers de sujets à soulever : l’éthique, la morale, la légitimité. C’est quelque chose qui est en réflexion.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu