A 26,6 euros net de l’heure, le paiement à l’acte rémunère mal le médecin généraliste. Plutôt que d’envisager une revalorisation de l’acte, Jean de Kervasdoué propose d’instaurer un contrôle systématique des prescriptions, d’étudier ce que pourrait être un système de capitation à la française ou encore de s’ouvrir à de nouvelles professions paramédicales. Autant de pistes de réflexions pour revaloriser les revenus des médecins.

 

26,6 euros. C’est le revenu horaire moyen net des médecins généralistes libéraux en France, révèle l’économiste Jean de Kervasdoué dans le dernier ouvrage qu’il a dirigé “Le revenu des professions de santé”. C’est un peu plus de 3,5 fois le smic horaire net. “Seuls les généralistes voient leurs revenus évoluer assez modestement au cours de ces quinze dernières années”, souligne Laurence Hartmann, qui a participé à l’étude. Et même, sur la période 2002-2010, les généralistes en secteur 1 connaissent une diminution de 2% de leurs revenus. A titre de comparaison, ceux des ophtalmologues, anesthésistes ou pneumologues a augmenté de 10% dans le même temps.

 

57 heures de travail par semaine

Pour obtenir le revenu réel du médecin généraliste, rémunéré à 23 euros la consultation, les économistes ont pris soins de prendre en compte l’activité réelle du praticien. “Le tarif est de 23 euros pour une consultation classique estimée à 18 minutes, soit un revenu brut horaire de 76,70 euros, dont il faut déduire les charges pour obtenir un revenu net moyen d’environ 43 euros de l’heure pour la seule activité clinique.”

Une analyse des emplois du temps des généralistes menée en 2011, reprise dans l’ouvrage, permet de distinguer le temps consacré à l’activité de soins, de celui dévolu à d’autres activités. “On estime à 57 heures en moyenne la durée hebdomadaire de travail (pour un volume de 5 100 actes annuels)”, souligne Laurence Hartmann. Mais il faut prendre en compte le temps passé à la formation personnelle et la formation des internes, des externes, la gestion comptable du cabinet, le secrétariat… Sachant que 44% des médecins généralistes interrogés pour l’étude assurent leur secrétariat eux-mêmes, 22% leur comptabilité et 14% l’entretien du cabinet, “le temps réel consacré aux consultations est de 33 heures hebdomadaires”. “Ainsi, si l’on considère les médecins généralistes travaillant à temps plein durant 47 semaines, pour un revenu net de 71 300 euros, avec un temps de travail hebdomadaire de 57 heures d’exercice, le revenu horaire net moyen s’établit environ à 26,6 euros”, calcule Laurence Hartmann. Revers de la médaille, les médecins ayant eu un tarif quasiment bloqué pendant 20 ans, ils ont augmenté le volume de leur activité de 42% entre 1991 et 2010.

Un tarif de consultation en secteur 1 bloqué à 23 euros, rendu possible, estime Jean de Kervasdoué, par la coexistence du secteur 2 : “Si tous les médecins libéraux étaient conventionnés en secteur 1 à ce tarif, les gouvernements successifs et l’assurance maladie n’auraient pas résisté à des manifestations pour revaloriser la valeur de cet acte.”

 

Le paiement à l’acte “injuste, pas toujours rationnel, inégalitaire”

“Nous avons beaucoup travaillé sur des questions comme : qu’est-ce que c’est que payer un médecin ? Pour quoi paye-t-on le médecin ? Qu’est-ce que c’est qu’un acte ?”, explique Jean de Kervasdoué. “Nous réfléchissons aussi aux hypothèses que fait l’Assurance maladie en payant un médecin 23 euros la consultation, qu’il en ait 28 ans ou qu’il en ait 60, qu’il ait fait de la formation continue ou qu’il n’en ait pas fait, qu’il garde le patient 10 minutes ou une demi-heure.”

En trame de fond de la réflexion de Jean de Kervasdoué et de l’ouvrage qu’il dirige : la légitimité du paiement à l’acte, “peu élégant, injuste, pas toujours rationnel, inégalitaire”, et “mal adapté aux soins primaires”. “Pour tout médecin conventionné au secteur 1, l’assurance maladie émet l’hypothèse que tous les actes de tous les médecins sont identiques (…) et comme ils se valent, ils doivent être rémunérés de la même façon. (…) Cette hypothèse est aussi peu logiquement fondée que socialement acceptée.”

“Tout se passe donc comme si un voyageur se faisait rembourser sa chambre d’hôtel, au même tarif, qu’il ait passé une nuit dans un établissement d’un ou de quatre étoiles, en bordure d’autoroute ou à la campagne, avec ou sans réseau wifi… et encore cette image est bien loin de la diversité de l’offre qui se dissimule sous le mot simple de consultation”, poursuit l’économiste.

 

Contrôle des prescriptions ?

D’ailleurs un paiement à l’acte n’est envisageable qu’avec un contrôle systématique et détaillé des prescriptions. “Chacun comprendra que la situation où un médecin peut s’auto-attribuer une manière substantielle d’accroitre un revenu financé par la collectivité, sans que cette collectivité s’assure du bien-fondé de ce revenu auto-prescrit, défie l’imagination”. “Certes, je suis un avocat de la liberté de prescription, mais où est-il écrit qu’il s’en suit que cette liberté implique qu’il n’y aurait pas de contrôle ?”, s’interroge Jean de Kervasdoué. “Aux Etats-Unis, pays libéral s’il en est, il y a un contrôle systématique des prescriptions. Le contrôle ne veut pas dire un médecin flic derrière chaque médecin. Il faut simplement s’assurer que les médicaments sont prescrits aux gens qui en ont besoin et pas aux autres. Moi j’avais eu l’idée de créer un Conseil scientifique par région. Il y aurait des médecins chevronnés, des professeurs d’universités, des libéraux qui travailleraient avec les médecins conseil de l’Assurance maladie. Ensemble on fabriquerait des algorithmes et on regarderait les prescriptions des confrères.”

De son étude des Etats-Unis, Jean de Kervasdoué fait deux autres constats. D’une part, Jean de Kervasdoué indique qu’aux Etats-Unis, se sont développés des professions intermédiaires entre les infirmières et les médecins. “Ce sont des infirmières spécialisées ou des médecins assistants et ils peuvent prescrire dans certaines limites.” En effet, explique l’économiste, une partie des besoins ne sont pas médicaux, mais réglementaires. Il convient donc de se poser la question “taboue de fait” : celle des professions cliniques de niveau master. Infirmières spécialisées, médecins assistants, mais aussi optométriciens, rééducateurs médicaux… “Je suis persuadé depuis très longtemps, qu’il y a en France une place pour ces professions-là.”

 

1% des médecins seuls et en libéral

D’autre part il souligne que seul 1% des médecins travaillent encore seuls et en libéral, alors qu’en 2004, ce chiffre atteignait encore les 22%. “Ils sont mieux rémunérés à l’hôpital, dans les réseaux de soins ou dans d’autres formes de pratiques en groupe”, explique-t-il. “Personne, jamais, nulle part, en France n’a analysé en détail les systèmes de paiement à la capitation pour voir comment ils pourraient trouver en France une application”, déplore Jean de Kervasdoué. “D’autant que les pays qui ont instauré la capitation sont aussi ceux où l’on prescrit le moins (…) L’expérience des HMO américains (le montre) : la coordination de la prise en charge est à la fois plus efficace et moins onéreuse.”

Avec un tel système, le médecin n’a en effet pas intérêt à accroitre les consultations, mais à trouver le juste équilibre pour garder ses patients : “On reste dans un système libéral”, où le patient choisit librement son médecin. Quoi qu’il en soit, “il faut étudier les nouvelles formes de rémunération, de travail. Dans un certain nombre d’expériences locales, de l’ouest de la France notamment, on est passé du paiement à l’acte au salariat pour un certain type de médecins, et tout le monde est ravi. Eux les premiers.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier