Derrière l’étude de Tuskegee se cache l’un des pires scandales sanitaires de l’histoire des Etats-Unis. Sous couvert d’une étude prospective sur la syphilis, 399 américains ont été privés de traitement entre 1932 et 1972, soit pendant quarante ans. Une faute terrible pour laquelle le président Bill Clinton a dû présenter les excuses de la Nation.

 

L’affaire de Tuskegee commence en 1932. A cette époque, 80% des habitants de cette commune rurale d’Alabama sont noirs. Une étude épidémiologique menée par le service de santé publique des Etats-Unis, le PHS, vient de révéler une importante prévalence de syphilis dans ce comté. Par ailleurs, des chercheurs tendent à penser que cette maladie peut rester longtemps sans manifestation clinique chez les populations noires. C’est alors que le PHS s’est interrogé de la pertinence des traitements.

En effet, à cette époque, les seuls traitements contre la syphilis étaient l’arsenic, le mercure et le bismuth. Mais ils sont responsables d’effets secondaires graves, voire mortels. C’est pourquoi le PHS a souhaité étudier l’évolution que pouvait avoir la maladie, sans traitement.

L’Etat a donc recruté 399 noirs souffrant de syphilis, ainsi que 201 personnes en bonne santé. Tous étaient fermiers, la plupart illettrés, et n’ont pas vraiment donné leur consentement. De plus, personne ne leur avait vraiment dit en quoi consistait l’étude en question. Les patients avaient juste connaissance d’être suivis pour leur “mauvais sang”. Régulièrement, ils étaient conduits à la clinique dans des véhicules gouvernementaux. Sur place, ils recevaient des “traitements” gratuits ; il s’agissait en réalité d’examens, notamment des ponctions lombaires, destinés à suivre l’évolution de leur maladie.

En plus des repas gratuits distribués à chaque consultation, l’Etat promettait à chaque participant de financer ses funérailles, s’il mourrait au cours de l’étude. De maigres compensations qui, en ces périodes de crise a séduit beaucoup de participants.

Des médecins et infirmiers afro-américains ont participé à l’organisation de l’étude. Parmi eux, une infirmière, Eunice Rivers. Elle tenait les registres d’étude, organisait les visites médicales et les contrôles sérologiques. Elle servait à faire le lien entre la population de Tuskegee et les médecins fédéraux, et rassurait les malades suspicieux.

A l’origine, le suivi ne devait être que de huit mois. Seulement, très vite, les chercheurs ont décidé de prolonger l’expérience et donc de maintenir la surveillance jusqu’à la mort de tous les patients. Et lorsque les Etats-Unis sont entrés dans le conflit de la Seconde Guerre Mondiale, le PHS a réussi à faire exempter 250 hommes qui souhaitaient s’enrôler. On s’assurait ainsi que les médecins militaires ne découvrent pas le non-traitement des malades. Pendant 40 années, cinq universités prestigieuses américaines ont travaillé sur ce projet et les résultats ont été régulièrement publiés dans des revues scientifiques.

C’est à partir du milieu des années 40 que l’étude de Tuskegee prend une tournure éthique des plus discutables. Les travaux de Flemming sur la pénicilline et ses effets connaissent un fort retentissement. Les Etats-Unis commencent la production industrielle de ce traitement révolutionnaire. En 1943, John Mahoney, directeur de l’hôpital des Marines, teste la pénicilline sur un agent de la syphilis, avec succès. Les américains malades, surtout des soldats, sont traités. Pas les syphilitiques de Tuskegee. Le PHS ne voulait pas ruiner une étude déjà mise en place depuis des années.

En 1966, un chercheur du service de Santé publique, Peter Buxtun, alerte ses supérieurs sur l’éthique de cette expérimentation. Face au silence, il se décide à faire éclater l’affaire. Le 26 juillet 1972, le New York Times titre en Une “L’étude de Tuskegee de la syphilis non traitée chez l’homme de race noire”. Une commission d’enquête est mise en place au Sénat. Ses conclusions sont sans appel : il faut cesser cette expérimentation éthiquement injustifiable.

Seuls 74 des sujets enrôlés étaient alors encore en vie. 128 personnes étaient mortes de la syphilis ou de ses complications. D’autre part, 40 des conjointes des sujets de l’étude avaient été infectées et avaient donné naissance à 19 enfants atteints de syphilis congénitale.

En 1974, la somme de dix millions de dollars est débloquée pour les survivants et les familles des personnes décédées. Et, en 1997, le président des Etats-Unis, Bill Clinton a présenté, au nom du pays, des excuses publiques.

Des études ont été menées sur l’impact de ce scandale aux yeux de la population noire américaine. Tuskegee expliquerait notamment le manque de confiance des noirs, surtout chez les personnes issues de milieux défavorisés, vis-à-vis des programmes de santé publique. Elle serait aussi source de la rumeur selon laquelle l’épidémie de sida était perpétrée par le gouvernement américain, contre la communauté noire.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Sciencepresse.qc.ca et Larecherche.fr]