Un conseil de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) doit, ce jeudi, avaliser la candidature de Nicolas Revel, à la tête de la CNAM. Après dix ans de direction et de réformes, Frédéric Van Roekeghem lui laissera son fauteuil, et sur son bureau, de très lourds dossiers à gérer. Le tout dans un contexte de plan d’économies drastiques et de quasi soulèvement des praticiens libéraux.
 

 

Franchement, on peut rêver meilleur climat pour prendre les rênes de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). A la fin de son mandat, ce 6 novembre, c’est une population de libéraux de santé au bord de la crise de nerf, que Frédéric Van Roekeghem, le directeur partant, va laisser à son successeur, après 10 années de bons et loyaux services à la direction de l’assurance maladie. L’odeur de poudre qui monte au nez annonce une très forte réponse du terrain à l’appel de la grève unitaire, dès le 24 décembre prochain.

 

Nombreuses revendications

Une succession sans suspense, puisque la candidature de Nicolas Revel, ex secrétaire général de l’Elysée, est la seule présentée ce jeudi au Conseil de l’UNCAM, par les ministères de la Santé et de l’Economie. L’énarque, ancien directeur de cabinet du maire de Paris devra affronter une épreuve du feu dans un climat de grande tension budgétaire (ONDAM fixé à 2,1 % l’an prochain contre 2,4 % en 2014. Trois milliards d’économies à faire par an sur trois ans, sur la branche maladie) : la grève unitaire des médecins libéraux, du 24 au 31 décembre prochain où les revendications salariales – le consensuel C à 25 euros – tiennent une large place. Mais pas que.

Les médecins libéraux et tous leurs syndicats sont vent debout contre le tiers-payant généralisé, que le nouvel arrivant va devoir mettre en place d’ici 2017, l’indigence tarifaire, après un blocage de trois ans du C à 23 euros, les tracasseries chronophages des caisses, les atteintes à la liberté de prescription ou les poursuites contre les trop gros prescripteurs de mentions NS ou d’arrêts maladie. Ils sont également très inquiets du démantèlement probable de la convention nationale, porté en germe par la future loi de santé et la mise sous tutelle de l’organisation des soins ambulatoires par les ARS pour ne citer que ces revendications principales. Le tout, cerise sur le gâteau, dans un contexte de DPC peau de chagrin. Bienvenue, Monsieur le directeur (un novice dans le monde de la santé…) !

“J’attends du nouveau directeur, une stratégie claire pour l’organisation du secteur ambulatoire et des soins primaires”, déclare le président de MG France. Claude Leicher porte un regard très dur sur les 10 années qui viennent de s’écouler, affirmant que la réforme du parcours de soins et du médecin traitant, porté par la loi de réforme de l’assurance maladie de 2004, s’est fait “sans moyens”. “On demande au généraliste de faire la coordination, mais ce sont les médecins spécialistes qui perçoivent la lettre-clef, rappelle-t-il. On a assisté à l’effondrement de la démographie des médecins généralistes”, tant leurs conditions d’exercice étaient difficiles et tant on leur chargeait la barque de médecin traitant, sans moyens. Jean-Paul Hamon, le président de la FMF, ajoute en écho : “en 2004, 14 % des jeunes médecins s’installaient en libéral la première année, ils ne sont plus que 9 % en 2014”, tonne-t-il. “Pour opérer le virage ambulatoire, préconisé par Marisol Touraine, il faut prendre des mesures urgentes”, exhorte Claude Leicher. “Les médecins libéraux n’ont jamais été aussi mal traités que depuis deux ans et demi”, insiste Jean-Paul Hamon.

 

Ministre bis de la santé

Durant cette période décennale, Fréderic Van Rockeghem régnait tellement en maître, qu’on lui avait donné deux surnoms, Rocky et le ministre bis de la Santé. C’est lui qui imaginait les réformes (CAPI, P4P, Prado, politique du générique notamment), proposait, faisait avaliser ses idées par son conseil et négociait les conditions financières des accords envisagés avec les ministères de la Santé et de l’Economie.

Son successeur arrive alors que la future loi de santé redistribue les cartes et installe clairement la CNAM sous la tutelle étatique, la politique régionale devant ainsi être placée sous la responsabilité des ARS. La mise en place du DMP nouvelle manière, devra également se faire sous l’égide de la CNAM et non plus de l’ASIP santé. Une renaissance jugée inutile dans sa configuration actuelle et chronophage – encore une – par les médecins libéraux.

Depuis son arrivée avenue de Ségur, la ministre de la Santé attendait le moment de reprendre la main. Elle se fera concomitamment avec le départ de “Rocky”. On se souvient qu’à peine nommée, Marisol Touraine avait fait clairement comprendre qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul patron dans la boutique du système de soins, elle. Et pour que tout le monde comprenne bien, dès le premier jour de la négociation sur la réforme du secteur 2, s’est positionnée médiatiquement comme le donneur d’ordres de la limitation des dépassements d’honoraires. Allant jusqu’à afficher aux premières heures du matin, à la télévision, une mine flétrie par une nuit sans sommeil, l’encre de l’accord du contrat d’accès aux soins même pas sèche après plus de 36 heures de négociations…

“L’accord interprofessionnel est un échec cuisant. Personne n’en veut”, continue à lister Claude Leicher. Il attend de Nicolas Revel qu’il reprenne le dossier, “en choisissant d’être plus cohérent. Mettre 20 millions d’euros sur l’organisation des soins de proximité, c’est ridicule”, balaie-t-il. “Cet accord oublie complètement la médecine spécialisée, or, la valorisation de la coordination entre le médecin généraliste libéral et le spécialiste libéral est essentielle pour un parcours de soins complet, les prises en charges complexes et éviter les hospitalisations”, ajoute la CSMF, qui ne signera pas l’accord.

 

Nouvelle convention ?

La convention, qui veut encore de cette convention médicale ? Pas le SML, où communiqué après communiqué, et maintenant dans une pétition qui s’adresse aussi au grand public, on y réclame la dénonciation de l’actuelle convention, et la négociation d’un nouveau texte plus apte à répondre aux grands enjeux sans ignorer les professions libérales. Le SML est pourtant le syndicat, aux côtés de la CSMF, qui a mis en place la convention 2005 puis 2011, instaurant le médecin traitant et le parcours de soins.

Le Dr Hamon est sur la même ligne que le SML d’aujourd’hui : “Il faut voir bien au-delà d’une nouvelle convention, il faut une nouvelle stratégie nationale de santé, conçue de l’enseignement supérieur, au mode de financement de la sécurité sociale, affirme-t-il. A quoi sert de réclamer une nouvelle convention, lorsque les médecins négocient sur une somme de 500 millions d’euros, quand il y a des marges de 10 milliards à récupérer sur l’industrie pharmaceutique, et même 25 milliards sur l’hôpital ! Il faut arrêter cette mascarade et mettre tous les partenaires concernés autour de la table car on est arrivés au bout du processus conventionnel. C’est une révolution que le nouveau directeur doit nous proposer !”

 

“Le champ de l’impuissance politique est dramatique”

La CSMF, en revanche, tient à cette convention médicale. Elle y tient au point de revendiquer la “sanctuarisation de la convention nationale médicale et collective”, avec des adaptations régionales, si nécessaires. Car la centrale voit dans la future loi de santé, “la prise de contrôle de l’Etat sur les relations conventionnelles nationales, une déclinaison régionale via les ARS et la voie qui s’ouvre vers un conventionnement individuel, et peut être sélectif des médecins”. Ceci dans le but de “resserrer l’étau comptable de l’Etat sur les médecins, de manière à dégager des moyens au profit des hôpitaux et structures publiques, qui constituent l’unique priorité du gouvernement”.

MG France, qui ne porte pas cette convention dans son cœur, car elle “charge la barque du MG, sur qui repose toute le poids de la maîtrise médicalisée, sans qu’on lui donne les moyens d’être le médecin traitant voulu par le texte”, n’a pourtant pas une lecture aussi critique de la loi de santé. “Tout est flou”, estime-t-il.

“Nous sommes dans une période d’incertitude politique et institutionnelle, confie Claude Leicher. La politique de santé est sous-tendue par la stratégie nationale de santé qui n’est pas appliquée. Encore du papier législatif et réglementaire jamais mis en œuvre. Le champ de l’impuissance politique est dramatique”, soupire-t-il.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne