En début de semaine, une infirmière américaine a vivement critiqué sa mise en quarantaine à New-York, alors qu’elle revenait de Sierra Leone. Face aux pressions, les autorités sanitaires new-yorkaises ont lâché du lest sur leurs mesures de précaution. Créée au XIVe siècle pour répondre à l’épidémie de peste, l’utilité de la quarantaine est aujourd’hui contestée par les experts.
 

 

Après la découverte d’un premier cas d’Ebola chez un médecin à New York, les gouverneurs des Etats de New York et du New Jersey avaient instauré vendredi, une mise en quarantaine obligatoire pour tous les voyageurs ayant eu des contacts avec des malades en Afrique de l’Ouest. Une mesure d’urgence dont a fait les frais Kaci Hickox une infirmière américaine de retour de Sierra Leone. En début de semaine, elle avait vivement critiqué dans les médias sa mise en quarantaine, alors qu’elle ne présentait aucun symptôme, disant avoir eu le sentiment d’être traitée comme une criminelle. Le gouverneur de l’Etat, le républicain Chris Christie, a consenti lundi à lever sa mise en quarantaine, cédant aux pressions notamment de la Maison Blanche.

“La quarantaine plaît beaucoup au peuple, tant qu’il n’est pas concerné ; mais les gouvernements savent bien que cela ne sert à rien”, explique Patrick Zylberman, historien de la santé à l’École des hautes études en santé publique, interrogé par Le Figaro.

Il faut remonter au milieu du XIVe siècle et à la grande épidémie de Peste qui ravage l’Europe pour retrouver les premières mesures de mise en quarantaine. A cette époque, l’épidémie décime près d’un tiers de la population européenne. La Peste terrorise les gens qui fuient les villes, se calfeutrent et se flagellent lors de processions.

En 1377, le recteur de la République de Raguse, aujourd’hui devenue Dubrovnik, impose aux passagers de chaque navire provenant d’une zone infectée de rester isolés sur l’îlot voisin de Mercano pendant 30 jours. C’est Jacob de Padoue, médecin chef de la ville qui est chargé de mettre en place un enclos regroupant les “pestiférés”. La mesure séduit et est reprise dans la plupart des grands ports de la Méditerranée.

Venise va quant à elle porter l’isolement à 40 jours, créant ainsi la “quarantaine”. La ville qui est à l’époque la principale plaque tournante du commerce avec l’Orient, va mettre en place un système d’isolement sanitaire qui fera référence pendant des années. Le Sénat de Venise fait construire les premiers bâtiments destinés à l’isolement, les “lazarets”, inspiré du nom de l’ïlot choisi pour accueillir la structure, Santa Maria di Nazaret. Pendant cet isolement, les voyageurs étaient séparés du personnel d’entretien et de surveillance, tandis que leurs marchandises faisaient l’objet d’une mise à l’écart. Au bout de 40 jours, toute suspicion levée, le débarquement était autorisé dans la cité pour les hommes et les biens.

Petit à petit, des “lazarets” sont construits dans tous les ports d’Europe. En France, au XVIe siècle, seuls les ports équipés de telles structures sont autorisés à prendre part au commerce international.

Dès le XVIIe siècle, les États ont recours à l’armée pour assurer la protection sanitaire de leurs territoires. Mais les frontières terrestres se révèlent vulnérables et la peste de Marseille gagne la Provence en 1720, provoquant près de 200 000 morts, malgré un cordon sanitaire d’hommes en armes. Le mur de la peste, de 100 kilomètres de long, est alors édifié en quelques mois pour isoler la région.

A cette époque, la quarantaine commence à montrer ses faiblesses. Les fraudes sont nombreuses, tout comme les compromissions. Dans les ports où le commerce est très important, la mesure est très contraignante. Ainsi, en 1841, l’Angleterre remplace la quarantaine par une simple et brève mise en observation. En 1846, la France supprime les mesures de sécurité pour les navires provenant de Grèce ou du Maroc.

Lorsqu’une nouvelle épidémie, le choléra, arrive en Europe, le pays conçoit alors des lazarets mieux adaptés, comme l’hôpital Caroline, inauguré en 1828 sur les îles du Frioul, au large de Marseille. Mais la maladie gagne quand même le territoire. “Les émeutes se sont disséminées en même temps que le choléra, raconte l’historien Patrick Zylberman au Figaro, car les quarantaines imposées ont mis en panne l’économie en empêchant le commerce, et la réaction de la population a été extrêmement violente.”

Les pays européens tentent alors de s’harmoniser pour mettre au point une politique de sécurité sanitaire. La France accueille à Paris, en 1851, la première conférence sanitaire. Cette tentative d’uniformiser les modalités de quarantaine contre la peste, la fièvre jaune et le choléra est un échec politique.

Au XIXe siècle, après plus de six siècles, la notion de maladie quarantenaire va faire place à celle d’affection à règlement sanitaire international (choléra, fièvre jaune et peste), et à celle d’affection sous surveillance (fièvre récurrente à poux, grippe, paludisme, poliomyélite et typhus). Les premières grandes conférences sanitaires internationales sont organisées et montrent que le système est inefficace.

Pourtant, en théorie, la quarantaine existe toujours. En France, un décret autorise les préfets à boucler une zone en cas de menace sanitaire. La dernière en date remonte tout de même à 1955, contre la variole à Vannes.

Aujourd’hui, on applique plutôt le confinement, au cas par cas, de personnes susceptibles de développer une infection. C’est la mesure qui avait été prise à New-York. La mise en quarantaine de toute une partie de la population, même si cela est séduisant pour le grand public, est totalement inefficace, selon les experts. Par ailleurs, elle risquerait d’être contre-productive, inciterait les malades à cacher leurs symptômes et découragerait les soignants à se rendre sur le terrain.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Lefigaro.fr et La Revue du Praticien]